Le grand capital, par frères Pereire interposés, s’intéresse de près à Arcachon dès que la commune est indépendante, avec l’idée de développer la ville, à la fois pour y spéculer et pour rentabiliser la ligne de chemin de fer. A partir de ce moment-là, le visage d’Arcachon change rapidement. Dès 1861, sous la direction de l’ingénieur de la Compagnie du Midi, Paul Régnauld, M. Lamothe fils, géomètre à Bordeaux, dresse les plans de la Ville d’hiver. Il s’agit de tailler dans la forêt deux cent cinquante lots, au sud, pour le compte de la Compagnie et cent quarante-deux lots, pour M. Pereire, à l’ouest. Le tracé des avenues est étudié de façon à respecter les courbes de niveaux des dunes et à éviter des courants d’air dans les rues.
Les méandres de ce parc urbain répondent à des exigences sanitaires mais aussi à la volonté de créer l’illusion : on offre une station de montagne, suisse, de préférence, pour la pureté de l’air mais si proche de la mer qu’un plan commercial n’hésite pas à placer les flots bleus au sud du lotissement pour le couvrir de soleil. De plus, cette urbanisation en circonvolutions est très à la mode. On la retrouve dans l’organisation du parc Monceau à Paris, également œuvre des Pereire et dans le décor du parc des Buttes Chaumont. Bernard Marrey parle à ce propos, « de convergences historiques ».
Les plans faits, dès le printemps 1862, on arrive à compter bientôt 1500 ouvriers à l’ouvrage. Avant même que les maisons soient construites, ils tracent les avenues, dont deux montent en biais et se croisent en palier pour grimper vers le casino dont les maçons attaquent la construction. L’ossature très simple de l’immeuble repose sur un rez-de-chaussée carré, bordé d’escaliers monumentaux sur chaque côté et surmonté de quatre murs, dont deux en ogives. Tout le reste, qui repose là-dessus, est un décor qui fournit « un mélange de l’Alhambra de Grenade et de la mosquée de Cordoue ». Le décorateur, peintre au Grand théâtre de Bordeaux, Jules Salesse, achève l’illusion intérieure, posant des couleurs et des motifs très arabes sur deux vastes coupoles en fer d’où de longues et multiples stalactites de bois dégringolent en chaudes cascades multicolores.
En même temps, on arase la dune alentour, on y apporte de la terre arable par wagons entiers, on plante des arbres déjà hauts, on étale du gazon, on dresse des grottes, on lâche des cascades et on allume une myriade de becs de gaz.
Vingt-cinq mètres de haut, plus à l’ouest, on dresse, l’observatoire Sainte-Cécile. Une très légère construction, hommage à l’architecture navale, faite de rails de chemins de fer entourant un escalier cylindrique soutenu par des filins d’acier suspendus à la plate-forme d’observation supérieure. La passerelle Saint-Paul, longue de trente-deux mètres, dont on dit dans la légende arcachonnaise déjà riche, que Gustave Eiffel y a mis la main, permet d’accéder à la tour, en franchissant un impressionnant un ravin de quinze mètres de creux qui effarouche les enfants et donne le vertige aux dames. La construction s’appuie sur un enrochement de pierres venues de diverses régions du sud-ouest dont la variété étonne et instruit le visiteur qui vient là en famille.
Un peu plus tard et un peu plus bas, en juillet 1864, la nouvelle gare est inaugurée, telle que nous la connaissons encore aujourd’hui. À l’ouest, s’élève le Buffet chinois. Quarante mètres de long, vingt de large, c’est une énorme pagode à cinq niveaux, conçue aussi par Paul Régnauld. Le soubassement est le même que celui du casino mauresque. Mais les superstructures avec des toits relevés dans chaque coin, est carrément asiatique. A l’intérieur, des vastes salles, de salons, de buvettes, de grandes cuisines sont illuminés par trois cent soixante-quinze becs de gaz, pas un de moins, dissimulés sous des globes de verre. Henri Massicault écrit que « selon les navigateurs qui ont visité la Chine, l’architecture de cet édifice se rapporte au style chinois le plus pur ». Ainsi, à peine débarqué du train, le visiteur se trouve plongé dans un univers dépaysant, du rêve vendu au prix d’un simple billet de train qui doit lui donner l’envie de tout dépenser dans Arcachon. Car, montant la côte, de Chine, il se trouve propulsé en Arabie et, marchant dans la paix forestière de la ville d’hiver, il longe des villas qui l’emportent dans un voyage qui tient d’un tour du Monde, tout cela entre deux trains. Jules Verne est battu. C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca