1826 – Plan général des Dunes

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Plan général des Dunes

(4ème partie) comprenant la Teste, le Cap-Ferret, le bassin d’Arcachon, l’étang de Cazaux. Date : XIXe siècle AD 33 Cote : 2 Fi 3681

Certaines parcelles n’étaient pas soumises aux droits d’usage :

– la transaction du 7 août 1746 (A.D. Gironde 3E 22625. Notaire Peyjehan) : le Captal reconnaît les privilèges de Peyjehan de Francon, à savoir que les « bois de Foursoumart et La Bette, aussi appelés maintenant Labat de Ninot et Binette » ne sont plus usagers depuis le 25 mars 1543 car baillés à fief à Martin Deseaul et propriétés des maisons nobles de Palu et Francon en confirmation du texte du 10 octobre 1468 qui les avait déjà exclus de la convention générale.

Ce texte complète la transaction passée le même jour par le Seigneur avec l’ensemble des habitants (A.D. Gironde 3E 22625. Notaire Peyjehan) dans laquelle il est précisé que sont exclus de la convention « les bois appelés Debernet, Foursomar, La Bette, Labat de Ninon et Binette compris dans une baillette particulière du 25 mars 1543 ». Le bois dit « Du Bernet » (les vergnes = les saules) a été quant à lui exclu des usages dès 1468.

Ce bail à fief nouveau en faveur de Martin Desaul est d’ailleurs produit lors du « procès » de l’An II qui oppose certains usagers et les propriétaires et aboutit à la transaction qui confirme le caractère à la fois privé et usager de la forêt. Il semble à l’examen que le terme de Bernet concerne, à l’origine, l’ensemble des terrains ci-dessus et que les toponymes ultérieurs ne désignent en fait que des lieux-dits à l’intérieur d’un même ensemble ; celui que, dès le départ, le seigneur s’est réservé et qu’il baille ensuite à fief, les Peyjehan en héritant au XVIIIe siècle.

De plus, en 1543, les pièces devaient être beaucoup plus étendues vers l’ouest, la côte ayant reculé, et aussi vers l’est, les sables venus du sud les ayant ensuite grignotées. D’ailleurs, le toponyme de « Hourn Somart » est encore utilisé au XIXe siècle pour désigner les semis modernes sur une superficie de 116 hectares, au sud de la dune de Peymaou, c’est à-dire sur une grande partie de l’actuel secteur des Abatilles au sud de l’allée des Dunes qui limite la Ville d’Hiver

–  La déclaration rédigée en 1748 (Reconnaissance féodale de Peyjehan de Francon. A.D. Gironde 3E 22626) :  Peyjehan de Francon y reconnaît tenir à fief du Captal les « pièces de pinadas de Binette, Labat de Ninot, Hourn Somart, La Bette, Les Abatilles et Le Moulleau, dans la petite forêt d’Arcachon, confrontant en entier au levant  des sables blancs, au midy le truc de Quentin, au nord Bernet et le Bos, au couchant battant le rivage de la petite mer ». Ce texte est très important car il prouve qu’en 1748, la forêt est continue jusqu’au truc de Quentin, au droit de l’actuel Super-Pyla (sur la côte est érigé le Fort Cantin en 1754).

– La déclaration des propriétaires de la forêt de La Teste du 1er août 1756 (Reconnaissance féodale de Peyjehan de Francon. A.D. Gironde 3E 22626, Notaire Eymericq) : Ils reconnaissent devoir 10 sols, au Captal, par millier de résine extrait des pins de la forêt usagère, et ils précisent « toujours le bois de Bernet, Four Somart, La Bette, Abatilles, La Bat de Ninot et Binette exceptés ».

– La vente du 23 février 1775 (AD Gironde 3E 22636, Notaire Peyjehan) : Dame Marie Ducasse, veuve de Me Jean Baptiste Peyiehan Francon, et sieur François Peyiehan, seigneur de la Maison noble de Francon, vendent à sieur Daisson Jeantas aîné, marchand, pour 5 500 livres, les parcelles « d’Eyrac, Binette, Labat de Ninot, Hoursomart, Les Habatilles, toutes les cinq dans la montaigne d’Arcachom » ainsi que les parcelles de « Moulleau et Les Bettes » pour lesquelles il n’est pas précisé où elles se trouvent.

– L’acte qui le complète, du 8 juin 1775 (AD Gironde, 3E 22656, notaire Eymericq) : Marie Baleste, 58 ans, veuve de Martin Daisson, nièce par alliance de Jean Daisson Jeantas, utilise son droit de retrait lignager. En effet, lorsqu’une personne aliène un « propre » bien patrimonial, un membre de la famille peut le racheter. Elle offre donc à ce dernier, qui refuse, de racheter les pièces pour 4 000 livres, alors qu’il les a payées 5 500 livres ! Ces 4 000 livres, monnaie de compte, devant être réglées en louis d’or. L’intérêt de cet acte est que les pièces sont « confrontées ». 

Cet acte indique que toutes les parcelles sont en pins, avec cabanes, fours et dépendances, il précise même que « Labat de Ninot » est affermée à Lagachot et que « Les Bettes » l’est à Tauzin. Toutes ces parcelles, sauf le Moulleau, sont signalées comme faisant partie de la Montagne. Il infirme d’autre part le texte de 1746 dont la rédaction peut faire croire que « bette » est un ensemble formé de La bat de Ninot et Binette, alors qu’elle est plus au sud. Il semble que le nom de Bettes ou plutôt Lettes (vallées entre deux dunes) ait été remplacé en 1775 par Abatilles (petites vallées, bat en gascon). En effet, par un acte du 8 novembre de la même année enregistré par Peyjehan, notaire royal, François Alain Amanieu de Ruat concède à titre de fief à Pierre Portié, Jean Cormarin, Jean Lalanne et Pierre Dejean, pour y faire « la pêche des canards et des oiseaux de rivière, tous les lacs d’eau douce qu’il y a actuellement et tous ceux qu’il y aura à l’avenir quy sont et seront sur les sables et terrain apellé Les Abatilles sittués sur le dit lieu de La Teste près la Montaigne d’Arcasson ». Le Captal précise bien que ces terrains sont près et non dans la petite montagne.

On peut croire d’après ce texte qu’il y a un autre lieu appelé les Abatilles un lieu composé de lettes, de petites vallées, en sables et lagunes différent de la parcelle forestière. Mais comme Ruat a le droit de concéder la chasse sur des terrains « privés », il s’agit donc de la même parcelle des Abatilles ; celle-ci est vendue à Daisson par les Peyjehan – dont Pierre Dejean, futur gendre de Jean Baptiste Peyjehan par son épouse Marie, adjoint de Brémontier et auteur des premiers semis, est un des propriétaires ! –   D’ailleurs, un acte du 12 juillet 1740 (notaire Peyjehan) établit déjà l’équivalence entre Abatilles et Bettes.

– La reconnaissance de fief de Marie Baleste Marichon (A.D. Gironde 3E 22626, notaire Peyjehan) : ce texte donne pour 1781 de nouveaux confronts.

Ce texte souligne donc :

  • que le Moulleau est alors définitivement isolé par les sables dont l’attaque s’est produite entre 1748 et 1775. Elle a connu alors une pause : le Moulleau est confronté à des pelous, ce qui veut dire que la végétation a repris, avant que le sable ne se déchaîne de nouveau entre 1775 et 1781 ;
  • que le Moulleau est bien un vestige, comme le disait Durègne, de l’ancienne forêt, sans qu’on puisse dire pourquoi elle est absente des textes de 1746 et 1756 ;
  • que depuis 1775, les sables ont aussi attaqué dans le secteur des Abatilles et du Four Somart-Daisson recouvrant en 6 ans une partie de la forêt. Nous sommes donc au plus fort de la menace et cela permet de comprendre pourquoi les Captaux n’ont, de 1772 à 1782, cessé de demander l’autorisation de fixer les sables. C’est peut-être ce qui explique qu’en 1783 « plusieurs fondations de messes ne sont plus acquittées, les fonds ayant été détruits par l’incendie et les sables » (Abbé Petit, Le Captalat de Buch pendant la Révolution Française, Férêt Fils, Bordeaux, 1909).

– L’acte de partage du 13 décembre 1828 (A.D. Gironde 3E 251555, notaire Clément Soulié) passé entre les héritiers du même sieur Daisson Jeantas, cet acte précise que les « pièces de pins appelées Labat de Ninots, Hourn Soumart, Les Abatilles et Le Mouleau ne sont pas soumises à l’usage ».Ces documents nous confirment bien que l’usage ne s’exerce pas sur toute la forêt ou Petite Montagne d’Arcachon et nous montrent l’étendue et l’évolution de ce massif. La question qu’on est alors amené à se poser est la suivante : pourquoi cette forêt est, du Bernet au Moulleau, absente de toutes les cartes du XVIIIsiècle ?

Les documents cartographiques : La difficulté est de situer exactement ces parcelles sur le terrain. À partir de 1810, les documents sont incontestables, il s’agit :

  • d’un cadastre commencé en 1808 pour la confection duquel les propriétaires sont obligés d’ouvrir, à leurs frais, des laies (1 août 1810). Il fait l’objet d’un arrêté de classement le 18 mai 1811. Les plans officiels ont disparu, les matrices conservées à La Teste et Bordeaux sont incomplètes et souvent en piteux état. Heureusement, nous en avons depuis peu une copie que nous avons utilisée pour les fonds de carte antérieurs à 1849.
  • du cadastre dit « impérial », terminé le 25 septembre 1850, conservé à Bordeaux et Saint-Germain en Laye. C’est de ce document que Durègne s’est maladroitement inspiré et c’est celui que nous utilisons pour les cartes postérieures à 1849.

Par contre, avant 1810, les cartes[1] sont très difficiles à interpréter et elles contredisent les actes notariés que nous avons retenus.

C’est ainsi que pour Claude Masse (1708), il n’y a aucune forêt au sud du Bernet. Pour Mesnil ou Mesny (1763), il y a deux massifs isolés à l’intérieur des terres, ce que reprend Cassini (1804). Pour les autres, le Chevalier de Karnay (1768), Sicre de Cinq Mars (1772), Clavaux (1772 et 1776), Belleyme (1791), Bazignan (1792), il n’y en a qu’un seul dont la latitude correspond d’ailleurs à la parcelle du Moulleau, que Belleyme nomme Monteau. Il est tantôt légèrement à l’intérieur (Karnay, Belleyme, Bazignan), tantôt en bordure  immédiate de la passe (Clavaux).

Pourtant, sur une carte qui pourrait dater de 1746 (Carte attribuée à Claude Masse. Archives du Génie. Bulletin de la SHAA n° 36, 1983) et qui est une copie de celle de Masse, apparaît nettement une trame forestière qui, à partir du Bernet, s’allonge vers le sud et peut confirmer ainsi l’acte de 1748.

Que faut-il donc en penser ? Un ouvrage[2] récent, nous apporte un certain nombre de solutions :

  • les cartographes du XVIIIe siècle ne sont précis qu’autour du site qui les intéresse ; ainsi, nous dit-elle, « la carte de Bazignan et de Roché en 1802 -dont le but était l’édification d’une batterie- reprend la carte levée par Bazignan en 1792 qui, elle-même, a été principalement composée à partir des levés de Karnay (1768) pour les passes et de ceux de Mesnil (1760-66) pour les chenaux du bassin et les terres » !
  • Mesnil ou Mesny est à l’origine des levés sur le terrain en 1762-63 (feuillet n° 25 de La Teste et n° 32 de Cazaux). Ces relevés servent à la gravure de la carte de la Guyenne au 1/43200, dite Carte de Belleyme. Celle-ci a duré jusqu’en 1789 et la carte est publiée en 1791 sans que la planche concernant La Teste ne soit vérifiée, contrairement à celle de Cazaux qui le fut en 1786. Les travaux de Mesnil-Belleyme ont aussi servi à Cassini car les feuilles de la Carte de Guyenne ont été vendues au directeur de la Carte de France (5 000 francs dont 2 000 pour les vérifications), afin d’être réduites au 1/86 400. Ce dernier s’est d’ailleurs engagé à attendre la publication de la carte de Belleyme pour présenter les siennes au Roi, mais rompt le contrat en 1783 en ce qui concerne la carte du Médoc (A.D. Gironde C 2413). Cette seconde carte, corrigée entre 1792 et 1812, porte le nom de Carte de Cassini, la feuille concernant La Teste ayant été publiée en 1804.

Il est donc impossible à la fois de dater un détail, en tenant compte de la date d’édition, ni de dater les cartes à partir des détails qu’elles représentent, d’autant qu’elles ont été réutilisées. Deux exemples le montrent :

  • Belleyme et Cassini dessinent le Fort Quentin (Cantin), pourtant disparu en 1775 (« Les canons de la Roquette », Robert Aufan, SHAA n° 61.) car leurs levés sont de 1763.
  • la carte dite de Mesnil conservée aux archives départementales porte des semis ; ce sont ceux de Brémontier qui ont été rajoutés après 1813. On ne peut donc les attribuer à Desbiey en se basant sur la présence de ce dernier lors de la venue de l’intendant Boutin en 1769 (C’est ce que fait pourtant C. Bousquet Brousselier, op. cit. p. 189.)

Les cartographes du XVIIIe siècle « idéalisent le site » afin de « faire ressortir un message ». Ainsi, ce n’est pas parce que « la facture de la carte est soignée » que « l’image qu’elle donne est réelle ». Catherine Bousquet-Bressolier signale ainsi des bras de mer dont la largeur sur la carte dépend plus de la quantité de poissons qu’on peut y pêcher que de sa taille réelle sur le terrain. Les cartographes ont-ils donc minoré les forêts pour faire ressortir l’invasion des sables ?

Masse, en 1708, est impressionné, dit-il, par « les montagnes de sables ou dunes qui, situées au sud de la forêt d’Arcachon, sont très hautes et difficiles à traverser » (« Mémoire sur la carte du 6e carré, Masse, SHAA n° 78, 1993). Quant à Mesny, vers 1763, il nous raconte qu’observant le signal placé en 1762 par les membres de l’Académie des Sciences sur le point le plus haut de la dune du « Petit Pissens » et le comparant avec celui qu’il plaça lui-même en 1763, il constata que les vents avaient apporté une masse de « 300 pieds-cubes » sur le sud-est. Il estime d’ailleurs à une lieue de large sur 60 de long les dunes à l’ouest de La Teste et cite le bois du Laurey, au dessus du golf actuel, « qui ne représente plus qu’une vingtaine de pieds de pins forts petits et torts » alors qu’il était « selon le témoignage de gens de 45 ans, de plus de 400 arpents »( Mémoire de Mesny, A.D. Gironde C 2413) .

Dans ces conditions, il n’y a que trois cartes fiables, celle du Chevalier de Karnay, reprise en 1772 par Sicre de Cinq Mars, et celles de Clavaux de 1772 et 1776. Le premier représente le Moulleau légèrement à l’intérieur, ce qui prouverait que les sables commencent à le recouvrir, l’autre le situe en bordure de mer. Or, la passe sud qui longe cette parcelle s’est creusée en 1771 de 34 pieds (Bazignan 20 août 1792. A.M. Bordeaux fonds Delpit in SHAA n° 36), entraînant donc une érosion intense de la côte qui remet les sables en mouvement. Mais ni l’un ni l’autre ne dessinent l’ensemble Hourn Somart – Abatilles. Auraient-ils repris les levés terrestres antérieurs, employés qu’ils étaient, l’un pour le balisage des passes, l’autre pour les projets de Monsieur de Civrac entre Lanton et Biganos ?

On ne peut cependant aussi facilement négliger Clavaux. En effet, sur l’espace de dunes blanches entre le Moulleau et Bernet, il indique en 1772 « Fort de M. De Sicre projeté », confirmant ainsi les deux cartes de ce dernier et, en 1776, il note au même endroit « forêt projetée ».

Comme l’acte de 1775 mentionne déjà cette forêt, ses relevés sont donc antérieurs, ce qui est normal, à la date de publication. D’autre part, l’acte de 1775 précise que La Bat de Ninot (au nord) et Les Bettes, au sud, sont affermées, cela indique qu’il s’agit de forêts en production et non de semis. Dans ces conditions, on peut imaginer qu’une avancée de sables a eu lieu entre 1748 et 1772, recouvrant les parcelles de Hourn Somart et des Abatilles où il y a encore en 1775 des « lacs d’eau douce et des sables ». Cela expliquerait la présence sur la carte de Mesnil (et celle de Cassini) de deux îlots (Les Bettes et le Moulleau ?) isolés au sud de la forêt d’Arcachon. Le propriétaire, Peyjehan de Francon, aurait alors procédé à des semis, avant de revendre le tout à Daisson. On pourrait donc imaginer le scénario suivant :

  • 1748 : la forêt est continue de Bernet au Fort Quentin.
  • 1748-1762 : la passe s’installe au sud, l’érosion remobilise les sables, les parcelles de Hourn Somart et des Abatilles sont recouvertes, le Moulleau est isolé. En 1746 déjà, des propriétés du Captal ayant été recouvertes (Mémoire de Ruat du 20 juillet 1776, in SHAA n° 34, 1982), celui-ci avait conçu le projet de former avec les habitants une compagnie par actions destinée à fixer les dunes et vacants. Mais les droits de parcours sur les vacants accordés en 1550 avaient empêché la réalisation du projet. Il faudra attendre 1782.
  • 1763-1772 : semis effectués par Jean Baptiste Peyjehan, seigneur de Francon, reconstituant la forêt depuis Bernet jusqu’aux Bettes ; le Moulleau reste isolé par des dunes où la végétation naturelle a repris. Ces semis vraisemblables, antérieurs à la déclaration royale du 21 mai 1782 qui inféodait les dunes et vacants à Ruat, pouvaient se faire sans attendre cette décision puisqu’il s’agissait d’anciennes forêts privées, non usagères de surcroît.
  • vers 1780 : reprise de la marche des sables qui ne sera stoppée qu’en 1787 par Jean Baptiste Peyjehan jeune et Brémontier. Un document de 1817 le confirme : le 14 avril (A.D. Gironde S3 Dunes), Marie Daisson, veuve Dalis, conteste une décision de Dejean. Il s’agit de la mise en gemmage des semis de l’État et la contestation concerne les bornes entre ses propriétés de Hourn Somart et des Abatilles « toutes trois entourées de semis sauf le Hourn Somart qui, au nord, touche aux pins de M. Peyjehan » et dont les bornes « devraient être des pins vieux de plus de 25 ans qui sont le reste d’autres pièces détruites par les sables dont les auteurs de l’exposante étaient propriétaires et que des personnes encore vivantes ont exploitées ».

Cela veut dire que les deux pièces des Abatilles (Abatilles et Bettes) sont bien le reste d’une forêt qui appartenait aux Daisson et qui, avant 1792, était exploitée. Les pins bornes en question étant à la lisière ouest, on peut donc penser que c’est ce qui bordait la dune des Abatilles semée par l’État en 1810. Cette attaque s’est donc produite entre 1775 et 1781 dans le secteur qui va de l’allée des Mimosas au nord, à l’allée de Luze au sud (soit toute la zone Fronton, Tennis, Tir au Pigeon, Parc des Abatilles, Aérium).

La comparaison de deux cartes marines de Karnay (1768) et Taffard (1810) montre d’ailleurs que la côte a reculé en cet endroit. Il est vraisemblable que les sables accumulés sur le rivage ont été repris par le vent et ont recouvert les dunes côtières. Il n’était pas alors possible de les arrêter puisque l’autorisation royale de planter les dunes côtières ne fut donnée à Ruat que le 31 mai 1782.

Cette invasion de sable a ensuite continué, envahissant le Hourn Somart Peyjehan et rejoignant la Caoudeyre, zone de déflation déjà envahie en 1775. Une lettre du 24 août 1811 (Opinion sur les droits de la commune de La Teste, Lettre reproduite par A. Lalesque Aîné, 27février 1863), adressée par Dejean, inspecteur des semis, à M. Dalis, négociant à Biscarrosse, le prouve : il lui notifie « d’avoir à faire couvrir – par des clayonnages – pendant cette année, la partie de sable blanc qui peut vous appartenir entre vos deux propriétés du Hourn Somar et des Abatilles, ainsi que la portion que vous pouvez avoir de celui qui est au nord du Truc de Peymaou[3], dans l’étendue de la Forêt d’Arcachon ».

Ces pièces n’appartenaient pas à Dalis, héritier des Daisson ; elles correspondent à la parcelle de Hourn Somart Peyjehan et au lieu-dit la Caoudeyre qui cerne, de l’ouest au nord, le Mont des  Rossignols (nom qui, lors de la création de la Ville d’hiver, remplace celui de truc de Peymau). D’ailleurs, une carte anonyme des années 1820, possédée un temps par la Société Scientifique d’Arcachon et dont nous avions pris copie, porte sur cette parcelle la mention « pins de M. Peyjehan » : la matrice cadastrale de 1818 qui attribue cette parcelle n° 24 de 16 arpents, 46 perches et 66 mètres carrés à Pierre Peyjehan, père, juge de paix. Son second fils, Auguste Peyjehan, la conservera en copropriété avec son neveu P.J. Baleste Marichon de 1827 (Pierre est mort le 27 février) jusqu’en 1848, avant qu’elle n’échoie aux Nouaux. Elle est donc ensemencée entre 1812 et 1818.

Quant à la Caoudeyre qui confronte au levant La Bat de Ninot et au nord Binette, elle sera jointe en 1812 à ces deux parcelles privées pour se retrouver ensuite dans les semis de l’État. Elle a donc été ensemencée par l’État qui ne l’a pas rétrocédée à leurs anciens propriétaires malgré l’article 1 du décret du 14 décembre 1810. En effet, la plupart des propriétaires ont, à la suite des Peyjehan, renoncé à  toute propriété sur les anciens sables fixés par l’Administration.

Quelle fut l’attitude des habitants face à cette situation ? Toutes ces parcelles ne sont donc pas usagères. Pourtant, dans l’esprit de la population, il en est autrement. L’exemple, en 1841, des démêlés entre Nelly Robert, propriétaire de Binette, et Daussy fils aîné, de Gujan, (Registre des délibérations du Conseil Municipal de Gujan, 24 octobre 1841) illustre bien cette différence d’appréciation. Ce dernier est traduit devant le juge de paix en vue d’avoir à payer 80 francs de dommages et intérêts, parce qu’il a, chez Nelly, à Binette, « fait couper des branches d’arbousiers pour faire des ganchots destinés à élever les rameaux de la vigne au dessus de la terre ». Daussy affirme que la pièce de Binette a toujours été soumise à l’usage « même si en 1746, on a fait des tentatives pour en soustraire cette pièce » puisqu’en 1759, une nouvelle transaction affirme que les droits « s’étendraient indifféremment sur toute l’étendue des dites forêts ».

Il y a, dans l’esprit de cet usager et du Conseil Municipal de Gujan qui l’appuie, une mauvaise interprétation des textes : l’adverbe « indifféremment » concerne exclusivement le bois de chauffage dont, en 1746, les propriétaires ont voulu limiter l’usage aux « braus et bernèdes » (marais et aulnaies). Le texte de la transaction précise d’autre part que celle de 1746, dans laquelle les pièces exclues ont été énumérées, sera exécutée selon sa forme et teneur « dans tous les points et clauses sur lesquels il n’aura pas été dérogé » par celle de 1759.

Or, non seulement le texte de 1759 n’aborde jamais cette question, mais encore, dans le relevé des contestations qui justifient le nouvel accord, il n’est question, pour les restrictions territoriales, que de ce qui concerne le bois de chauffage. Nous aurons l’occasion de constater d’autres interprétations tendancieuses.

Il est cependant certain que toutes ces parcelles non soumises à l’usage n’opposent donc aucun obstacle à une urbanisation. Or, en dehors de cabanes forestières appartenant à leurs propriétaires et d’une construction élevée près de l’église (parcelle de Binette) mais détruite en 1855, elles restent intactes jusqu’au cantonnement des droits.

Il n’est pas bon, en effet, de construire sur cette côte qui recule inexorablement, noyant petit à petit la forêt ancienne tout comme les 80 hectares de semis effectués au bord de la mer dès 1787-88 par Brémontier et Peyjehan.

Une preuve de ce recul est donnée par les calculs de G. Granjean en 1897, concernant la maison forestière du Moulleau : en 1812, elle se trouvait à 480 mètres de la plage et n’en était plus qu’à 167 mètres en 1852, soit un recul de 313 mètres. Ces parcelles non seulement n’ont pas été urbanisées avant 1855, mais elles sont restées entre les mains des mêmes familles. Cela nous amène à une autre constatation qui ressort de nos recherches cadastrales et notariales, à savoir la permanence de la propriété foncière. 

 

Robert Aufan http://naissancedarcachon.free.fr/

https://bassindarcachon.com/histoire_locale.aspx?id=119

[1] – Les cartes utilisées sont les suivantes : Masse 1708 (IGN)./ Mesny AD Gironde C 4673. / Cassini (IGN). / Chevalier de Karnay BN 58-2-4 in SHAA n°36,1983, p. 76. / Sicre de Cinq Mars, 1772 (IGN). / Clavaux 1772, Société Archéologique de Bordeaux, / 1774, B.N. in SHAA n° 36, 1983. / Belleyme (IGN). / Bazignan, 1972, in SHAA n° 36, 1983.

[2] – « Les aménagements du Bassin d’Arcachon au XVIIIe siècle », Catherine Bousquet-Bressolier, F. Bouscau et M.J. Pajot, mémoires du laboratoire de géomorphologie de l’École Pratique des Hautes Études, n° 43, Dinard 1990.

[3] – Pey de Mau apparaît en 1518 ; en 1562, on l’écrit déjà Peymau. Or Pey, qui signifie Pierre, est aussi, en Médoc, un tertre, une éminence (alors qu’ailleurs un sommet est un puch, truc ou tuc. Si c’est le cas, le Truc de Peymaou, est une tautologie !

https://archives.gironde.fr/ark:/25651/vtaaf4784f1a821d713/daoloc/0/layout:linear/idsearch:RECH_cd43836251b78af962ce3bfec54967e0#id:1608039863?gallery=true&brightness=100.00&contrast=100.00&center=7716.767,-3218.114&zoom=17&rotation=0.000

1869 – Dunes du golfe de Gascogne / Gironde, Monteil

Carte générale des dunes du golfe de Gascogne, indiquant la situation des semis exécutés… depuis 1790 jusqu’à 18..,

Gardes côte

attribuée à Monteil Ponts et chaussées, département de la Gironde ; gravé par Regnier et Dourdet, Graveur

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b531564855.r=%22Carte%20g%C3%A9n%C3%A9rale%20des%20dunes%20du%20golfe%20de%20Gascogne%22?rk=42918;4

Carte générale des dunes du golfe de Gascogne, indiquant… la situation des semis exécutés… depuis 1790 jusqu’à 18.. / attribuée à de Villeneuve Ponts et chaussées, département des Landes ; gravé par Regnier et Dourdet

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53156486m/f1.item

1875 – Dunes du golfe de Gascogne, Ponts et chaussées

Carte générale des dunes du golfe de Gascogne, indiquant… la situation des semis exécutés… depuis 1790 jusqu’à 18.. Service des Ponts et chaussées de la Gironde.

 

 

 

 

1876 – Dunes de La Teste, E. Reclus

Élisée Reclus, dans son ouvrage intitulé « Étude sur les Dunes[1] », ouvrage publié en 1865, nous décrit ainsi les dunes de La Teste : «Aux environs d’Arcachon et de la Teste, toutes les hautes cimes de la chaîne des sables ont cette apparence de volcans effondrés et se distinguent par la riche végétation d’ajoncs, de genêts et d’arbousiers qui remplit leurs cratères ou crouhots. Dans les parties du littoral des landes où la rondeur cratériforme des dunes s’est oblitérée, c’est évidemment parce que deux ou plusieurs monticules ont été réunis et pour ainsi dire fondus ensemble par le vent.

[…]

En Europe, les plus hauts monticules de sable se trouvent sur le littoral des Pays Bas et sur les côtes atlantiques de la France.

Sur le littoral des landes de Gascogne, auquel les vagues apportent chaque année 6 million de mètres cubes de sable, un très grand nombre de dunes dépassent une élévation de 75 mètres ; il en existe une, celle de Lascours, dont la longue croupe parallèle au rivage de la mer atteint en plusieurs endroits 80 mètres et dresse son dôme culminant à une altitude de 89 mètres. Il est vrai que cette hauteur semble marquer en France, l’extrême limite ascensionnelle des sables, car les rangées de dunes parallèles situées à l’est de la dune de Lascours sont beaucoup moins élevées… »

Le nom Pilat, déjà présent sur les cartes de Masse (1708) et de Cassini (1786) avec le « petit bassin du Pilat », les « balises du Pilat », des « cabanes du Pilat » et la « grande passe du Pilat ou passe du Sud », correspond à un lieu situé plus au sud de celui de la dune que nous connaissons sous ce nom aujourd’hui et vraisemblablement au large de la côte actuelle.

Nous sommes ici dans un pays de dunes mobiles et au fil du temps, le littoral et son relief ne cessent de se modifier, avançant vers l’est, vers l’intérieur des terres.

Jusqu’au début du XXe siècle, le secteur du Pilat s’appelle « les Sabloneys » (littéralement « sables nouveaux » en gascon) et aucune route carrossable n’y mène. Ce changement d’appellation a pour origine une opération immobilière. Lorsque vers 1910, le développement de l’habitat opéré sur la partie côtière de la commune d’Arcachon atteint le sud du Moulleau, les promoteurs immobiliers qui convoitent des terrains sur la partie testerine qui prolonge la côte vers le sud, sont confrontés à un problème de taille : le territoire appartient à l’État qui ne veut pas vendre.

Un de ces promoteurs, Daniel Meller, propose alors et obtient de l’administration une transaction : en échange de 463 hectares de terrain qu’il achète sur la commune de La Teste (sur les bords du lac de Cazaux), il obtient 143 hectares entre Le Moulleau et la dune du Pilat. En référence à la grande dune voisine qui forme un monticule de sable, il choisit de baptiser l’endroit « Pyla-sur-Mer ». Un peu plus tard, en 1927, un autre promoteur, Louis Gaume, crée « Pilat-Plage ». C’est à peu près vers les années 1930 que le vieux nom « Sabloney » est remplacé par « dune du Pilat ».

Aujourd’hui, « les Sabloneys » désignent une petite plage au sud de la grande dune.

Le nom officiel de la dune est bien “Dune du Pilat”. La dénomination d’origine Pilat provient du gascon pilhar signifiant tas, monticule.

https://www.amazon.co.uk/Dunes-Teste-Gironde-Ferret-Arcachon/dp/B07VK6TLT8

http://promenade34.free.fr/Documents/GranSit015.htm

 

Jacques Élisée Reclus, né le 15 mars 1830 à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) et mort à Thourout en Belgique le 4 juillet 1905, est un géographe et militant anarchiste français.

Communard, théoricien anarchiste, c’est un pédagogue et un écrivain prolifique. Membre de la Première Internationale, il rejoint la Fédération jurassienne après l’exclusion de Michel Bakounine. Avec Pierre Kropotkine et Jean Grave, il participe au journal Le Révolté.

En octobre 1894, avec d’autres professeurs démissionnaires, il crée à Bruxelles l’Université nouvelle.

 

Citoyen du monde avant l’heure, précurseur de la géographie sociale, de la géopolitique, de la géohistoire et de l’écologie, il est également végétarien, naturiste, partisan de l’union libre et espérantiste.

Ses ouvrages majeurs sont La Terre en 2 volumes, sa Géographie universelle en 19 volumes, L’Homme et la Terre en 6 volumes, ainsi que Histoire d’un ruisseau et Histoire d’une montagne. Penseur vivant de ses écrits, il publie également près de 200 articles géographiques, 40 articles sur des thèmes divers et 80 articles politiques dans des périodiques anarchistes.

Son père Jacques Reclus, né en 1796, est un pasteur calviniste (tout d’abord rémunéré par l’État, puis indépendant) et est aussi, quelques années, professeur au collège protestant de Sainte-Foy-la-Grande. Le pasteur a, avec son épouse Zéline Trigant-Marquey (1805-1887), quatorze enfants (il y eut peut-être encore trois fausses couches), dont trois filles qui meurent jeunes.

Élisée Reclus est le frère de l’ethnographe et militant anarchiste Élie Reclus, du géographe Onésime Reclus, de l’officier de marine et explorateur Armand Reclus, du chirurgien Paul Reclus, le cousin germain de Pauline Kergomard née Reclus, fondatrice des écoles publiques maternelles françaises, l’oncle de Paul Reclus, qui le seconde dans ses travaux à la fin de sa vie, l’oncle de l’historien d’art Élie Faure, fils de sa sœur Zéline Reclus, épouse Faure (1836-1911), l’oncle du haut fonctionnaire Maurice Reclus dernier fils d’Onésime Reclus, le cousin de Franz Schrader (1844 Bx-1924), géographe, alpiniste, cartographe et peintre paysager, fils de sa cousine germaine Marie-Louise Ducos, le grand-oncle du militant anarchiste et sinologue Jacques Reclus (1894-1984), fils de Paul Reclus et petit-fils d’Élie Reclus.

Quatrième enfant du pasteur Jacques Reclus, Élisée est élevé jusqu’à l’âge de 8 ans par ses grands-parents maternels, à La Roche-Chalais en Dordogne, à la suite de la décision prise par son père de ne plus être pasteur rétribué. En 1838, il regagne le foyer parental, à Orthez.

En 1842, alors qu’il est âgé de douze ans, son père, qui souhaite le destiner à une charge de pasteur, l’envoie rejoindre son frère Élie à Neuwied, en Prusse sur les bords du Rhin, dans un collège tenu par des pasteurs luthériens Frères moraves. Mais Élisée supporte mal le caractère superficiel de l’enseignement religieux de cette école : il rentre en 1844 à Orthez en passant par la Belgique. Son séjour à Neuwied n’est cependant pas entièrement négatif : il a l’occasion d’y apprendre des langues vivantes (allemand, anglais, néerlandais) et le latin, ainsi que d’y rencontrer des personnalités qu’il reverra plus tard.

Avec son frère aîné Élie, jusqu’en 1847, il loge pendant quatre ans (1844-1848) chez la sœur de sa mère, Louise Trigant (1812-1897) épouse du riche notaire Pierre Léonce Chaucherie (1811-1885), à Sainte-Foy-la-Grande où il est inscrit au collège protestant de cette ville pour y préparer le baccalauréat, obtenu à l’université de Bordeaux à l’été 1848. Il rencontre vraisemblablement à cette période un ancien ouvrier parisien, ce qui lui permet de lire Saint-Simon, Auguste Comte, Fourier et Lamennais.

En 1848-1849, Élisée et Élie suivent des études de théologie à la faculté de théologie protestante de Montauban. Ils en sont exclus à l’été 1849 pour des raisons politiques, à la suite d’une fugue qu’ils font en juin vers la Méditerranée. C’est sans doute au cours de ces années qu’il prend goût à ce qui deviendra sa conception de la géographie sociale. Élisée perd très vite la foi et est séduit par les idéaux socialistes de son époque. Il décide alors d’abandonner définitivement les études théologiques. Il se rend cependant au collège de Neuwied, où il est engagé comme maître répétiteur (1850).

Il est à nouveau déçu par l’atmosphère du collège, qu’il quitte pour se rendre à Berlin en 1851. Vivant assez chichement de leçons de français, il s’inscrit à l’université et, pendant un semestre, il y suit notamment les cours du géographe allemand Carl Ritter dont il devient le disciple.

À l’été 1851, Élisée retrouve son frère Élie à Strasbourg et, ensemble, ils décident de rentrer à Orthez (via Montauban) en traversant la France, à pied, ce qui a certainement contribué à former son caractère. Acquis dès cette époque aux idées politiques progressistes et anarchistes, il écrit son premier texte d’inspiration libertaire, Développement de la liberté dans le monde, où il évoque « l’anarchie, la plus haute expression de l’ordre ». L’article est publié, vingt ans après sa mort, en 1925, dans Le Libertaire.

À Orthez, apprenant le coup d’État du 2 décembre 1851, les deux frères manifestent publiquement leur hostilité au nouveau régime et leur engagement républicain. Menacés d’être arrêtés, ils s’embarquent pour Londres où ils connaissent l’existence miséreuse des exilés. Élisée ne reverra la France qu’en 1857.

À Londres, il prend la mesure de l’humiliation qu’engendre la pauvreté. Élisée vit chichement de quelques leçons. En Irlande, où il est en 1853 régisseur d’un domaine agricole à Blessington, dans le comté de Wicklow, il découvre la pauvreté de la campagne irlandaise encore très marquée par la grande famine de 1847 et la dureté de la domination coloniale anglaise.

En décembre 1853, il s’embarque pour La Nouvelle-Orléans où il arrive en janvier 1854. Il y exerce divers petits métiers dont celui d’homme de peine, puis est embauché comme précepteur des trois enfants d’une famille de planteurs d’origine française, les Fortier. C’est au cours de cette période qu’il est confronté à une nouvelle situation de domination, la société esclavagiste des planteurs. Révolté par la condition des esclaves dont il vit indirectement pendant près de deux ans (1854-1855), il sera un partisan indéfectible des Nordistes durant la guerre de Sécession.

Le 30 mai 1855, à Bordeaux, Élie Reclus épouse sa cousine germaine Noémi Reclus (1828-1905), fille cadette de son oncle Jean Reclus et sur qui planait la menace de rester vieille fille. Ce mariage correspond au type anthropologique du « mariage arabe » (appellation de l’époque coloniale), l’union avec la « fille de l’oncle » ou cousine parallèle paternelle (FBD pour les anthropologues : father’s brother’s daughter) ; le jour de la noce, Élie dit à Noémi (propos rapportés par Nadar) : « il faut avant tout bien s’entendre. Si vous voulez, nous conviendrons de ceci : cinq francs par jour chacun. Au-dessus de dix francs, ce ne sera plus à nous. » Par ce mariage, Élie devient ainsi le beau-frère du secrétaire particulier du préfet Georges Haussmann. Élie et Noémi Reclus vont s’installer dans le quartier des Ternes alors intégré à la commune de Neuilly-sur-Seine. Pour faire vivre son ménage et grâce à ses relations (le juriste Charles Lemonnier, que les Pereire consultent pour leurs affaires), Élie occupe un emploi au bureau du contentieux au Crédit mobilier, la banque fondée en 1852 par les frères Pereire (créateurs de la « ville d’hiver » d’Arcachon). Durant ces années, Élie passe des vacances d’été dans la propriété du phalanstère fouriériste de Condésur-Vesgres dans la forêt de Rambouillet, fondée en 1832 mais que l’association du Ménage sociétaire, réunissant une quinzaine de familles, a refondé en 1850 [elle vit encore aujourd’hui, souvent avec les descendants de ces familles].

Il forme le projet de s’installer en Amérique du Sud comme agriculteur et de faire venir auprès de lui son frère Élie et sa femme Noémi. En mars 1856, il part donc pour la Colombie (alors Nouvelle-Grenade), par Cuba et la province colombienne du Panama. Il essaie pendant sept mois (septembre 1856-mars 1857) de s’installer comme planteur de bananes, de café et de canne à sucre. Peu doué pour les affaires, sans capitaux suffisants pour créer son exploitation, affaibli par les fièvres, l’échec est total. Il quitte la Colombie en juillet 1857 grâce à l’argent envoyé par son frère aîné qui lui permet de payer ses dettes et son billet pour le retour.

En août 1857, Élisée arrive en France et se fixe chez son frère Élie, à Neuilly-sur-Seine (partie occidentale du 17e arrondissement de Paris en 1860).

À l’automne 1857, Elisée passe quinze jours à Orthez, où il note la diffusion des batteuses à froment dans la campagne et la dépopulation des petites villes ; de là, excursion jusqu’aux dunes des Landes avec Onésime (découverte d’Arcachon) […]

Les deux frères rencontrent Auguste Blanqui et Pierre-Joseph Proudhon. Tout en donnant des cours de langues étrangères, Élisée s’engage dans ce qui deviendra sa principale occupation : il entre à la Société de géographie le 2 juillet 1858.

Fin 1858, il retourne à Orthez en compagnie de son père qui revient d’Angleterre, où il est allé chercher des aides financières pour un asile de vieillards qu’il a créé à Orthez.

Le 11 mars 1858, il est initié dans la loge maçonnique, Les Émules d’Hiram, du Grand Orient de France. Il n’y est jamais actif et au bout d’un an il s’éloigne de la franc-maçonnerie.

Le 13 décembre 1858, il se marie civilement avec Clarisse Brian et il retourne à Paris où il forme un ménage communautaire avec son frère Élie, marié à leur cousine germaine paternelle Noémi Reclus (1828-1905).

De 1859 à 1868, Élisée  Reclus contribue à l’influente Revue des Deux Mondes où il donne des articles de géographie, de géologie, de littérature, de politique étrangère, d’économie sociale, d’archéologie et de bibliographie, qui sont fort remarqués. Fin décembre 1858, la maison Hachette recrute Élisée pour rédiger des guides pour voyageurs (guides Joanne), dont le Guide du voyageur à Londres et aux environs (1860), ce qui l’amène à parcourir la France et divers pays d’Europe occidentale (Allemagne, Suisse, Alpes italiennes, Angleterre, Sicile, Pyrénées espagnoles). Son premier livre tout à fait personnel, Voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe, un récit de son aventure colombienne, est publié chez Hachette en 1861.

En 1862, Élisée se rend à Londres à l’occasion de l’Exposition universelle, dont il signe le guide Joanne chez Hachette.

« Arcachon ressemble d’une manière étonnante à ces villes américaines qui s’installent en pleine forêt vierge et projettent leurs rues dans la solitude, sans se préoccuper des obstacles » : ainsi parle, en 1863, Elisée Reclus, face au chantier de la Ville d’hiver lancé par la Compagnie des chemins de fer du Midi.

De 1863 à 1871, les deux frères font de fréquents séjours à Vascœuil (Eure, Normandie) chez leur ami Alfred Dumesnil (1821-1894), gendre de Jules Michelet.

Les liens de Jules Michelet (1798-1874) avec le château de Vascœuil tiennent à la relation que l’historien entretient à partir de 1840 avec Adèle Dumesnil, châtelaine de Vascœuil et mère d’un de ses élèves, Alfred Dumesnil, alors qu’il est professeur au Collège de France. Michelet et Adèle Dumesnil nouent rapidement une amitié amoureuse et le grand historien séjourne à plusieurs reprises à Vascœuil. La mort d’Adèle Dumesnil, atteinte d’un cancer, le 31 mai 1843, ne rompt pas, dans un premier temps, les liens de l’historien avec Vascœuil maintenus par le mariage de sa fille, Adèle Michelet, avec Alfred Dumesnil, le 4 août 1843.

Adèle Dumesnil, la fille de l’historien, étant décédée en 1855, Alfred Dumesnil, veuf, épouse, en 1871, Louise Reclus (1839-1917), sœur d’Élisée et d’Élie, qu’il employait depuis 1863 comme gouvernante de son château de Vascœuil et préceptrice de ses deux filles Jeanne Dumesnil (1851-1940) et Camille Dumesnil (1854-1940).

Le 1er octobre 1863, il est parmi les fondateurs de la Société du Crédit au Travail, banque dont le but est d’aider à la création de sociétés ouvrières. En juin 1864, avec son frère Élie Reclus, il est l’un des vingt-sept fondateurs de la première coopérative parisienne de type rochdalien (quelle que soit sa participation au capital social, un homme = une voix) : l’Association générale d’approvisionnement et de consommation. Élisée est élu secrétaire de L’Association, bulletin international des coopératives, fondé le 1er novembre 1864. Il collabore à La Coopération, qui lui succède. En 1866, il fait partie avec Élie d’une société coopérative d’assurances sur la vie humaine créée à Paris sous le nom de L’Équité.

En septembre 1864, les deux frères Élie et Élisée adhèrent à la section des Batignolles de l’Association internationale des travailleurs fondée le 28 septembre à Londres (AIT, Première Internationale).

En novembre de la même année à Paris, Élie et Élisée rencontrent Bakounine avec qui ils entretiennent des liens amicaux et politiques forts. Ils militent ensemble à la Fraternité Internationale, société secrète fondée par Bakounine. En 1865, Élisée se rend à Florence, où il revoit Bakounine et fait la connaissance de révolutionnaires italiens.

En 1867, Élisée participe à deux réunions internationales : du 2 au 7 septembre, deuxième Congrès de l’Association internationale des travailleurs à Lausanne et du 9 au 12 septembre, premier Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté à Genève. Du 21 au 25 septembre 1868 il participe activement au 2e Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté, à Berne. Il y fait une intervention que l’on considère généralement comme sa première adhésion publique à l’anarchisme. Élisée, Mroczkowski, Bakounine et quelques autres s’opposent à la majorité des congressistes sur la question de la décentralisation. Ils en tirent les conséquences et quittent la Ligue.

Parallèlement, Élisée publie chez Hachette en 1867 et 1868 (datés 1868 et 1869) les deux volumes d’un magistral traité de géographie générale, La Terre, description des phénomènes de la vie du globe, qui lui assure une grande renommée dans les milieux intellectuels européens et sera, a posteriori, la première œuvre de sa vaste trilogie géographique avec la Nouvelle Géographie universelle (1875-1893) et L’Homme et la Terre (1905-1908).

En 1868, il adhère à l’Alliance internationale de la démocratie socialiste fondée par Bakounine et admise, en juillet 1869, par le Conseil général de l’Association internationale des travailleurs, au nombre des sections genevoises. Le 6 juillet et le 17 août 1869 à Londres, Élisée assiste, à titre d’invité, à deux séances du conseil général de la Première Internationale.

En avril 1869, Élisée Reclus est en excursion à Arcachon.

En 1869, il publie chez Pierre-Jules Hetzel son Histoire d’un ruisseau. Soucieux de donner un foyer à ses filles, confiées à deux de ses sœurs à la suite de la mort de sa femme Clarisse le 22 février 1869, Élisée et Fanny L’Herminez, une institutrice venue d’Angleterre, déclarent s’accepter librement l’un l’autre pour « époux » le 26 juin 1870 lors d’une réunion de famille à Vascœuil.

Le 8 septembre 1869, à Orthez, Ioana Reclus (« institutrice privée » sur l’acte de mariage) épouse un lointain cousin, Élie dit Édouard Bouny (1842-1899), né le 19 juin 1842 à Sainte-Foy-la-Grande, fils de François Bouny, 62 ans, « propriétaire », et Octavie Jouhanneau, 60 ans ; il est notaire dans cette ville et apparenté aux Reclus depuis au moins le XVIII s. (deux sœurs de l’arrière-grand-père Reclus de Ioana ont épousé des Bouny autour de 1740) ; les témoins sont François Octave Bouny, frère aîné (31 ans) d’Édouard et « négociant » à Sainte-Foy-la-Grande, François Trigant-Geneste (« employé des contributions indirectes »), alors domicilié à Bordeaux-Labastide, Onésime Reclus (« hommes de lettres ») et son frère Paul Reclus (« étudiant en médecine ») venus de Paris. Magali Reclus, fille aînée d’Elisée âgée de 9 ans, signe le registre. Désormais, en dehors de leurs visites et pour la première fois depuis 1824, Jacques et Reclus n’ont plus aucun de leurs enfants à leur domicile, et tous ont quitté la ville d’Orthez ; mais ils ont encore à charge Magali, la fille aînée d’Elisée, en attendant d’accueillir en résidence temporaire d’autres petits-enfants.

Durant la guerre franco-prussienne de 1870, puis la Commune de Paris, Élisée s’engage activement dans l’action politique et militaire. À l’automne 1870, pendant le siège de Paris par les Prussiens, il s’engage comme volontaire au 119e bataillon de la Garde nationale, puis dans le bataillon des aérostiers dirigé par le photographe Nadar qui devient un ami intime.

En décembre, il participe, avec André Léo, Benoît Malon et son frère Élie Reclus, à la création du journal La République des travailleurs.

Il tente de se présenter aux élections législatives du 8 février 1871 à Orthez, sans succès (il n’a pas eu le temps de faire inscrire sa candidature).

Après la proclamation de la Commune, le 18 mars 1871, il s’engage comme volontaire dans la Fédération de la Garde nationale. Le 4 avril 1871, à l’occasion d’une sortie confuse à Châtillon, il est fait prisonnier le fusil à la main par les Versaillais. Emprisonné au camp de Satory à Versailles, il est rapidement transféré en rade de Brest, au fort de Quélern, puis sur l’île Trébéron, avant de revenir en banlieue parisienne pour y être jugé. Il connaît en tout une quinzaine de prisons en onze mois de captivité (avril 1871-mars 1872).

Le 15 novembre 1871, le 7e Conseil de guerre le condamne à la déportation simple (transportation) en Nouvelle-Calédonie. Sa renommée scientifique, ainsi que les réseaux créés par son frère Élie dans les milieux intellectuels et coopératifs britanniques, valent à Élisée une pétition de soutien regroupant essentiellement des scientifiques britanniques et réunissant une centaine de noms (dont Charles Darwin) : le 3 février 1872, la peine est commuée en dix années de bannissement. Élisée Reclus se refuse à signer un recours en grâce. Sa peine sera remise le 17 mars 1879.

Il n’est pas encore sorti de prison qu’il fait paraître une chronique de Géographie générale en 25 épisodes (du 15 février 1872 au 5 juin 1875) dans La République française, le quotidien de Léon Gambetta, auquel sont liés son beau-frère Germain Casse comme journaliste (et député en 1873), et comme administrateur Paul Frédéric Hickel, notaire et frère cadet de son ami intime décédé Gustave Hickel. Cette série d’articles géographiques constitue un trait d’union entre l’épisode de la Commune et le début de la parution en feuilleton hebdomadaire de sa Nouvelle Géographie universelle, le 8 mai 1875.

À la suite de sa commutation de peine, Élisée, sa compagne et ses deux filles séjournent en Suisse, à Lugano (1872-1874).

Élisée assiste au congrès de la Paix de Lugano (septembre 1872), et fonde une section internationaliste en 1876 à Vevey, avec son ami cartographe Charles Perron, qui dessine pour lui dans la Nouvelle Géographie Universelle. La section publie un journal, Le Travailleur, prônant notamment l’éducation populaire et libertaire.

En février 1874, sa compagne Fanny meurt en couches, ainsi que leur nouveau-né prénommé Jacques : Élisée et ses filles quittent le Tessin et s’installent au bord du lac Léman, dans le canton de Vaud : à La Tour-de-Peilz (1874-1875), Vevey (1875-1879), puis Clarens (1879-1890).

Le 10 octobre 1875, il s’unit à Ermance Gonini, veuve d’un cousin Trigant-Beaumont de la mère des Reclus, et mère adoptive d’une fille d’un couple de sauniers charentais, Sophie Guériteau, dite Georgette Gonini (qui s’unira en 1889 au graveur William Barbotin). Héritière d’une petite fortune, Ermance fait construire une maison à Clarens, au bord du lac Léman (1876-1879), où la famille s’installe de 1879 à octobre 1890.

En Suisse, il est membre de la Fédération jurassienne où il acquitte sa cotisation de membre « central ».

Il entretient des relations suivies avec Michel Bakounine dont il publie et préface, en 1882, Dieu et l’État, puis avec Pierre Kropotkine dont il fait la connaissance en février 1877. Une grande amitié le lie en outre à James Guillaume.

En 1873 et 1874, il collabore à l’Almanach du peuple, et en 1877, à La Commune. Le 19 mars 1876 à Lausanne, il affirme son communisme libertaire lors d’une réunion commémorative de la Commune de Paris.

Le 3 juillet 1876, à Berne, il assiste aux obsèques de Bakounine et prononce un discours funèbre.

Au printemps 1877, il lance à Genève la revue Le Travailleur avec son camarade et collaborateur Charles Perron, ainsi que Nicolas Joukovsky et Alexandre Oelsnitz, dans laquelle ils se déclarent « anarchistes ».

Amnistié en 1879, il reste à Clarens où il collabore au journal Le Révolté dirigé à Genève par Pierre Kropotkine et François Dumartheray, puis par Jean Grave. Les persécutions de la police suisse conduisent au transfert du titre à Paris en 1885.

Les 9 et 10 octobre 1880, il participe au congrès de la Fédération jurassienne. Il y définit son communisme libertaire, « conséquence nécessaire et inévitable de la révolution sociale » et « expression de la nouvelle civilisation qu’inaugurera cette révolution », et qui implique notamment « la disparition de toute forme étatiste » et « le collectivisme avec toutes ses conséquences logiques, non seulement au point de vue de l’appropriation collective des moyens de production, mais aussi de la jouissance et de la consommation collectives des produits » (Le Révolté, 17 octobre 1880).

En 1883, les autorités tentent de l’impliquer dans le procès des 66 mené, à Lyon, contre Kropotkine. Il est présenté comme son collaborateur dans l’organisation du « parti anarchiste international », alors que l’anarchisme, par définition, ne se prête guère à une discipline ni à une hiérarchie. Il écrit au procureur général pour se mettre à sa disposition et finalement les poursuites sont abandonnées.

Pendant toute cette période, il rédige certains de ses grands textes géographiques : Histoire d’une montagne (1876, puis 1880 pour l’édition définitive chez Pierre-Jules Hetzel), ainsi que les premiers volumes de sa Nouvelle Géographie universelle, dont la publication est poursuivie régulièrement chez Hachette de 1875 à 1893.

Il continue aussi à voyager (Italie, Algérie, États-Unis, Canada, puis Brésil, Uruguay et Argentine). En février 1886, il se rend à Naples et y rencontre le révolutionnaire hongrois Kossuth. En octobre 1890, Élisée et sa famille reviennent en France et se fixent en banlieue parisienne à Nanterre (1890-1891), Sèvres (1891-1893), enfin Bourg-la-Reine (1893-1894).

En Italie, Élisée Reclus identifie la villa de Pline dans un ancien village nommé Lierna surplombant un rocher sur la rive du lac de Côme, dite la Villa Commedia, aujourd’hui détruite ; d’autres croient que ce n’était pas loin mais plus près du lac et sur les pentes d’un rocher culminant sur l’eau. Sur cette zone, en 1876, un ancien trottoir romain a été trouvé, démontrant le lien avec la présence de la « Villa Commedia » mentionnée par Pline : (…l’une de ces deux villas).

Fin janvier 1891, ainsi que l’année suivante à la même époque, Élisée Reclus passe par Arcachon, où résident son ami Nadar, villa Olivier, et sa sœur Ioana Reclus (Bouny), villa des Sablines. Il prédisait que « grâce au commerce, qui ne peut manquer de s’accroître en même temps que la population riveraine du bassin et la richesse des habitants, d’autres améliorations se réaliseront successivement : les dangers du passage seront balisés d’une manière plus complète, des pilotes iront au-devant des navires pour leur montrer la passe ; des remorqueurs les saisiront à l’entrée et les mèneront jusque dans la rade. La barre d’Arcachon cessera d’être un épouvantail ; les marins étrangers apprendront à la braver comme ils affrontent déjà depuis des siècles la barre bien plus redoutable de l’Adour, et tôt ou tard on verra les prés salés de La Teste transformés en docks et le grand mouillage de Piquey couvert de bâtiments.

Certes la France serait coupable, comme nation, si elle ne trouvait pas le moyen d’utiliser cet admirable bassin, qui pourrait donner asile à des milliers de navires ; mais tous les progrès sont solidaires, et puisque l’immense désert des landes est graduellement conquis à l’agriculture, on peut espérer aussi que le commerce s’emparera bientôt de cette petite mer d’Arcachon, naguère si peu connue. »

La Nouvelle Géographie universelle lue en français ou en traduction dans le monde entier, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud aussi bien qu’en Australie, en Perse ou en Chine, lui vaut une célébrité internationale, unique pour un géographe de langue française et qui en fait, de son vivant, un égal en renommée planétaire de Victor Hugo ou de Louis Pasteur. Elle lui fait également recevoir, entre autres, les prestigieuses distinctions de trois sociétés savantes : en novembre 1891, la grande médaille d’honneur annuelle de la Société de topographie de France alors présidée par le contrôleur général de l’armée Léonard Martinie ; en février 1892, et « à titre exceptionnel » car normalement réservée aux explorateurs, la grande médaille d’or de la Société de géographie de Paris ; en mai 1894, la médaille d’or annuelle (Patron’s Medal) de la Royal Geographical Society de Londres.

En 1892, à la suite de la condamnation de Ravachol, les anarchistes sont de plus en plus étroitement surveillés par la police, et Élisée Reclus a presque achevé sa Nouvelle Géographie universelle, si bien qu’il décide d’accepter une proposition de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui lui offre une chaire de géographie comparée en lui décernant le titre d’agrégé de la Faculté des sciences.

Ses cours doivent commencer en mars 1894, mais deux événements modifient son entrée dans une carrière professorale en Belgique. Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe à la Chambre des députés à Paris. Recherché parce qu’il a reçu la visite de Vaillant peu avant l’attentat, son neveu Paul Reclus est en fuite. Le géographe est jugé moralement coresponsable de l’attentat par les autorités judiciaires françaises. Au même moment, un texte de Reclus intitulé « Pourquoi sommes-nous anarchistes ? » est diffusé sur le campus bruxellois. Dans ce texte, il condamne la bourgeoisie, les prêtres, les rois, les soldats, les magistrats qui ne font qu’exploiter les pauvres pour s’enrichir. C’est un véritable appel à la révolution : l’unique moyen d’arriver à l’idéal anarchiste, c’est-à-dire à la destruction de l’État et de toutes autorités, par « l’action spontanée de tous les hommes libres ».

En sa séance du 30 décembre 1893, le conseil d’administration de l’ULB prie Élisée Reclus de reporter son cours sine die, ce qui provoque la démission du recteur de l’université Hector Denis et de plusieurs professeurs. L’idée apparait de créer une institution concurrente, la « Nouvelle » Université libre de Bruxelles ou Université nouvelle, répondant mieux aux convictions philosophiques matérialistes et positivistes. Plusieurs professeurs étrangers se déclarent prêts à venir y donner cours.

Le 30 janvier 1894, alors que l’Université libre de Bruxelles est fermée pour une durée indéterminée, les premiers cours de la Nouvelle Université sont donnés, rue du Persil à Bruxelles, dans les locaux de la loge maçonnique « Les Amis philanthropes », elle-même à l’origine de la fondation de l’ULB en 1834. L’Université nouvelle est fondée officiellement le 25 octobre 1894 : elle est ouverte aux théories positivistes et basée sur le libre examen. Ses professeurs ne reçoivent aucune rémunération. Élisée Reclus s’installe à Ixelles, en banlieue sud de Bruxelles, ainsi que son frère Élie brièvement emprisonné le 1er janvier 1894 à Paris en raison de la fuite de son fils aîné Paul Reclus ; Louise Dumesnil, sœur d’Élie et Élisée et veuve d’Alfred Dumesnil depuis février 1894, vient s’installer auprès de ses deux frères : à quelques rues de distance, tous trois ainsi que l’épouse d’Élie, Noémi Reclus, forment à Ixelles une communauté familiale, à l’instar de celle formée à Paris entre 1857 et 1871.

Les cours d’Élisée Reclus attirent énormément de monde, une manifestation étudiante suit sa première conférence. Son frère Élie y donne des cours d’ethnographie religieuse. Des personnalités éminentes y enseignent : Émile Vandervelde, Louis de Brouckère, Paul Janson, Edmond Picard, etc.

L’Université nouvelle existe jusqu’en 1919, date à laquelle elle fusionne avec l’Université libre de Bruxelles, mettant fin au conflit entre libéraux doctrinaires et progressistes.

C’est en 1894 qu’Élisée Reclus rencontre à Bruxelles Eugénie David, une jeune fille appelée à devenir célèbre par la suite sous le nom Alexandra David-Néel. Une forte amitié se noue entre eux, qui ne cesse qu’à la mort d’Élisée. Il eut sur sa jeune admiratrice une influence certaine : le premier ouvrage écrit par Eugénie David (Pour la vie, sous le pseudonyme d’Alexandra Myrial) parut en 1901 avec une préface d’Élisée Reclus. Ils s’écrivent à plusieurs reprises, notamment lors du séjour d’Alexandra à Hanoï, en 1895.

Fin janvier 1893, Élisée se rend à Florence pour témoigner dans un procès d’anarchistes italiens, qui sont relaxés. Le 21 mars 1897, il a la douleur de perdre sa fille cadette, dont il recueille à Ixelles, avec sa sœur Louise Dumesnil, les trois enfants.

De 1895 à 1898, il se lance dans un projet de construction d’un Grand Globe, une maquette de plus de 127,5 mètres de diamètre, destinée à représenter fidèlement la Terre par une même échelle du 1:100 000 pour la surface et les reliefs, et qui devait être érigée sur la colline parisienne de Chaillot pour l’Exposition universelle de 1900. Élisée Reclus décrit ainsi son projet : « Des milliers de vues, de paysages, de types d’hommes et d’animaux, de scènes caractéristiques seront placées en diorama mouvant dans les panneaux intérieurs de l’enveloppe, en face même des formes géographiques correspondantes figurées sur la convexité du globe. Nous assisterons ainsi à toutes les manifestations de la vie sur terre, dont nous parcourrons du regard les étendues. Nous la verrons s’animer, se transformer et l’harmonie se fera dans notre imagination entre la terre, ses phénomènes de toute nature, ses plantes et ses habitants. » Faute des financements nécessaires (environ 20 millions de francs-or), le projet reste à l’état d‘ébauche et ne verra pas le jour. Outre Reclus, il devait réunir Charles Perron, l’architecte-voyer de la ville de Paris Louis Bonnier et le biologiste, sociologue et urbaniste écossais Patrick Geddes, dont Élisée et Élie sont amis. À leur retour de l’Athènes du Nord, où ils ont admiré la vitalité de ses réalisations, les deux frères publient en 1896 un texte élogieux, et le projet de globe terrestre géant pour la colline de Chaillot s’inscrit dans la même veine que l’Outlook Tower, monument-phare de la rénovation du centre historique d’Édimbourg déjà édifié par Geddes en 1892.

Tout comme Élisée, Geddes est un penseur universel et un pionnier de l’écologie, établissant des passerelles théoriques et pratiques entre biologie, sociologie, urbanisme et environnement, dans une approche didactique et pluridisciplinaire qui articule constamment le local et le global.

Paul Reclus reste très lié à Patrick Geddes, grand francophile qui vient terminer sa vie à Montpellier où il fonde le Collège des Écossais, et dont le second fils, Arthur, épousera Jeannie Colin, petite-fille de Jeannie Cuisinier, la seconde fille qu’Élisée eut avec Clarisse Brian.

Le 18 mars 1898, Élisée Reclus fonde l’Institut d’études géographiques ou Institut géographique, qui dépend de l’Université nouvelle et forme les étudiants par des excursions et la rédaction de mémoires originaux.

Quatre mois plus tard, le 2 août 1898, il crée aussi une « Société anonyme d’études et d’éditions géographiques Élisée Reclus » en association avec des capitalistes belges. Elle fera faillite le 14 juin 1904. La société publie d’une part divers mémoires de géographie entre 1899 et 1905, et d’autre part quelques exemplaires de « cartes globulaires » ou « disques globulaires ». Ce sont des cartes planes en couleur, mais gravées sur un support métallique convexe qui figure, à l’échelle, la courbure de la surface terrestre ; 36 feuilles assemblées constitueraient un globe terrestre à l’échelle du dix-millionième. Cette représentation d’un genre nouveau est conçue par le cartographe belge Émile Patesson et Élisée Reclus qui, en 1902 et 1903, tente d’intéresser à leur diffusion les Sociétés de géographie de Paris, Londres et Berlin, sans grand succès.

Entre 1896 et 1901, Élisée fournit en outre plusieurs mémoires importants à des revues françaises, belges, suisses ou anglaises.

En 1903, il demande à son neveu Paul Reclus de s’établir à Ixelles pour l’aider à achever et éditer L’Homme et la Terre, qu’il rédige depuis 1895 sous le titre provisoire L’Homme, géographie sociale. Grâce à son frère géographe Onésime Reclus, ce dernier grand ouvrage est publié en feuilleton périodique puis en 6 volumes par la Librairie universelle à Paris, pour l’essentiel après sa mort (1905-1908) et sous le contrôle vigilant de Paul Reclus. À l’initiative du pédagogue libertaire Francisco Ferrer, L’Homme et la Terre commence à être traduit en espagnol dès 1906.

Œuvre de géographie sociale appliquée à l’histoire de l’humanité, L’Homme et la Terre est aussi ce qu’on nomme aujourd’hui un ouvrage de géohistoire, et encore de philosophie de l’histoire et d’anthropologie historique. Si certains géographes du début du XXe siècle ont pour cela rechigné à y voir un ouvrage de géographie, inversement, il fait tout aussi bien d’Élisée Reclus un historien original et pénétrant, ignoré jusqu’à présent par une profession historienne pour laquelle il est seulement géographe : les cloisonnements disciplinaires dont se jouait Élisée Reclus ont ainsi provoqué une double exclusion de ce titre majeur, chez les géographes et chez les historiens. En 1927, dans les colonnes du quotidien communiste L’Humanité, l’écrivain Henri Barbusse déclare pourtant que selon lui, « il existe un grand livre d’histoire universelle, une œuvre capitale, admirable, et qui surplombe toute la production actuelle. C’est L’Homme et la Terre d’Élisée Reclus. »

Fruit de quarante ans de travail, la « trilogie » géographique d’Élisée Reclus comprend en 1908, dans des formats différents, trois grands ouvrages qui totalisent 27 volumes et 22 218 pages.

Durant les toutes dernières années de sa vie, Élisée Reclus, qui souffre d’angine de poitrine, voyage encore (France, Pays-Bas, Londres, Berlin).

Fin juin 1905, il apprend la révolte des marins du cuirassé Potemkine, ce qui constitue l’une de ses dernières joies.

Il meurt le 4 juillet 1905 à Thourout (en néerlandais : Torhout), près de Bruges. Conformément à ses dernières volontés, aucune cérémonie n’a lieu : seul son neveu Paul Reclus suit le cercueil. Il est enterré au cimetière d’Ixelles, commune faisant partie de l’agglomération de Bruxelles, dans la même tombe que son frère Élie mort l’année précédente. Dix jours plus tard, l’épouse de ce dernier, Noémi Reclus, morte à Ixelles le 14 juillet 1905, les y rejoint.

Le bannissement politique d’Élisée Reclus pour ses idées anarchistes a certainement été à l’origine de l’oubli relatif dans lequel il est aujourd’hui. Selon la géopolitologue Béatrice Giblin : « C’est bien parce qu’on ne pouvait dissocier le géographe, qui aurait dû être nanti d’on ne sait quelle sereine impartialité scientifique, du militant anarchiste, que les représentants de l’institution universitaire ont choisi de l’oublier et de le faire oublier au plus vite ».

Il est méfiant envers la valeur du progrès : « Certes, l’industrie amena de réels progrès dans son cortège, mais avec quel scrupule il importe de critiquer les détails de cette grande évolution ! », il faut « prendre définitivement conscience de notre humanité solidaire, faisant corps avec la planète elle-même ». Pour lui, le progrès s’accompagne de « régrès », de régressions qui inscrivent les évolutions dans une problématique dialectique. Ainsi, dans L’Homme et la Terre il revient à de nombreuses reprises sur cette idée : « Le fait général est que toute modification, si importante qu’elle soit, s’accomplit par adjonction au progrès de régrès correspondants » (tome VI p° 531). Reclus ne désapprouve pas l’action de l’homme sur la nature, mais cette dernière doit répondre à des critères sociaux, moraux et esthétiques.

Pour Yves Lacoste, il serait le père de la réflexion géopolitique française (même si Reclus n’emploie jamais ce mot dans son œuvre).

L’un des aspects les plus marquants de sa personnalité, outre ses convictions libertaires, est sa faculté de penser et d’agir par lui-même. À 18 ans, il affirme : « Je ne veux avoir sur le front la marque d’aucun maître, je veux garder ma libre pensée, ma volonté intacte, ne rendre compte de ma conduite qu’à ma conscience ! ». Plus tard, il sera proche de la Fédération de la libre pensée (créée en 1848) et donnera des conférences dans des loges maçonniques.

En ce qui concerne ses idées religieuses, bien que formé dans sa jeunesse pour devenir pasteur, il se détache rapidement et radicalement du christianisme. Selon la géopolitologue Béatrice Giblin : « Son projet [de jeunesse] est alors d’établir la République chrétienne, plus tard, devenu athée, il parlera de la République universelle. Devenir athée, ne signifie pas que Reclus perde ce qui fait de lui un être « religieux », s’il ne croit plus en l’existence de Dieu, il croit avec la foi du charbonnier à la liberté, condition indispensable pour qu’existe un jour la République universelle. ».

La République universelle à laquelle il aspire signifie notamment le démantèlement de la bureaucratie du régime impérial, de son armée de métier et de sa police. Pour lui, « Il ne suffit pas d’émanciper chaque nation en particulier de la tutelle des rois, il faut encore la libérer de la suprématie des autres nations, il faut abolir ces limites, ces frontières qui font des ennemis d’hommes sympathiques. »

Élisée Reclus vécut toujours très simplement et mit les revenus de ses droits d’auteur versés par les éditions Hachette au service de la famille, des amis, des militants et du mouvement anarchiste.

Prolongeant les travaux du géographe Carl Ritter dont il a suivi les cours à Berlin à l’hiver et au printemps 1851, Élisée Reclus observe la nature, conçoit la Terre comme une totalité harmonieuse et contribue à diffuser la théorie rittérienne des articulations littorales[2] : il rédige de nombreux ouvrages de géographie, dont la Nouvelle Géographie universelle en 19 tomes et L’Homme et la Terre sont sans doute les plus importants.

Son œuvre en fait un précurseur de la géographie sociale. Pour Reclus, il s’agit d’inclure la dimension humaine dans le processus géographique, y compris sous l’angle des rapports de force sociaux et internationaux.

Il réfléchit aussi à l’enseignement de la géographie et souhaite mettre à la portée de chacun des outils originaux de compréhension dont le Projet de globe terrestre au 100 000e en collaboration avec l’architecte Louis Bonnier.

Ses engagements anarchistes assurent à ses travaux géographiques un réseau d’informateurs dans le monde entier (et la qualité de son travail, dans tous les milieux sociopolitiques), mais ils contribuent également à lui fermer les portes de la reconnaissance universitaire française pendant presque tout le XXsiècle. Son anti-institutionnalisme ne lui a pas procuré de disciples, laissant ainsi le champ libre, en France, à l’émergence de l'”école française de géographie” née dans le sillage de son contemporain plus jeune de quinze ans Paul Vidal de La Blache.

En revanche, il est membre actif, correspondant ou honoraire de nombreuses sociétés savantes, fondées sur le double principe de la libre adhésion et de la cooptation : Société de géographie de Paris, Società degli Amici dell’Educazione del Popolo de Lugano, Société vaudoise des sciences naturelles à Lausanne, Société de géographie de Genève, Commission de géographie commerciale à Paris, Société de géographie de Pest à Budapest, Société de géographie de Berne, Association française pour l’avancement des sciences à Paris, Société normande de géographie à Rouen, Société bretonne de géographie à Quimper, Société de géographie de Rochefort-sur-Mer, Société languedocienne de géographie à Montpellier, Société pour la protection des indigènes à Paris, Ligue du reboisement de l’Algérie à Alger, Société d’anthropologie de Paris, Société royale écossaise de géographie à Édimbourg, Société de géographie de Rio de Janeiro, Société neuchâteloise de géographie, Società geografica italiana de Rome, Société d’ethnographie de Paris, Société royale belge de géographie à Bruxelles.

Une bonne part des succès éditoriaux que ses œuvres géographiques connaissent de son vivant est redevable à un style souple et puissant, qui en fait l’un des grands écrivains français de la seconde moitié du XIXe siècle.

Élisée Reclus est un militant impliqué directement dans des organisations ouvrières comme l’Association internationale des travailleurs, la Fédération jurassienne, la Ligue de la Paix et de la liberté. Il est également en relation avec nombre des grandes figures du mouvement libertaire de l’époque : Bakounine, Kropotkine, Dumartheray, Jean Grave, James Guillaume, Max Nettlau, etc.

L’écrasement sanglant de la Commune de Paris l’a convaincu de l’antagonisme irréductible entre le capital et le travail, du rôle néfaste de l’État et de l’impossibilité de parvenir au socialisme par des voies pacifiques ou électoralistes, ce qui n’empêche pas des pratiques éducationnistes. De son exil en Suisse à sa mort, il ne cesse de prendre position sur les problèmes théoriques et pratiques qui se posent au mouvement libertaire : déclaration en faveur de l’union libre à l’occasion du mariage libre de ses deux filles (Le Révolté, 11 novembre 1882) ou prise de position catégorique contre le principe des élections : « Voter, c’est abdiquer » (Le Révolté, 11-24 octobre 1885).

Sur certaines questions, il défend des positions originales. Il considère que la révolution ne se produira pas dans un proche avenir (Bulletin de la Fédération jurassienne, 11 février 1878). En opposition à Jean Grave, il se déclare favorable au droit de reprise individuelle : « Le révolutionnaire qui opère la reprise pour la faire servir aux besoins de ses amis peut tranquillement et sans remords se laisser qualifier de voleur » (Correspondance, t. III, 21 mai 1893). Enfin, il se montre hostile aux expériences de colonies anarchistes ou milieux libres : « Il ne faut nous enfermer à aucun prix, il faut rester dans le vaste monde pour en recevoir toutes les impulsions, pour prendre part à toutes les vicissitudes et en recevoir tous les enseignements » (Les Temps Nouveaux, 7-13 juillet 1900). Dans un long passage de L’Évolution, la révolution et l’idéal anarchique (1897), en accord avec Kropotkine, il se livre à un sévère réquisitoire contre Thomas Malthus. Il est également hostile au néo-malthusianisme défendu par Paul Robin.

En 1895, il publie dans Les Temps nouveaux des 18 mai, 26 mai et 1er juin l’un de ses plus célèbres textes, L’Anarchie, issu d’une conférence prononcée à Bruxelles le 18 juin 1894 dans la salle de la loge maçonnique Les Amis philanthropes.

Le 11 mars 1858, Élisée Reclus est initié en franc-maçonnerie à la loge maçonnique « Les Émules d’Hiram » du Grand Orient de France à Paris. Son frère Élie Michel, anarchiste également, directeur de la bibliothèque nationale, déjà initié à la loge « Renaissance » est présent.

Il donne alors ses premiers cours dans les locaux de la loge maçonnique « Les Amis philanthropes ». Élisée se contente de l’initiation. Au bout d’un an, il s’en détache et ne fréquente, à nouveau, les loges que lors de son dernier exil à Bruxelles, pour y donner de nombreuses conférences sur l’anarchie. Même s’il ne fut jamais un franc-maçon actif, sa présence à Bruxelles en 1894, a une importance déterminante sur la loge des Amis philanthropes.

Fervent partisan de l’union libre, Élisée Reclus eut quatre compagnes, avec chacune desquelles le contrat social fut différent. Une constante est cependant marquée : il a toujours refusé le mariage religieux.

La première, Clarisse Brian (1832-1869), qu’il épouse civilement à Sainte-Foy-la-Grande le 13 décembre 1858, avec qui il a trois filles (Anna, la troisième, vécut deux semaines en janvier 1869), avait des origines Peul (sa mère Marie John dite Yon, qui avait épousé le négociant de Sainte-Foy-la-Grande Charles Brian, était la fille d’un Anglais et d’une Peul du Sénégal). Clarisse meurt un mois après son troisième accouchement, le 20 février 1869. Ce mariage, qui dura dix années, avait une signification toute particulière pour l’antiesclavagiste de retour de Louisiane.

Le 26 juin 1870, à Vascœuil, il s’unit avec la seconde, Fanny L’Herminez (1839-1874), née à Londres d’Édouard L’Herminez (1804-1882), un curé du Nord devenu pasteur calviniste (et par ailleurs condamné à Londres en octobre 1856 pour n’avoir pas reconnu une enfant naturelle née d’une domestique), en union libre, mariage « sous le soleil » dit-il. Une très grande unité de vues les rassemble pendant leur courte vie commune de quatre ans entrecoupés par près d’un an et demi de séparation, entre septembre 1870 et mars 1872, en raison de la guerre de 1870 et du siège de Paris (femme et enfants sont mis à l’abri en Gironde), puis de la Commune de Paris et de l’emprisonnement d’Élisée Reclus. En février 1874, Fanny meurt en mettant au monde un garçon, Jacques, qui ne vécut pas.

C’est avec sa troisième compagne, Ermance Gonini (1826-1918), petite-fille du pasteur calviniste d’origine piémontaise Jean-David dit aussi Jean-Daniel Gonini (1760-1840), elle-même veuve d’un cousin maternel des Reclus, le pasteur Jean-François Trigant-Beaumont (1824-1854), qu’il forme le ménage le plus durable, jusqu’aux environs de 1895. Le 10 octobre 1875, à Zurich, ils s’unissent librement sans aucune formalité civile ou religieuse mais après lecture d’un texte qui est signé par les deux « époux » et leurs seize témoins. Il a 45 ans, elle en a 49 ; ils n’eurent aucune descendance.

Avec sa dernière compagne, la grande bourgeoise Florence Tant (de son nom d’épouse Florence de Brouckère, v. 1841-1927), une riche veuve du fait de ses deux mariages successifs dans la famille Brouckère, importants industriels tisserands (Louis de Brouckère, militant socialiste, est à la fois son neveu et son beau-fils), nulle union libre et encore moins un mariage, mais une fréquentation assidue à partir de 1895 et plus encore de 1900, chacun demeurant en son foyer. C’est avec elle et grâce à son automobile qu’Élisée Reclus parcourt le Jura français à l’été 1902 puis à l’été 1903, et c’est chez elle qu’il s’éteint en 1905, dans sa résidence campagnarde de Thourout.

Le 14 octobre 1882, à l’hôtel Continental à Paris, « sans permettre à la loi religieuse et civile de s’en occuper », « dans des conditions de vérité où les fiancés n’eurent point à faire de cérémonies civile ou religieuse en l’honneur d’une loi qui leur paraît injuste ou d’un culte qu’ils ne pratiquent point », ses deux filles s’unissent librement, avec des amis de son neveu Paul : Magali Reclus (1860-1953) avec l’ingénieur et architecte Paul Régnier (1858-1938), fils de Théodore Régnier (né en 1825), un constructeur d’ouvrages d’art pour les chemins de fer, et Jeannie Reclus (1863-1897) avec l’ingénieur chimiste Léon Cuisinier (1859-1887), petit-neveu par sa mère Julie Duez du chimiste Augustin-Pierre Dubrunfaut, et fils de Joseph Cuisinier (né en 1826), ingénieur chimiste d’une sucrerie picarde qui accompagnera Élisée Reclus aux États-Unis en juin 1891. À l’occasion de l’union de ses filles, Élisée Reclus prononce une allocution rédigée par son frère Élie Reclus, dans laquelle sont détaillées ses principales idées sur le mariage et l’éducation des enfants : « Ce n’est point au nom de l’autorité paternelle que je m’adresse à vous, mes filles, et à vous, jeunes hommes qui me permettez de vous donner le nom de fils. Notre titre de parents ne nous fait en rien vos supérieurs et nous n’avons sur vous d’autres droits que ceux de notre profonde affection ».

Élisée Reclus appelle de ses vœux une langue universelle qui ne viendrait pas se substituer aux langues maternelles mais qui serait une langue vraiment commune à l’humanité entière. Cette langue ne peut pas être une langue ancienne : « à de nouveaux penseurs il faut un instrument nouveau. Nulle langue moderne ne convient non plus au rôle de véhicule universel de l’intelligence humaine ». En 1897, il cite l’espéranto en exemple et se réjouit du fait que dix ans seulement après son invention, il réunisse déjà quelque 120 000 adeptes.

Élisée Reclus pense que la nudité est l’un des moyens de développer la socialisation entre individus, il en vante les bienfaits hygiéniques moralement comme physiologiquement, et il la met en perspective dans de vastes vues englobantes sur l’histoire et la géographie des cultures.

Très tôt rebuté par la viande, Élisée Reclus pratique un végétarisme strict. Il est un « légumiste » convaincu comme il aime à le répéter et partage cette conception avec son frère Élie.

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lis%C3%A9e_Reclus

Jean Isaïe Reclus et Jean Paul Reclus ne doivent pas être confondus avec leurs cousins Jean Reclus (1830-après 1898) et Jean Pierre ou Pierre Jean Reclus (1830-1897) nés au Fleix la même année que Jean Isaïe Reclus, et alors que Jean Pierre épouse une Anne Audebert (1836-1902, sans doute mariée en 1857 à Pineuilh en Gironde [commune voisine de Sainte-Foy-la-Grande] où elle est née, avec un « Pierre » Reclus [mais Jean Pierre est nommé « Pierre Jean » sur son acte de naissance, même si les actes de naissance de ses enfants et celui de son décès retiennent « Jean Pierre »], homonyme de l’épouse de Jean Paul Reclus (son Anne Audebert, mentionnée sur son acte de décès de Port-Sainte-Foy en 1898). Jean Reclus épouse, lui, une Jeanne Bouny (1834-1898). Un tel enchevêtrement est révélateur de la forte endogamie familiale qui règne en ces petites communautés rurales et calvinistes.

Elisée Reclus, une chronologie familiale, Christophe Brun, Federico Ferretti, 2014

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01018828/file/Christophe_Brun_ElisA_e_Reclus_une_chronologie_familiale_1796-2014.pdf

Aimé Nouailhas, président autoproclamé d’HTBA, fin connaisseur et guide (bénévole), devant la villa « Les Sablines » dans la Ville d’Hiver d’Arcachon, une parcelle qui a appartenu à Élie Bouny et Ioana Reclus, les parents de Marie-Louise, décédée le 6 avril 1888 (date de l’acte de décès) à l’âge de sept ans de la tuberculose ; Marie-Louise, parente du grand géographe anarchiste Elisée Reclus, pourrait avoir été inhumée non pas sous la dune du Pilat mais sous la dune d’Arcachon, au sud de la Ville d’Hiver.

Le 14 août 1889, naissance à Arcachon de Pierre Bouny (1889-1916), sixième enfant et quatrième fils né de Ioana Reclus et Élie Bouny.

[1]https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k638918/f5.item.r=Reclus%20-%20%C3%89tude%20sur%20les%20dunes

 

[2] – Ritter procède à un examen des possibilités qu’offrent les différents continents au développement humain en les comparant au regard de leurs dimensions et de leurs formes. De cette démarche comparative fondée sur la lecture de cartes résulte un système de classification qui repose sur une analyse morphologique : ce sont d’abord les liens maritimes ou terrestres entre continents, mais aussi le rapport entre le développement littoral et la surface totale de chaque continent – c’est-à-dire le degré de leur « articulation » –, qui expliquent la plus ou moins grande insertion des espaces dans le mouvement historique mondial, source de progrès ; c’est ensuite la diversité interne des formes du relief et des milieux naturels qui permet d’évaluer les possibilités d’échanges entre espaces complémentaires à l’intérieur d’un continent.

« Les continents orphelins ? », Isabelle Surun, Hugues Tertrais, Monde(s) 2013/1 (N° 3), pages 6 à 27.

1889 – Atlas forestier de la France par départements

Atlas forestier de la France par départements : dressé sous les auspices du Ministre de l’Agriculture d’après les renseignements fournis par les agents du service extérieur, à l’aide des cuivres de l’état-major au 320 000e par les soins de M. Fabien Bénardeau (1852-1932), et E. Cuny

Éditeur : Administration des forêts (Paris)

 

En 1886, avec Henry Labbé, Fabien Bénardeau, ancien élève de l’École polytechnique, publie une « Notice relative à l’emploi de la photographie dans les services de reboisement ».

 

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9687724g/f110.highres

https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/96?lang=en

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