L’aventure maritime d’Arcachon se poursuit. Certes, le port de guerre, rêvé par beaucoup depuis le XVIIIe siècle, ne verra jamais le jour, les amiraux de chaque époque ayant très vite vu que le Bassin constitue un sournois piège à bateaux. Quant à un port de commerce, le développement du trafic des poteaux de mine à partir de 1865, aurait pu le créer. Mais l’exportation de ces poteaux, indispensables pour le Pays de Galles, transite alors par Meyran ou par La Vigne, vers des cargos ancrés dans les profonds chenaux. Cependant, Arcachon, malgré quelques velléités, renonce vite à toute activité de cabotage, pour la bonne raison que la cale d’embarquement prévue ne peut se bâtir qu’à côté du débarcadère d’Eyrac, autant dire en pleine plage.
Par contre, l’aventure réussit fort bien dans la navigation de plaisance. On se souvient de la vogue des régates organisées par Lamarque, dans les années 1850. Le succès ne se dément pas puisqu’en 1880, on compte plus de deux cents voiliers devant Arcachon. En 1905, une puissante “Société de la Voile et de l’Automobile d’Arcachon”, donne une célébrité très britannique au plan d’eau arcachonnais qui, il faut le reconnaître, offre tous les avantages de la haute mer, les vents réguliers et les courants complexes, sans en avoir aucun des inconvénients et des dangers. Dans ces années qui précèdent la Grande guerre, on voit donc souvent ici, de grands yachts de cinq à cent tonneaux. Ils paradent ou s’affrontent plus loin que dans le Teychan ou bien, plus paisiblement, ils croisent le long des côtes et débarquent leurs passagers sur des rivages sauvages, « de l’autre côté de l’eau ». Leurs équipages, parfois formés jusqu’à cinq ou six hommes, se recrutent assez souvent chez les marins et les ostréiculteurs arcachonnais.
Autre retombée économique de cette activité : de petits chantiers navals, tournés en grande partie vers la plaisance, se développent à l’Aiguillon et dépassent vers l’est ce quartier. Leur réputation grandit, autant que leur zone d’implantation. Les plus connus, dont les noms constituent des lettres de noblesse dans la charpente marine locale, s’appellent Bossuet ou Barrière et Claverie est un voilier célèbre.
Mais la grande originalité, la grande invention d’Arcachon, en matière de plaisance à la voile, c’est la création, en 1897, du « Monotype d’Arcachon », dessiné par Joseph Guédon, à la demande de la Société de la Voile. Envie d’étendre la pratique de ce sport à un plus grand nombre ? Désir de repérer quelques jeunes yachtmen doués ? Volonté de disposer d’un petit bolide de compétition ? Quels que soient les objectifs visés, on voit bientôt assez de ces monotypes pour que s’organise entre eux une régate, en 1901. Ces fins bateaux de quatre mètres, à voile unique au tiers bômée, vont faire beaucoup de petits, jusque dans les années trente et aujourd’hui encore, des amateurs éclairés en font toujours naviguer, en se méfiant tout de même un peu du vent arrière …
Ces monotypes sont d’autant plus étonnants qu’ils forment les prémices d’une large évolution vers ce yachting populaire appelé à un grand développement. En même temps que la voile, la plaisance arcachonnaise connaît un second volet : le motonautisme. En 1901, des moteurs Couach équipent déjà huit bateaux de plaisance et le progrès devient si fulgurant qu’en 1914, on compte sur le Bassin près de quatre cents petits bateaux à moteur, pinassottes y compris, soit autant que sur tout le reste des côtes françaises. Quant au touriste de base de 1895, il peut louer un voilier et son marin, pour trois francs de l’heure.
Moins fortuné, dès 1902, le visiteur s’offre en famille une croisière sur le « Courrier du Cap », un vapeur pour cent cinquante passagers et quantité de marchandises, lancé par Léon Lesca, l’empereur de La Vigne. Il assure plusieurs liaisons quotidiennes, depuis l’embarcadère d’Eyrac vers le cap Ferret, qu’aucune route carrossable ne relie encore au monde civilisé. Il navigue pendant plus d’un demi-siècle et, avec sa haute cabine de pilotage, comme décorée de deux énormes bouées de sauvetage et sa plage arrière couverte d’une tente blanche, son originale silhouette, tout comme sa sirène qui appelle les retardataires occupés, l’hiver, à boire le vin chaud au « Café de la Plage », chez M.Lagruë, tout cela reste encore dans beaucoup de mémoires. Cependant, malgré ce fort développement de la navigation de pêche ou de plaisance, Arcachon ne parle pas encore d’installer un port. C’est une autre – longue – histoire.
À suivre…
Jean Dubroca