Les changements démographiques et économiques n’ont pas retenu l’attention des législateurs, qui, en 1793, après la grande secousse révolutionnaire, se contentent de reprendre le tracé des anciennes paroisses pour établir la répartition des communes et la fixation de leurs limites. Cependant, une refonte générale de cette répartition s’avère, dans bien des cas, nécessaire et indispensable.
La séance du conseil municipal d’Andernos du 12 mai 1850 en témoigne. Ce jour-là, le maire Pierre Pauilhac (demeurant à Arès) réunit son conseil, assisté, conformément à la loi, des contribuables les plus imposés de la commune. Dès l’ouverture de la séance, on entre dans le vif du sujet. Le maire et plusieurs membres exposent les difficultés, souvent insurmontables, rencontrées depuis de nombreuses années, pour administrer la commune. Ils estiment que les intérêts d’Andernos sont entièrement séparés de ceux d’Arès. Les revenus des deux sections sont distincts mais doivent être versés à la caisse commune. Ceci représente la principale pierre d’achoppement entre les deux sections. Arès justifie d’un revenu annuel de 2 337 francs alors qu’Andernos dispose d’un revenu annuel de 1 119 francs, d’où les principaux griefs des Arèsiens. Les habitants d’Andernos, eux, se moquent des finances. Leur ressentiment majeur vient plutôt du fait que le maire soit invariablement un élu de la section d’Arès.
Arès, rattaché anciennement à la commune d’Andernos, devient commune en 1851.
En 1933, voici les communes d’Andernos et d’Arès en difficultés à propos de terrains limitrophes dont l’une prétend avoir payé les impôts pour l’autre depuis qu’elles sont devenues distinctes. […]
Les seigneuries, puis les paroisses, pour toutes sortes de raisons se rattachant à leur histoire, s’étaient déjà très morcelées au cours des âges. Quand la Révolution eut créé les communes en respectant et essayant plus ou moins de concilier les anciennes limites des paroisses, évêchés, archiprêtrés, sénéchaussées, bailliages, pays, etc., il en résulta un nouvel ordre de choses qui, soit de prime abord, soit dans la suite, n’était pas toujours conforme ni aux lois de la géographie, ni aux nécessités de la démographie. Les agglomérations d’Andernos et d’Arès, la première constituant le chef-lieu, la seconde, l’unique section, sont distantes de cinq kilomètres. Elles proviennent de deux seigneuries contiguës et avaient chacune leurs biens propres dont la gestion commune provoquait maint conflit. Une incompatibilité d’intérêts et d’humeur en résultait. Le divorce s’imposait. Il fut prononcé le 29 janvier 1851. Et, nous le répétons, alors que tant de ruptures de ce genre ne se réalisent qu’après des luttes homériques, celle d’Andernos et d’Arès eut lieu sans difficultés, et c’est le cas de le dire — par consentement mutuel, à la satisfaction de tout le monde.
On eût pu croire que les motifs de conflit ayant disparu et les conditions de la séparation ayant été si faciles à déterminer, la bonne harmonie régnerait consécutivement à l’indépendance réciproque des deux sections jadis rivales. Il n’en fut rien. La question des limites entre les deux nouvelles communes n’était pas si simple en réalité qu’en apparence. On n’avait pas suffisamment étudié l’Histoire locale. Son ignorance est le péché mignon de nos administrateurs et de trop de nos concitoyens. Elle eût appris aux intéressés que, de tout temps, les barons d’Arès et les seigneurs de Verthamon (ces derniers possédaient Andernos) avaient disputé sur leurs confrontations. Il en était ainsi, d’ailleurs, de presque, tous les possesseurs de fiefs limitrophes au temps jadis. Aussi, dès le 5 mai 1851, l’adjoint au maire d’Andernos écrivait au préfet de la Gironde pour lui demander le secours de ses lumières en ce qui concernait la liquidation, et la démarcation. Depuis, les municipalités successives des deux villes voisines avaient rompu des lames à maintes reprises sur cette question de limites, notamment, dans les landes d’Arpech, où le ruisseau de Cire, prenant sa source plus bas, n’existe, pas encore pour fixer ne varietur, comme il le fait entre sa source et le bassin d’Arcachon.
La question revient sur le tapis sous forme de contestation fiscale. Le fond du débat n’en est pas moins l’une de ces affaires de limites qui remontent aux temps lointains de la féodalité. Elle reparaissent souvent de nos jours entre communes, faisant ressortir dans bien des cas l’anomalie de trop d’anciennes limites aujourd’hui incompatibles, avec le morcellement de plus en plus touffu de la propriété et la répartition actuelle d’une population qui se déplace. La situation, — notre expérience le prouve, nous l’avons, dit bien souvent et nous le répétons, — appellerait une refonte quasi-générale par une loi d’ensemble d’un très grand nombre de limites communales, devenues caduques.
Le contesté franco-brésilien, ça ne vous dit-il rien, braves géographes d’avant-guerre ? Vous rappelez-vous ce procès long de deux siècles, de 1713 à 1900, que termina un arbitrage du Conseil fédéral helvétique, en donnant, pour frontière à la Guyane la rivière Oyapock, et, derrière elle, au Brésil, des territoires aurifères ?
Or, voici qu’un pareil contesté, un territoire valant sans doute de l’or à voir l’ardeur que mettent à le revendiquer les parties en cause, met aux prises nos excellents amis d’en face, Arès et Andernos.
Ils nous sont, certes fort sympathiques pour de multiples raisons, notamment parce qu’ils nous ont donné l’exemple en 1851 de l’amiable séparation qui devait, quelques années plus tard, séparer Arcachon de La Teste.
Andernos donc, quittant Arès comme le fruit quitte la branche maternelle, y aurait laissé un pédoncule.
La branche, c’est la rivière le Cirés, limitrophe des deux communes sur son cours inférieur et moyen ; le pédoncule, c’est le territoire compris entre la route de Bordeaux et la borne de Bouscaret, adhérent sur rive gauche au cours supérieur du Cirés.
Sur les deux rives, c’est une levée de tire-lignes et de porteplumes ; on approvisionne les encriers comme des grenades et le grondement lointain des rotatives, le crépitement des linotypes fait songer à la classique préparation d’artillerie et au déclanchement des mitrailleuses. Des noms de généraux de l’Histoire et de chefs d’état-major des Archives volent de bouche en bouche.
Que si le sort des armes n’en peut décider, on s’en remettra à la Société des Nations, héritière naturelle du noble Corps Helvétique, qui, en 1900, rendit incontestable le contesté franco-brésilien.
Dictionnaire Généalogique des Habitants d’Arès de 1851 à 1899, Jean-Louis Charlot, 2013
L’Avenir d’Arcachon du 30 novembre & 7 décembre 1933