« Malheur par qui le scandale arrive ! ». L’abbé Mouls n’a pas échappé à cette règle évangélique car ses interventions dans la vie politique locale ont fini par tellement ulcérer le maire Jean Mauriac, qu’il demande au cardinal Donnet que le fougueux abbé quitte Arcachon. Pendant ce temps, les Pereire, profitant de leurs hautes relations, manœuvrent pour que Mouls devienne, pour deux ans, évêque de la Guadeloupe. Après quoi, toujours évêque, mais sans terre, il reviendra à Arcachon, avec crosse et mitre, pour auréoler de son prestige, la cité. Mais les Pereire connaissent, à partir de 1868, de grosses difficultés financières et ils deviennent bien moins fréquentables. Le cardinal Donnet, qui ne veut pas se compromettre, nomme Mouls chanoine de sa cathédrale, en 1869. Un placard dans une sacristie !
Alors, Mouls ne pardonne pas au cardinal cette décision, compte tenu de tout ce qu’il a fait pour le servir dévotement à Arcachon. Et, lorsque le 1è janvier 1872, paraît dans la « Tribune de Bordeaux », la première page d’un feuilleton intitulé « Les Mystères d’un évêché », toute la ville se demande qui se cache derrière cet abbé X qui l’a signé. Le personnage principal est, y lit-on, un « archétype des archevêques, rejeton des prélats de la cour de Jules II qui finira dans l’apocalypse funèbres des parvenus des autels ». Évidemment, le cardinal Donnet est visé. De plus, le brûlot, qui n’est pas le premier, comporte de vives critiques contre le principe de la confession individuelle des fidèles « qui n’existait pas avant 1075 », contre le célibat des prêtres, contre les turpitudes des couvents et contre le sort malheureux des quarante mille parias qui forment le bas clergé.
Une enquête de police finit par débusquer et par inculper les auteurs du libelle : le prêtre auxiliaire Junqua et le chanoine Mouls. Dans d’autres écrits, Mouls revient sur la nécessité de fonder le catholicisme sur le pur évangile et sur l’enseignement de la primitive église. Vatican II n’est pas loin ! On peut dire que la véritable et attachante figure de l’abbé Mouls, visionnaire moderne là aussi, apparaît ainsi. Il dit d’ailleurs avoir été révolté par l’encyclique “Quanta Cura” de Pie IX qui critique le modernisme.
Mouls est alors traité de tous les noms : « illettré, enrichi, courtier électoral du juif Pereire », écrit même “L’Aquitaine”, la revue de l’évêché. Les pétitions pleuvent contre Mouls, à commencer par celles ouvertes par ses successeurs à La Teste et à Arcachon, en toute charité chrétienne. Le voilà condamné pour « outrages à la morale publique et à une religion légale ». Mouls, obligé de quitter la soutane, est déjà parti pour la Belgique. Junqua, revenu à Bordeaux et condamné lui aussi, passe deux ans et demi en prison. Mouls, en Belgique, adhère à l’Eglise des Vieux catholiques qui existe toujours aujourd’hui. Elle s’oppose au dogme de l’infaillibilité du Pape et à son pouvoir sur les églises nationales. Ce qui lui vaut le soutien de l’église gallicane. Il publie de nouveau « Les mystères d’un évêché », dans une librairie socialiste et le journal « Le Bien public » parle de « l’hérésie gasconne transportée en Belgique ». De là à demander pour Mouls le sort des Albigeois, il n’y a pas loin …
Mouls, qui multiplie les articles et les conférences, bientôt rejoint par Junqua, gagne sa vie en pratiquant l’hypnose médicale – très à la mode aujourd’hui- et il reçoit beaucoup de malades qui lui laissent une obole. Malgré cela, il meurt, assez pauvre, le 5 juillet 1878, à La Chapelle Laiz Herlemont, au domicile d’un ami, ouvrier tourneur. Ses obsèques civiles sont suivies par une foule énorme, écrit le journal « Le Soir ». Sa tombe et son souvenir ont disparu dans son village d’adoption, a constaté Jacques Ragot. Mouls a-t-il su que, l’année de sa mort, la Ville d’hiver compte plus de deux cents villas et la commune cinq mille habitants ? Que la guerre politique continue entre Deganne et Héricart-de-Thury ? Qu’en cette année 1878, la famille royale française débarque dans sa ville ? Que trois grands chalutiers à vapeur des Pêcheries de l’Océan préludent à l’établissement ici d’une pêche industrielle ?
En tout cas, Arcachon doit beaucoup à cet homme complexe, mystérieux, précurseur d’une religion catholique rénovée. Le premier à le réhabiliter, c’est le docteur Georges Fleury qui écrit en 1954 : « il fait partie de ces morts qu’il faut que l’on tue ». Sa ville a tout de même su lui rendre hommage. Une rue porte son nom, juste derrière l’église Saint-Louis des Abatilles. Elle lui tourne le dos. Mais le temps a rendu justice au bouillant et peu conventionnel abbé, d’autant plus que, Mouls chassé, la zizanie a continué de plus belle dans l’Arcachon naissant. C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca