Le plus ancien portulan d’origine occidentale connu est la Carte dite « pisane » (parce que trouvée à Pise par le chevalier Micali). Il est conservé dans les collections de la Bibliothèque nationale de France depuis son acquisition en 1839 par Jomard[1] pour le Département des Cartes et Plans. C’est ainsi qu’il a obtenu son nom. On ne sait rien de l’époque d’avant.
Dessinée à la plume sur vélin, elle couvre les côtes méditerranéennes élargies à celles de la mer Noire, le long desquelles sont inscrits perpendiculairement les noms des ports, les plus importants en rouge, les mouillages secondaires en noir. La carte est orientée sur le nord magnétique, son utilisation étant liée à celle de la boussole. Elle n’a ni projection apparente ni coordonnées géographiques. L’échelle est donnée dans un cercle, situé à droite du document, dans la partie la plus étroite du vélin qui correspond au cou de l’animal. La carte est couverte par deux réseaux de lignes de rhumb qui s’ordonnent sur deux cercles tangents, chacun des cercles comportant seize points nodaux disposés à intervalles réguliers. Ces cercles figurés sur la « Carte pisane » seront implicites sur les documents postérieurs. Les lignes de rhumb permettent aux navigateurs de choisir au départ le rhumb de vent qui leur convient et, une fois en haute mer, de faire le point en reportant sur la carte la distance qu’ils estiment avoir parcourue dans une direction donnée.
Certaines cartes étaient construites par reproduction, selon toute vraisemblance, d’une autre carte au moyen d’un réseau de carroyage. Il me semble que c’est également le cas de la « Pisane » et que les petits carrés disposés en oblique en dehors des martelloios qui la surchagent peuvent être tout simplement ce qui reste de cette technique de reproduction, à la main, d’un document plus ancien.
Selon Pujades, les environ 1000 noms du littoral sont « dans un mélange linguistique dans lequel les dialectes italiens prédominent clairement ». Les côtes de l’Europe occidentale, jusqu’à la Manche et le Sud de l’Angleterre, dont l’orientation générale est correcte, sont exiguës et l’onomastique ne coïncide pas avec l’allure des côtes et à l’emplacement des toponymes.
Ainsi Sto andrea (Santander), erdo (Laredo), ordialos (Castro Urdiales), Sto sabastiano (San Sebastian), baiona (Bayonne) et Gasconia (Gascogne ; se situe approximativement à Arcachon ! Nos anciens ne nous ont légué que la bouée Gascogne [45°13’N, 005° W]) sont excentrés sur ce qui devrait correspondre au Sud-Ouest des côtes françaises. Sur la partie zoomée qui nous intéresse, Bordeaux devient « bordelos », Sta Maria de Soulac est au nord de l’estuaire de la Gironde et on trouve Saint Nicolas, connu aujourd’hui par son phare ; le feu de Saint-Nicolas a été mis en service le 15 juin 1873, en même temps que les feux de Saint-Pierre et du Chay à Royan. Il se trouve à 1550 m au sud-ouest du phare de la Pointe-de-Grave, avec lequel il forme un alignement permettant la navigation à l’entrée de l’estuaire de la Gironde. L’édifice a une hauteur de 13 m et l’escalier intérieur est en bois. Son toit arrondi est surmonté de panneaux solaires. Situé à 22 m au-dessus du niveau de la mer, sa portée est de 16 milles.
La carte pisane aurait été élaborée à Gênes entre 1258 et 1291, le seul argument en faveur de l’origine génoise est le fait que la première référence à une carte portugaise, en 1270, s’est produite à bord d’un navire génois. Du style de l’écriture manuscrite, Pujades conclut : « Nous pouvons donc être sûrs que l’individu en question n’appartenait pas au cercle restreint des savants qui partageaient la même culture livresque ; et il n’était certainement pas un commis professionnel. » Le « Compasso da navigare » conservé à Berlin et daté de janvier 1296 pourrait bien être le routier qui accompagnait la « Carte pisane » et qui constitue un recueil d’instructions extrêmement précieux. En effet, comme les cartes réellement utilisées pour la navigation, ce type de document semble d’une grande rareté.
La « Carte pisane », document d’une grande simplicité, présente les caractéristiques essentielles des portulans de la Méditerranée qui vont lui succéder ; première carte à marteloire connue, elle correspond tout à fait à l’idée que nous nous faisons des cartes embarquées.
La croix de Malte placée sur Saint Jean d’Acre indique que la carte a été rédigée avant la conquête de la ville par les Sarrasins en 1291.
La Carte Pisane, par son état pratiquement définitif, tant du point de vue de la forme que du point de vue de son contenu est la référence en ce qui concerne les Portulans ; l’aspect des cartes Portulans ne devait pas varier jusqu’au début du XVIIIème siècle, époque à laquelle le genre s’éteignit pour laisser la place à une cartographie plus scientifique.
http://expositions.bnf.fr/ciel/catalan/portulan/page1.htm
http://hubert.michea.pagesperso-orange.fr/Pages/marteloire.htm
[1] – Jomard étant Conservateur du Département Estampes, Cartes et Plans aux côtés de Duchesne aîné, également Conservateur, et de Duchesne jeune, Conservateur adjoint. Duchesne aîné est Jean Duchesne 1779-1855, l’ancêtre de mes enfants, Conservateur au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. – Historien d’art. – Franc-maçon de l’ordre du Temple avec rang de grand-précepteur de Nord-Amérique. – Fils d’Antoine-Nicolas Duchesne, (1750-1818) ; naturaliste et inventeur des persiennes et frère aîné de Duchesne-Tauzin qui travailla également au cabinet des estampes.