1375 – Atlas catalan par Cresques le Juif – Archixo (ou Anchise ?)

Imprimer cet article Imprimer cet article

L’école cartographique Majorquine a changé la façon dont les cartes nautiques et les cartes des terres ont été produites : les cartographes catalans ont habilement intégré l’information la plus à jour dans leurs cartes, modifiant ainsi le cadre traditionnel des cartes marines.

Les anciennes cartes marines existantes, liées à l’émergence de la boussole, sont d’origine Génoises ou Vénitiennes, les premiers exemples datent de la fin du XIIIe siècle. Ils montrent généralement le bassin Méditerranéen (« Mare Nostrum ») rédigé avec une étonnante précision cartographique, considérant les moyens techniques à la disposition des cartographes de l’époque.

Ces circonstances ont favorisé l’émergence d’une école cartographique très importante et florissante, grâce notamment à la contribution des savants arabes et juifs. Ce qui caractérise cette école est la somptuosité des illustrations aux couleurs vives (des villes, les caractéristiques géographiques importantes, des portraits de souverains étrangers, riche toponymie, etc.) Même avant que la première carte soit produite à Majorque, le savant catalan Ramon Llull inclus le tableau de la mer parmi les instruments de navigation, sur un pied d’égalité avec la boussole.

Le portulan rédigé en 1413 par Mecia de Viladestes (BNF, Rés. Ge AA 566) est un autre exemple intéressant de l’école Majorquine. Il reproduit le cadre géographique du portulan de Dulcert, le riche éventail de peintures et de légendes explicatives de l’atlas Catalan, et il reflète la même fascination pour l’or africain et la connaissance des itinéraires terrestres qui y conduisent. Aux conventions cartographiques élaborées dès le XIIIe siècle s’ajoutent progressivement des évocations pittoresques, dues à des artistes, peintres ou enlumineurs, de la faune, de la flore, des peuples, des modes d’habitation et de navigation des mondes nouveaux. Les cartes portulans invitent à la découverte d’un ailleurs et d’une altérité.

L’Atlas catalan est l’un des joyaux de la « Librairie » royale fondée au Louvre, en 1368, par Charles V (1338-1380) ; cette carte de luxe, de style à la fois chrétienne et musulmane, se veut en outre encyclopédique, si elle porte ici et là des références religieuses, elle ne fait que les inclure dans l’ensemble des connaissances de tous ordres, de l’Antiquité au XIVe siècle, époque où, fait nouveau, les récits de voyage jouent un rôle prépondérant.

À la suite des Génois, les Catalans et les Majorquins, commerçants et navigateurs, tracent et utilisent des cartes marines (portulans), à l’affût des dernières informations. Les cartographes Catalans intègrent habilement l’information la plus à jour dans leurs cartes, modifiant ainsi le cadre traditionnel des cartes marines. Ils s’intéressent principalement à la représentation du bassin méditerranéen qui est le principal lieu d’expérimentation et de développement de la navigation au Moyen-Âge. L’Ordonnance catalane de 1354 assure du travail aux hydrographes durant un demi-siècle et plus, à raison de 2 cartes par vaisseau.

L’Atlas catalan, peut-être commandé par la Maison d’Aragon pour faire hommage à Charles V de Valois, est attribué à Abraham Cresques fils d’Abraham, et à son fils Jafuda (chacun accolant à son prénom le nom de son père, selon la tradition juive), cartographes juifs opérants à Majorque ; ces artisans, renommés pour leurs cartes marines et appréciés de leur souverain, entretiennent aussi d’étroites relations avec les milieux chrétiens. Son auteur se fait appeler, dans la documentation, le « maître des mappemondes et des boussoles ». La conversion du fils[1], probablement dictée par des impératifs politiques, est signalée en 1391. La date de la confection de l’Atlas, 1375, n’est pas explicitement indiquée, mais on la déduit du calendrier perpétuel placé en tête des cartes. Une liste des livres de la bibliothèque royale – alors logée dans une tour du palais du Louvre – établie en novembre 1380 témoigne de sa présence à cette date. On connaît par ailleurs une lettre légèrement postérieure de l’héritier au trôné d’Aragon, Jean Ier, du 5 novembre 1381, qui demande l’envoi d’une mappemonde de ce genre au nouveau roi de France, Charles VI, en invitant à consulter son auteur, Cresques le juif, de Majorque, pour en avoir l’explication.

L’Atlas catalan se situe à la rencontre de deux modes de représentation du monde l’un, apparu à la fin du XIIe siècle, centré sur la Méditerranée, dont il s’efforce d’affiner les contours, l’autre, plus ancien, héritier de la manière médiévale de représenter la terre comme une énorme encyclopédie visuelle où se rangent tous les savoirs, sous forme de textes et d’images.

C’est un manuscrit enluminé réparti en 6 ais[2] de bois sur lesquelles sont collées 12 demi-feuilles de 64 x 25 cm chacune  de vélin plié en bas du milieu ; les feuilles de vélin qui reliaient l’ouvrage se sont rompues avec le temps. Les feuilles sont peintes dans des couleurs différentes, d’or et d’argent, et chaque demi-lame est montée sur un côté de 5 panneaux de bois. La première moitié de la première feuille et la seconde moitié de la dernière feuille sont montés sur les panneaux intérieurs d’une reliure brune en cuir.

C’est une représentation de la culture du temps, un monde peuplé de Rois, d’événements historiques, de représentation de cités et de châteaux ; il rend compte d’un monde dont une grande partie reste encore à découvrir : Orient magique aux épices, soieries et richesses décrites par Marco Polo, royaumes de la reine de Saba, des Mages et du Grand Khan… :

Les deux premières planches portent une traduction en catalan de l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis, description du monde très répandue au Moyen Âge, et un grand calendrier circulaire ainsi que des signes astrologiques ; compilation de cosmographie, astronomie, les textes astrologiques sont traduits en Catalan. Ces textes mettent l’accent sur la forme sphérique de la terre et de l’état du monde connu, ils fournissent également des informations utiles aux marins sur les marées et la façon de compter le temps la nuit. Les textes sont accompagnés de nombreuses illustrations : une table de marée, un calendrier perpétuel, la figure d’un homme marqué par les signes du zodiaque, et un grand tableau, circulaire encadré par les quatre saisons qui donne des informations sur le zodiaque, les 7 planètes connues, et un diagramme des constellations.

Les planches suivantes, mises bout à bout, composent une représentation du monde en quatre cartes, deux pour l’Orient, de la Chine au golfe Persique, et deux pour l’Occident méditerranéen, de la mer Noire à l’Angleterre. Le sens de lecture, d’est en ouest, est le même que celui des grandes mappemondes circulaires du XIIIe siècle, comme la mappemonde d’Ebstorf, orientée l’est en haut. Le contenu de la carte, notamment pour la toponymie de la partie asiatique, provient de textes antiques mais aussi du récit de Marco Polo (1254-1324) et de sources arabes. La structure des cartes, sillonnées de lignes des vents même pour les parties continentales, et la toponymie de la Méditerranée, de l’Europe et de l’Afrique correspondent aux cartes portulans catalanes de l’époque.

La carte montre de nombreux exemples de villes, dont les allégeances politiques sont symbolisées par un drapeau. Les villes chrétiennes sont marquées d’une croix, d’autres villes avec un dôme. Mers et océans sont symbolisés par des lignes verticales ondulées bleues. Et comme il est habituel pour les cartes marines, les noms de ports importants sont transcrits en rouge, tandis que d’autres sont indiquées en noir. Contrairement à beaucoup d’autres cartes nautiques, l’Atlas Catalan est destiné à être lu avec le nord en bas, donc les cartes sont orientées de gauche à droite, de l’Extrême-Orient à l’Atlantique.

Sur la feuille n°3, sont tracées des cartes de l’Europe et de la Méditerranée occidentales et de l’Afrique nord-occidentale.

 

Archixo (ou Anchise ?)

La n°4 contient l’Europe et la Méditerranée orientales, la Mer Noire, l’Afrique nord-orientale et les territoires d’Orient. La n°5 est consacrée à l’Asie occidentale de la Mer Caspienne au Pamir, à l’Iran, la Mésopotamie, l’Arabie et les régions occidentales d’Inde. La n°6, représente l’Asie orientale, les régions orientales allant de l’Inde à la Chine, ainsi que les régions nord-orientales inconnues, peuplées d’images apocalyptiques. Pour la première fois dans la cartographie occidentale, l’Inde a une forme triangulaire, mais on ne voit pas la pointe sud. Les noms des ports de l’Inde occidentale s’inspirent de la cartographie arabe de l’époque. En-dessous du souverain de Delhi (« Lo Rey Delli »), on reconnaît le golfe de Cambay et le Gudjerat d’où venaient les marchands indiens, avec ses principales villes portuaires : Goga et Barochi (Broach).

Les 2 premières feuilles, qui forment la partie orientale de l’Atlas Catalan, illustrent de nombreuses références religieuses ainsi que d’une synthèse de la ville médiévale « Mappae mundi » (Jérusalem est situé pratiquement au centre du document) et de la littérature de voyage de l’époque, notamment du livre de Marco Polo des « Merveilles et Voyages » et le voyage de Sir John Mandeville. Par exemple, dans le pays de « Catayo » (Chine), la carte montre la ville de « Chambaleth » (Beijing) où le Grand Khan réside, Sumatra (« Illa Trapobana »), et un littoral bordé d’une multitude d’îles. À l’est de la mer Caspienne, la carte est basée sur des références bibliques et mythologiques, ainsi que sur les emprunts de récits : Moïse voyageur passant la mer Rouge, allant aux mont Sinaï, mont Ararat, à la Tour de Babel. Les Mages suivant l’étoile, le Christ-Roi, La Mecque, Babylone, la reine de Saba, « Illa Jana, » la maison du royaume mythique des Amazones (« Regio Femarum » (sic)), Sirènes, le royaume de Gog et Magog, Alexandre le Grand, etc… Malgré la conception cartographique plutôt approximative de la carte, de nombreuses villes indiennes et chinoises peuvent être identifiés. Les textes explicatifs rapportent les coutumes décrites par le livre de Marco Polo, les sources économiques locales, des vrais ou les légendaires. Ceci, en effet, est peut-être l’aspect le plus intéressant de l’Atlas Catalan : à l’est du monde méditerranéen bien défini se trouvent d’immenses régions dont l’importance économique est bien entendu, mais qui restent mystérieux et inexploré.

En Orient islamique, empire immense où les gens voyagent beaucoup, par voies terrestres et maritimes, l’astronomie, avec ses développements (astrolabes, sphères célestes, livres de constellations, etc.) est très tôt cultivée. Les cartes sont aussi dressées des terres connues. Un texte des jours de la lune, les bons et mauvais jours et notamment les jours convenant à une saignée.

En haut toujours, les marées en 7 points du globe, ainsi qu’un calendrier lunaire et le cycle de Meton (prévision à 14 jours sur 19 ans) permettant un calcul des fêtes mobiles. Puis l’homme zodiacal et les parties du corps pouvant être saignées ou soignées selon les jours de la lune. Sur la page de droite, la terre est décrite comme une sphère de 36 000 Kms (20 052 milles) de circonférence autour de laquelle gravitent 7 planètes (dont le soleil). Il existe également une description des villes antiques, Rome qui a la forme d’une louve et Troie en forme de cheval, animal adoré par ses habitants…

Les cartographes de Majorque connaissaient le fleuve Sénégal (Riu del Or) avant qu’il ne soit abordé par les Portugais de l’infant Henri en 1445.

Les 2 dernières feuilles forment un portulan assez standard du même type que la carte de 1339 d’Angelino Dulcert. Cependant, à l’extrémité ouest, près de la première rose des vents jamais tiré sur un portulan, est un commentaire sur les mythiques « Beneventurades Îles »,« les îles fortunées » décrites par Pline l’Ancien et Isidore de Séville, ainsi qu’une illustration de la non moins mythique « Insula do Brasil ». À noter également la répétition des îles de Corse et de Sardaigne sur deux feuilles successives créant une zone de « chevauchement » dans le milieu de la Méditerranée, (cette fonction n’apparaît pas dans la partie orientale de l’Atlas). En Afrique, plusieurs souverains sont représentés (y compris le roi du Mali, « Musse Melly, » Mansa Musa, qui brandit un sceptre orné d’une fleur-de-lys, et le roi de Organa, un Saracen armée). « Tenbuch » (Tombouctou) est également représenté.

(https://www.jacques-roger-vauclin.com/)

BNF, département des Manuscrits, Espagnol 30, tableaux III et IV

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55002481n/f1.planchecontact

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55002481n/f7.item

http://expositions.bnf.fr/marine/albums/catalan/index.htm

http://plus.lefigaro.fr/note/au-fil-du-temps1375-20130807-2410641

Consulter « L’Atlas Catalan de Charles V dérive-t-il d’un prototype Catalan », Ch. De la Roncière, 1903. https://docplayer.fr/77382496-Uhe-l-atlas-catalan-de-charles-v-il-i-il-il-il-il-i-iij-liii-hi-d-un-prototype-cata-l4n-ch-de-la-roncii1e-derive-t-il.html

http://plus.lefigaro.fr/note/au-fil-du-temps1375-20130807-2410641

http://plus.lefigaro.fr/note/au-fil-du-temps1375-20130807-2410641

http://expositions.bnf.fr/marine/grand/por_358.htm

[1]Yehuda (ou Jaffuda) Cresques devenu Jaume Riba (Jacobus Ribes) après sa conversion au catholicisme en 1391 est devenu maître des cartes nautiques de la Couronne d’Aragon.

[2] – Le mot ais, du latin axis, en ancien français, désigne une planche, quel qu’en soit l’usage.

Jaume Ferrer

Le 30 septembre 2012, l’htbéate Anne-Marie Lesca, que nous appelions familièrement Annie, attirait notre attention, sur la représentation, au large du banc d’Arguin, du navire à voiles du majorquin Jacques Ferrer (nom lisible à gauche) qui part en août 1346 pour une expédition au Rio de Oro, le fleuve sur les rives duquel se troque le métal précieux. …

http://data.abuledu.org/URI/5068ba4e

Il faut croire que Ferrer est sur un faible esquif n’ayant ni haubans ni étai pour son mât, ni drisse pour sa voile, ni aucune manœuvre pour son antenne, si ce n’est une oste et son palan.

Il y a près de sept cents ans, le « roi des rois » règne sur un empire immense et très prospère, qui tire sa richesse de ses ressources minières : le Mali est alors le plus gros producteur mondial d’or.

C’est son fastueux pèlerinage à La Mecque, en 1324, qui va asseoir la renommée de Kanga Moussa 1er et de l’empire du Mali dans toute l’Afrique médiévale et jusqu’en Orient et en Europe. « Il est le plus puissant des rois nègres musulmans, son pays est le plus vaste, son armée la plus nombreuse, il est le plus puissant, le plus riche, le plus fortuné, le plus redoutable à ses armées », rapporte un voyageur arabe de l’époque. Dès 1339, la carte marine du géographe majorquin, Angelino Dulcert, figure le rex melli assis sur son trône. On le retrouve donc sur l’atlas catalan ; Rabelais mentionne ce royaume dans son Pantagruel.

La légende raconte que l’empereur Mansa Musa, qui sur la carte brandit un sceptre orné d’une fleur-de-lys, se rendant à La Mecque, effectue une halte au Caire. Chemin faisant, il dépense une fortune et finit par épuiser ses ressources. Durant son absence, Analia, une de ses épouses restées à Tombouctou, accueille quelques étrangers au teint pâle, exténués et loqueteux. Leur chef, qui se fait appeler Aljauma Fari (Jaume Ferrer, en arabe), devait se rendre au Rio de Oro. La jeune femme s’éprend du navigateur et ne tarde pas à tomber enceinte de ses œuvres. Elle est alors obligée de prendre la fuite avec son amant. Parvenu au bord de la mer, le couple est emprisonné par des Mossi, alors que la petite Selima est née. Après le retour de l’empereur, les captifs lui sont livrés. Un conseiller andalou recommande au Mansa d’épargner la vie d’Aljauma Fari et de le dépêcher au-delà de l’horizon avec deux cents pirogues manœuvrées par d’habiles marins toucouleurs. Une seule embarcation revient pour annoncer qu’Aljauma Fari et son équipage ont traversé de vastes étendues d’eau et touché terre au-delà de l’horizon. Mansa Musa décide alors de lancer lui-même une expédition de deux mille embarcations. Il disparaît dans le néant, tandis qu’Analia, enlevée avec sa fille par des Marocains, est conduite dans l’une des îles Fortunées où elles vivent avec les Guanches. L’histoire se termine sur deux conclusions. L’une est malinké : « Par vanité, le Mansa ne voulut point rester avec les siens […]. Par vanité, il a sombré dans la mer des ténèbres, comme le patron Aljauma Ferrer et comme tant d’autres rejetons de cette terre ». L’autre est espagnole : la narratrice est Selima, qui après avoir été arrachée à son île canarienne, est vendue sur le marché des esclaves de Majorque. C’est elle qui relate l’histoire des siens à Jafue Cresques qui, avec son père Abraham, est en train de préparer l’Atlas Catalan. Comme ce qui est honni d’un côté est souvent honoré de l’autre, Jaume Ferrer et Mansa Musa sont honorés à jamais.

Le Monde plausible : Espace, lieu, carte, Bertrand Westphal, 2011.

Mansa Moussa : un Malien en or massif, Florence Bauchard, Enjeux Les Échos, 1er juillet 2010.

http://archives.lesechos.fr/archives/2010/Enjeux/00270-025-ENJ.htm

https://books.google.fr/books?id=nD9SCwAAQBAJ&pg=PT131&lpg=PT131&dq=ferrer+%22atlas+catalan%22&source=bl&ots=ZjXU-26ykn&sig=ACfU3U2oVNS98QZLa-PQycXl3j93TyovhQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjxuuDHn7zmAhUbHcAKHfueDIYQ6AEwEnoECAoQAQ#v=onepage&q=ferrer%20%22atlas%20catalan%22&f=false

http://data.abuledu.org/wp/?LOM=3973

http://expositions.bnf.fr/marine/arret/01-5-2.htm

Ce champ est nécessaire.

Raphaël

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *