Chronique n° 102 – Des émeutes dans La Teste

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Pendant que les querelles religieuses se développent, les relations entre Arcachon et La Teste s’enveniment, elles aussi. A partir notamment de 1866, l’expulsion progressive des pêcheurs testerins de leurs plages arcachonnaises a exaspéré la population testerine. Le départ de nombreux services publics vers Arcachon n’arrange pas les choses et La Teste parle de « déni de justice ». L’humiliation du maire testerin, Jules Lutzy, obligé de s’excuser de quelques écarts de langage d’un de ses collègues, auprès de son voisin, Veyrier-Montagnères, met de l’huile rance sur un feu qui couve depuis longtemps.

Car La Teste vit très mal sa situation de parent pauvre. D’abord, parce que beaucoup de ses habitants travaillent dur au service d’Arcachon, ensuite parce que si La Teste a installé l’électricité avant Arcachon, elle se sent toutefois à l’écart du progrès technique. L’eau courante, le gaz de ville, le téléphone la négligent et, honte suprême pour la cité qui a importé le chemin de fer en Gironde, trois express brûlent sa gare chaque jour ! C’en est trop et un jeune Testerin de vingt-six ans, Pierre Dignac, se fait très largement élire maire le 1er juin 1902 – il le restera jusqu’en 1941 – en annonçant qu’il va mettre fin au déclin testerin, un déclin que les Bouges attribuent uniquement à Arcachon. Fernand Labatut, ce fin connaisseur du captalat et du pays de Buch, résume bien la situation, vécue comme « Une douloureuse césarienne territoriale entre une vieille capitale administrative, issue d’une paroisse millénaire et une ville nouvelle qui dépasse le chef-lieu de canton ».

Le très gros conflit n’est donc pas loin, d’autant plus que le jeune Dignac ne manque pas de sens politique, bien qu’il ne fasse qu’utiliser la vieille recette démagogique aux effets imparables : prêcher l’unité et promettre le renouveau. Il déclare : « Le pays nous a démontré que la tyrannie d’un seul – c’est Lutzy qui est visé – devait disparaître devant la majorité de droit populaire et voici la population de La Teste, réconciliée dans la paix et la concorde ». Dignac est aussi un homme d’action. Il le démontre lors des émeutes testerines des 15 et 20 mars 1899. Ce double soulèvement, raconté par Jacques Ragot, provient de la forêt usagère où l’incendie du 5 septembre 1898 ravage le massif sur plus de trois kilomètres de long. Or, voilà que le Tribunal, à la demande des propriétaires des sept lieux incendiés, décide que les pins brûlés doivent être vendus au seul profit des ayant-pins, à un marchand de bois nommé Dumartin. Il a le culot d’installer une scierie en pleine forêt usagère, pour ce que d’aucuns considèrent comme un véritable pillage. Les protestations éclatent car, estiment les protestataires, aux termes des baillettes, le bois mort, donc celui des pins brûlés, revient aux usagers.

Appuyé par la jeune et accorte Madeleine Labèze, surnommée « La Belle Usagère », Pierre Dignac prend le parti des usagers, au grand dam de sa famille. Le 15 mars, des dizaines de ces usagers prennent d’assaut la gare de La Teste et y déchargent deux wagons remplis de poteaux de mine provenant du bois brûlé, débité dans la forêt usagère et ils le pulvérisent. La Gendarmerie, qui n’en peut plus, dresse trente procès-verbaux. Mais les Testerins ne veulent pas en rester là : il faut extirper la racine du mal. Et, le 20 mars 1898, cinq mille usagers, Gujanais et Testerins, en cohortes vociférantes, s’élancent sur la route de Cazaux et suivent la voiture où trônent Pierre Dignac et la Belle Usagère. On agite des haches et des scies, on souffle dans des clairons et, détail important, on agite des drapeaux tricolores. Un signe évident que, pour ces usagers en colère, leur bon droit repose sur l’idée même de tradition nationale et de justice républicaine. Arrivés à la Bat du Porge, près du lac, où la scierie fonctionne dans des souffles de vapeur, le cortège bombarde le personnel de la scierie Beaumartin à grands jets de grosses pignes vertes. Les femmes du premier rang s’emparent du gérant de la scierie apeuré, le déculottent sans hésiter et lui administrent avec poigne une fessée rougeoyante ! Les hommes tranchent les courroies des machines et chargent sur leurs charrettes tout le bois déjà coupé. Un peloton de gendarmes à cheval accourt alors de Bordeaux et, à bride abattue, arrive, comme les carabiniers italiens dans une opérette, essoufflé mais bien trop tard.

Toutefois, qu’on ne rie pas. Cet incident signifie clairement que La Teste ne veut pas renoncer à ses droits ancestraux et affirme qu’on ne lui fera pas deux fois le coup du quartier d’Eyrac. C’est aussi le message de Pierre Dignac. Et voilà l’homme que James Veyrier-Montagnères, maire d’Arcachon et conseiller général du canton de La Teste, aura en face de lui aux élections cantonales de juillet 1904 ! C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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Aimé

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