Bassin d’Arcachon, Van Hasselt
Willem Van Hasselt nait à Rotterdam, de parents hollandais, le 3 septembre 1882. Ses parents ont sept enfants, une fille Mathilde, et six fils desquels il est l’avant dernier.
Lorsque je [Louise Le Vavasseur, épouse de Willem Van Hasselt] rencontrais Willem à Paris, en 1920, son père Yan Van Hasselt, tailleur à Rotterdam était mort. Les autres comme leur père étaient tailleurs, très estimés, à La Haye et à Rotterdam.
Willem devait attribuer à son ascendance, son goût pour le travail bien fait et les justes proportions. Lui seul fut peintre, le sachant très tôt, ayant décidé à l’âge de treize ans qu’il le serait. Il s’engagea dans cette voie sans jamais s’en écarter.
La famille était active, sportive et joyeuse comme lui-même. Sa mère vaillante et bonne avait de l’esprit et du courage ; bon départ dans la vie pour le jeune Willem, qui devait réaliser son destin, conserver sa vie durant un bel équilibre, une volonté lucide et assez d’optimisme pour supporter les temps difficiles et savourer pleinement les jours heureux.
À l’académie de Rotterdam, il eut pour professeur van Maasdyk, Striesing et Machtweh, et sous leur direction travailla avec acharnement et fit de rapides progrès. Il n’eut jamais d’autres professeurs. Rotterdam lui laissa une empreinte ineffaçable
Le texte qui suit est la transcription fidèle d’un manuscrit de Louise Le Vavasseur ; il a probablement été écrit peu de temps après la mort du peintre. Ces quelques lignes de lui-même le situent bien dans le cadre de son enfance :
« À cette époque l’académie des Beaux Arts, au temps où j’ai commencé mes études de peintre bordait un canal, le Coolsingel[1], à deux pas de là s’élevait haut dans le ciel un immense moulin à vent qui faisait l’admiration étonnée de bien des touristes peu habitués à en rencontrer d’aussi grands en pleine ville.
L’eau du canal se prolongeait jusqu’à la ville de Delft, y aller en bateau n’était pas sans danger, les ponts sous lesquels il fallait passer étaient juste assez hauts pour ne pas s’y cogner la tête.
Rotterdam était le deuxième port du monde. Je le revois dans mes souvenirs de peintre sous ses aspects pittoresques de jadis ; ses eaux s’étendent actuellement bien au delà des champs et des prés, terrains de jeu de mon enfance. Je les contemplais autrefois depuis le « Grand pont » ou encore le long des quais où se mêlaient les odeurs de goudrons, d’épices, de tabac, d’arachides et de peaux de mouton.
Mes yeux émerveillés devant l’étendue mouvante, si vivante, de ce port où péniches, remorqueurs et grands transatlantiques allaient et venaient sans arrêt. Toutes ces choses m’ont laissées le souvenir grandiose qui m’enchante encore. Devenu peintre aujourd’hui, traçant un mat contre le ciel, qu’il se trouve à Bordeaux, en Bretagne, à Saint Tropez ou à Arcachon, ce sont toujours mes premières émotions de jeunesse qui revivent, me transportent à Rotterdan, ma ville natale et port superbe. »
Ces lignes sont tracées sur une feuille illustrée de croquis charmants. L’un est une vue du port, des bateaux à quai, un grand mat nu s’élance vers les nuages et un remorqueur poursuit sa route vers l’autre rive, un autre représente van Hasselt pinceaux en main et cigarette aux lèvres assis sur un petit pliant de toile devant son chevalet, un troisième le clocher de l’église et le si grand moulin à vent devenu tout petit dessin fait tourner ses grands bras.
En 1921, nous étions tous deux à Rotterdam, bien changé ; mais les quais, l’eau, les navires étaient là. Le mouvement intense, si coloré, les grues géantes déchargeaient les navires, le bruit des cordages et des chaînes qui traînent était le même. Les grains de blé, en ruisseaux dorés s’engouffraient dans les grands camions et les remous clapotaient gaiement sur les coques venues du bout du monde.
Devant les barriques qui roulaient bruyamment sur les pavés, Willem me racontait en riant : « Les cercles de fer de ces barriques étaient nos cerceaux, ma sœur, mes frères et moi les faisions sauter sur ces mêmes pavés ; et dans cette maison au bord du canal, dans la Hang, ma mère nous a élevés. Elle était vive et gaie et riait de bon cœur. Lorsque jeune mariée elle trouva leur intérieur un peu nu et le dit à mon père, il la prit dans ses bras et l’assit sur la cheminée disant : « voici l’ornement ».
Tout était simple et la vie belle.
« Lorsqu’il faisait très froid, le canal étant gelé, nous patinions jusqu’à Gouda chercher des pipes que nous rapportions ici. Ce sont ces pipes de Gouda que j’ai peinte, j’ai conservé la peinture… en souvenir.
On donnait de belles fêtes et des boissons chaudes étaient servies sur le canal glacé ; et voici le grand orgue de Barbarie tout doré et orné de clochettes qui joue de vieux airs, comme autrefois ! »
Gouda est une vieille petite ville avec ses jolies maisons et sa belle halle aux viandes sur la place du marché aux fromages où tous les fermiers des alentours transportent leurs produits dans de légères voitures à cheval à très grandes roues. De jolies jeunes filles en costume national offrent à qui en veut des échantillons de ces grands fromages ronds et blancs piqués de petits drapeaux hollandais.
Van Hasselt vécu son enfance et son adolescence dans ce pays qui semble un livre d’image, images coloriées et bien en page. Ces gens sérieux, tenaces et calmes ont cependant le goût du rire, de la bonne chère et du bon cigare, des fauteuils profonds, des tapis moelleux et, surtout, le culte des fleurs.
Dans le vieux quartier des pêcheurs, à Scheveningen, les maisons étaient les mêmes que celles que peignait Pieter de Hooch, toujours lavées et repeintes, hier comme aujourd’hui. Aussitôt de retour de la mer ces marins s’occupent de leur maison, rangent, lavent et brossent les murs à grandes eaux. Tout reluit. S’ils aiment le confort, ils ont aussi la ténacité de ceux qui luttent contre la mer depuis toujours; construisent et reconstruisent les digues, les barrages, assèchent les polders pour gagner plus de terre.
Très doué, ardent au travail, van Hasselt poursuivait ses études à l’académie avec passion et travaillait dans les musées, faisant de belles copies d’après les chefs d’œuvres qu’il admirait le plus.
Il faut avoir été en Hollande pour bien connaître la peinture hollandaise, différente certainement pendant des siècles de celle des pays voisins. Ils ne voyageaient guère et connaissaient fort peu ce que faisaient les artistes en Italie ou en Espagne. Chaque fois que van Hasselt retournait en Hollande, il revoyait les magnifiques portraits de Rembrandt, « la fiancée juive », « David et Saul », qui le bouleversait, les ciels immenses de Ryusdael, les larges horizons coupés par les moulins à vent, les chefs d’œuvres de Vermeer, mystérieux, longtemps méconnu, au sujet duquel nous savons si peu. Les plus grands vivaient chez eux, peignaient ce qu’ils voyaient ; l’existence humble, quotidienne, la grandeur des gestes sincères, prosaïques. Même van Eyck dans ses sujets sacrés entoure ses personnages d’objets familiers. Tout vaut d’être observé et traduit tel quel ; un réalisme pur dans les portraits, pas de canons de beauté, et dans les paysages c’est la terre natale qu’ils reproduisent.
Beaucoup de ces grands artistes désintéressés devaient pour vivre pratiquer un métier plus lucratif. Ce fut le cas pour Pieter de Hooch et Emmanuel de Witte qui cédaient des chefs d’œuvres pour la subsistance et ne s’en cachaient point.
De même van Hasselt vivant au jour le jour se trouvait riche quant en Hollande, à Paris ou à Londres il touchait deux francs cinquante pour une affiche et recevait en plus en Hollande un « borrel », c’est à dire un verre de genièvre.
Van Hasselt hérita de la sincérité de ses ancêtres avec le même sentiment de vérité et d’amour, cette santé morale et mentale qui ne connaît pas la vanité. Ceci explique ses peintures, ses « intimités » surtout.
En 1903 il quitta Rotterdam et ses maîtres après avoir obtenu ses diplômes à l’académie et parti pour Paris où il voulait poursuivre seul et librement ses études.
Paris dont son père l’avait si souvent entretenu avec une profonde admiration, lui en vantant la beauté, le goût, tout ce qu’un artiste pouvait y trouver. Avant même de connaître la France, Willem avait été élevé dans cette admiration et les livres l’avaient instruit, le terrain était préparé. Il devait y trouver une seconde patrie et tous deux s’entendirent à merveille dans son cœur.
Ce père compréhensif accompagna son fils à Paris, voulu choisir son logement et l’y installer. Ce fut à l’hôtel « Saint Georges et de Barcelone ». Son bagage était peu de choses : sa boite de peintre, son équipement de « footballer » y compris les « godasses à crampons » qui lui avaient servi pour les matchs de son club de Rotterdam « le Sparta ». Il n’avait pas non plus oublié un chapeau haut de forme dans son carton ovale.
« La vie matérielle n’était pas chère, écrivait-il, pour un centime j’avais un croissant, deux centimes et demi une tasse de café, le bifteck aux pommes valait moins d’un franc ; lorsque je pus avoir un atelier je l’eus pour 250 francs à l’année ».
Le peintre ému et plein d’espoir savait qu’il lui faudrait beaucoup travailler, mieux faire toujours et gagner son pain pour y demeurer. Aussi fit il sans tarder tous les dessins qu’on lui demanda pour les journaux, la publicité, les affiches, et aussi des dessins pour les textiles, il peignait des costumes pour le théâtre, s’adaptant aux techniques en cours, utilisant des poudres de couleur, d’or et d’argent. Mais il consacrait aussi un temps précieux aux musées, aux maîtres qu’il se choisissait comme en Hollande. Ce fut une révélation ; Corot l’enchantait, en qui il reconnaissait comme un frère, si simple et si modeste, Corot intègre et candide ; le peintre de tous les temps qui n’a pas cherché à être du sien. Comme Corot, van Hasselt a « cette disposition générale du cœur et de l’esprit qui s’ouvre au bonheur » (Montesquieu, Cahiers)
Pour Eugène Delacroix son admiration était si grande que van Hasselt devait jusqu’à son dernier jour lire et relire les pages de son « journal » surtout les tomes II et III y trouvant chaque fois de nouvelles vérités. Il y découvrit que comme lui Delacroix avait pratiqué l’art de « construire un tableau depuis l’ébauche jusqu’au fini, n’admettant pas qu’une composition fut faite autrement que pas masses marchant simultanément ».
En 1940, séjournant à Soisy sous Etioles nous faisions de belles promenades dans la forêt de Sénart, à Champrosay, Evry-Petit bourg, Ris Orangis ou le long de la Seine argentée, et de ses jolies îles. Nous évoquions à chaque instant Delacroix qui aimait ces doux paysages, sa maison et son jardin de Champrosay où il venait se reposer « loin des villes » ; il méditait et observait tout ce qui l’entourait : arbres, bêtes, paysans, nous parle de « ses pensées diverses suggérées au milieu de ce sourire universel de la nature… des pauvres oiseaux qu’il dérangeait, et qui s’envolent toujours par couple de deux ». Assis sur « les feuilles séchées du grand chêne qui se trouve dans la grande allée de l’Hermitage » où lui même se reposait souvent, il nous semblait tout près, et pour van Hasselt ces instants étaient sans prix, van Hasselt et lui avaient les mêmes pensées, le même amour de la nature, elle était le plus beau trésor et le plus grand maître.
Revenant à van Hasselt, nous le suivons à Londres où il voulu aussi voir et apprendre ; de nouveau dans les musées, copiant des chefs d’œuvres, entre autres « La nativité aux anges musiciens » de Pierro della Francesca à laquelle il travailla durant plusieurs années et le portrait de « Rembrandt âgé » de la National Gallery.
Son album de dessin toujours à la main, il dessinait partout, au bord de la Tamise avec son grand mouvement de bateaux, son trafic dont la fumée se mêlait aux nuages, dans le Kensington Garden, les salles de concert, à Hyde Park, et à White Chapel où il trouva des sujets remarquables et des types fort pittoresques, et fit des dessins qui rappellent souvent ceux de Toulouse Lautrec. Il fut aussi à Londres le dessinateur de « Star » et du « Morning leader ».
Rien ne le laissait indifférent. Il fit des connaissances charmantes qui devinrent des amis vrais et fidèles qu’il devait plus tard rencontrer quelques à Paris où il exposa chez Wildenstein ; dans sa jeunesse c’est chez Boss qu’il exposait.
Par ses amis, il connu la campagne et les rives fleuries de la Tamise lorsqu’ils l’emmenaient faire du « Punting » ; après y avoir fait de longs séjour, il quitta Londres et revint définitivement à Paris, aimant toujours la France au point de devenir français par la naturalisation en 1933.
Sa femme était française, ses filles aussi, et il vécu trois fois plus d’années en France qu’en Hollande, mais resta toujours très attaché à son pays natal.
À Paris, il trouva ses amis les plus chers : Édouard Saunier et Jacques Salomon. Avec Édouard Saunier, il partagea un atelier au 54 rue Notre Dame de Lorette et y exposa en 1911 ; leurs œuvres eurent beaucoup de succès, un très beau portrait, de Jacques Serinin du théâtre des arts, s’y trouvait, et l’une d’elle « L’enfant au lapin noir » fut acquise par une dame dont il fit un remarquable portrait et qui le mit en rapport avec toute sa famille qui le considéra toujours par la suite comme en faisant partie. Ce fut la même affection qui le lia avec la famille d’Édouard Saunier, qui devait mourir jeune, et avec celle de Jacques Salomon.
De Jacques Salomon, devenu par son mariage, gendre de K. X. Roussel et neveu d’Édouard Vuillard, il fut jusqu’à son dernier jour l’ami le plus sûr, »sa conscience ».
La peinture, la musique et la poésie les avaient réunis comme elle réunit, en 1928, Adolphe Boschot et van Hasselt ; leur amour de la beauté était le même, leur simplicité, leurs sentiments s’accordaient. À Arcachon, par un bel été, naviguant à la voile, ils goûtaient toutes les beautés des paysages, toutes les nuances du ciel et de la mer et la brise qui avait goût de sel. Van Hasselt prenait des notes, indiquait des valeurs et dessinait de rapides croquis ; tandis que Boschot en les évoquant faisait revivre Mozart, Beethoven, Berlioz et d’autres enchanteurs.
Nous débarquions sur le sable fin devant la forêt où van Hasselt nous quittait pour mieux s’isoler avec son attirail de peintre qui ne le quittait jamais dans ses promenades.
Avec Jacques et Annette Salomon nous retrouvions chez K. X. Roussel, Édouard Vuillard, Pierre Bonnard, Maurice Denis, Ambroise Vollard et d’autres amis et parents. C’était à L’Étang la Ville, tout en haut, devant la forêt de Saint Germain. Par beau temps dans le jardin si bien fleuri, sous les grands arbres que Roussel aimait tant ; en hiver autour du bon poêle hospitalier, autour de la grande table accueillante de Madame Roussel. Tout y était simple et familial et les conversations enrichissantes.
Ce fut aussi Jean Bersier qui donna à van Hasselt son amitié entière, de tout son cœur. Il le connu longtemps avant de le rencontrer par ses peintures. Je détache quelques passages d’un beau texte qu’il lui consacra dans « La Revue de la Méditerranée » : « Quand naguère je rencontrais ce peintre cher à mon cœur, je fus curieusement saisi par cette « reconnaissance », ce sentiment de « revoir » qui accompagnait notre premier serrement de main. C’est que van Hasselt je le connaissais déjà par ses peintures : depuis longtemps je savais qu’il avait les yeux comme l’eau bleue de ses marines, qu’il avait le teint, la chevelure étonnamment accordés et que spontanément les neutres et ses vêtures rendaient plus colorés dans l’harmonie du visage souriant, et les mains probes et chaleureuses … van Hasselt, peintre français, membre de l’Institut et qui vécu parmi les peintres les plus indépendants de ce siècle, qui fut l’ami de Vuillard, était resté le plus hollandais qui soit … nous le retrouvons aussi bien parmi les pécheurs du Zuiderzee, parmi les marins au long cours dont il à l’allure et l’apparence … et j’imagine qu’il nous est rarement donné de voir vivre à notre époque une figure aussi authentique que nous pourrions à l’infini transposer dans le temps sans le changer d’un iota. Mais si van Hasselt est resté de son pays, il n’est pas moins parmi nos peintres l’un des plus évidemment français. »
En 1921 van Hasselt avait fondé son foyer et trouvé chez lui une mine inépuisable de sujets. Comme ses grands ancêtres hollandais il s’attacha à traduire la vie de chaque jour, les gestes, les attitudes qui sont de tous les temps, n’ont rien de particulier. Des éclairages de jour ou de soir très variés, la table des repas ou le livre d’images devant les enfants, « Les reflets dans la glace », « La leçon de piano », « La repasseuse » … aussi bien des intérieurs sans personnages, mais qui vivaient dans lesquels on sentait une présence.
Van Hasselt si consciencieux, si appliqué aimait aussi la fantaisie, bien des natures mortes en témoignent. Sa « Vénus à la rose » est un poème bien à lui. Il aimait voir la fantaisie autour de lui, chez les autres. Il me souvient d’un soir, chez Charles Vildrac, nous dînions avec Georges Duhamel qui aimait très particulièrement la Hollande et cita ce passage, le détachant je crois de ses « Discours aux nuages » : « J’aimerai de dire que cet équilibre que l’on remarque en Hollande est précisément l’équilibre entre la civilisation matérielle et la civilisation morale »
et van Hasselt ne put s’empêcher d’ajouter : « avec un grain de fantaisie française ce ne serait pas plus mal ».
Il aimait la simplicité chez les autres, comme chez lui ; sa gentillesse se teintait d’un certain humour assez particulier que l’on retrouve souvent dans ses dessins. Il était gai naturellement, ne se forçait jamais, savait écouter et retenir, se taisant dans les réunions quand les mots pour lui n’étaient que des bulles d’air. Il n’aimait guère écrire et dessinait ses lettres destinées aux intimes, dessins amusants, spirituels, légèrement rehaussés de couleurs, qui l’amusaient autant qu’ils plaisaient aux destinataires. C’était une solution de facilité et beaucoup plus rapide ; mais il n’admettait aucune solution de ce genre pour la peinture, c’eut été une lâcheté, un manque de conscience. Les problèmes considérés comme difficiles étaient abordés volontairement, courageusement et ne devaient pas sentir l’effort.
Lorsque van Hasselt quitta la rue Notre Dame de Lorette où il avait tant travaillé avec Édouard Saunier, ce fut pour s’installer dans le bas de Montmartre, rue Gaillard. Un atelier au cinquième étage avec une grande baie d’où le ciel semblait proche avec son monde de nuages, au dessus des murs gris, des toits bruns de quelques jardinets avec leurs taches vertes, mais rares, et une petite chambre sur la rue que le soleil chauffait quant il voulait. Les meubles étaient peints par lui même en couleurs gaies et paisibles, vert, gris, bleu, citron ; une armoire rouge, quelques toiles accrochées au mur, les autres retournées, posées à même le plancher tout autour de la pièce, dans un ordre logique et sans recherche. Une toile importante s’y trouvait, peinte dans cet atelier. Elle réunissait trois amis, dont Jacques Salomon ; portraits solidement construits dans des harmonies sourdes pourtant bien colorées et très expressifs.
En 1926, ce logement au cinquième étage devenant un peu juste avant la naissance de sa seconde fille, un petit appartement dans la même maison s’y ajouta et il travailla également au rez de chaussée, dans un nouveau décor, où il exécuta de nombreuses peintures.
Mais en 1935, après une cruelle épreuve – la perte de sa fille Ida, âgée de 13 ans, décédée à Arcachon le 24 août -, il voulut changer ; tous les souvenirs qui s’y rattachaient étaient devenus trop pénibles. Il trouva alors un intérieur très clair qui l’inspira beaucoup ; tout l’y plaisait, et dans cet atelier de la rue de Pentihièvre il peignit de nombreux portraits, travaillait aussi sur les bords de la Seine et dans le jardin des Tuileries qui était proche.
Partout pour lui étaient la poésie et la beauté. Lorsque dans un paysage il introduisait un personnage, celui-ci faisait partie du paysage, ne posait pas, il était dans la nature et créait l’instant vécu.
À Seine-Port où il aimait s’entretenir avec George Desvallières sous les beaux arbres de « La Broquette », Desvallières lui disait : « Même vos paysages sont des intimités ».
Tous deux en causant peinture regardaient derrière les branches glisser les voiliers blancs comme de grands oiseaux. Dans le paysage il peignait non seulement l’arbre et son ombre, le scintillement de l’eau, la vie des nuages, mais son plaisir. On pouvait suivre sur ses traits l’histoire de cette joie comme dans un miroir. Pour le peintre hollandais Geurt van Eck, van Hasselt « est un peintre poète.Il ne réussit pas seulement à peindre l’ambiance du sujet mais il exprime en même temps le sentiment poétique inhérent à sa peinture. On pourrait caractériser son œuvre plutôt comme une conception de la réalité que comme une interprétation de la seule lumière. Et cette expression a une grande importance puisqu’il ne décrit pas la nature objective mais le sujet, la forme visuelle étant pour lui comme un moyen, un véhicule qui transmet l’inexprimable, l’impondérable, le poétique. Chaque jour est pour lui un prétexte pour exprimer sa joie de vivre ».
Jacques Salomon qui le connaissait si bien écrivait aussi : « Van Hasselt est poète et sa fidèle admiration pour la beauté du monde se manifeste librement sans être entravée par aucun des systèmes stérilisants qui auront été la plaie de notre temps ».
Si sa technique est indispensable, elle se laisse oublier devant le charme qui s’en dégage. Il y a quelque chose d’instinctif dans beaucoup de ses peintures. Elles donnent l’impression d’être nées sans effort, de n’être pas voulues. Telles sont « La sieste » qui a été acquise pour le musée du Luxembourg et « La fenêtre ouverte sur le balcon » baignée de lumière.
Il avait dans la sérénité le goût de la perfection et se sentait humble devant le but qu’il voulait atteindre. De là venait sans doute sa modestie. À quoi bon les formules, vouloir être au goût du jour ? Inventer tant de mots nouveaux obscurs et barbares ? Les palabres, les discussions oiseuses ?
D’après Claude Roger Marx : « Ses œuvres parleront sans avoir besoin d’exégèse, à tous ceux qui savent encore de quoi toute bonne peinture est faite ». On a vu en lui un post-impressionniste, mais il ne se posait pas de questions ; il devait peindre, il peignait, et ne s’en expliquait pas. Être peintre était sa raison d’être. Il le savait déjà étant enfant, ouvrant de grands yeux clairs devant le port de Rotterdam. Il nous offre la subtilité dans l’émotion, un charme qui retient, tout naturellement. Une amie lui demandait un jour comment il y parvenait, sa réponse fut toute simple : « L’émotion est ce que l’on donne de soi. Elle devient message. Se donner, dépasser la technique. L’émotion trouve un écho chez celui qui la contemple. C’est tout. »
Pour lui la grande poésie venait du cœur, de l’émotion. Il trouvait l’émotion dans la nature et la nature était la plus belle source d’inspiration. D’un discours qu’il prononça à l’Institut de France, s’adressant aux lauréats du grand prix de Rome, il dit : « Je voudrais vous rappeler, vous les artistes plastiques : puisez à la vraie source, la nature. C’est elle qui vous conseillera si vous savez la regarder avec humilité, avec Foi, avec ferveur. Méditez aussi le texte suivant copié dans un livre de Simone Weil « Attente de Dieu » : « Les œuvres d’art qui ne sont pas des reflets justes et purs de la beauté du monde ne sont pas, à proprement parler, belles, elles ne sont pas de premier ordre … ce contact qui est quelque chose comme un sacrement » et ces mots d’Honoré de Balzac : « Il n’existe pas de grand talent sans une grande volonté ».
Si van Hasselt toujours sincère, les avait ainsi exhortés, il savait ; il avait suivi la route droite. Son sentiment religieux était né de cette ferveur. Il considérait l’admiration comme une prière, un remerciement au Créateur, disant : « Toute ma vie est une prière ». Sa personne et son œuvre ne sont qu’une chose, on ne peut les séparer. Sa bonté et son amour de la Création ont empli sa vie.
À Nogent-sur-Marne, dans son atelier de « La Maison des Artistes » où il demeure de 1957 à 1963, il put travailler dans une grande paix, se reposer quant il voulait, repasser sa vie déjà longue devant ses peintures devenues des témoignages. Toutes lui rappelaient une page de son existence ; les paysages, les intérieurs et les natures mortes. Il revoyait à l’île d’Yeu, la rue du Coin du Chat, et la rue du Secret, dans la lumière éblouissante, les maisons basses, blanches, en plein soleil d’été, quant à midi les ombres bleutées descendaient des tuiles le long des murs comme de longues dents de peigne, et les bateaux au port qui n’attendaient pas toujours le lendemain pour reprendre la pose. Les valeurs des premiers plans situaient le sujet et les proportions, donnant le diapason. En Touraine, à Trèves-Cunault, la Loire était majestueuse et calme comme une grande dame.
À Bordeaux, les quais, les grands bateaux, dans l’odeur du café, déchargeaient leurs trésors. Le va et vient des remorqueurs qui allaient chercher les navires à la pointe de Grave. Les morutiers toutes voiles dehors, lorsqu’ils partaient pour un long temps en mer, après la bénédiction par le prêtre. La Garonne, le matin, aux tons de nacre et d’opale, rose quant il avait plu dans les Causses, grise sous la pluie avec le reflet du clocher de l’église Saint Michel, noyé, tout tremblé. Une peinture aussi qu’il fit sous la pluie sous le toit d’un hangar, se trouve aujourd’hui au musée de Bordeaux.
À la Trinité sur Mer, à Arcachon, où les beaux voiliers courraient en régates par n’importe quel temps. Parfois par si grand vent qu’il ne pouvait prendre que des notes et dessiner ou peindre de mémoire. Il les observait, les absorbait, et peignait de mémoire avec délectation.
Le 23 août 1963, le temps était radieux et van Hasselt se sentait mieux qu’à l’ordinaire et plein de sérénité. Il passa plusieurs heures dans son atelier, seul, et avait étendu des peintures sur le plancher devant lui, pour les juger.
Lorsque je vins le chercher ainsi qu’il l’avait demandé il dit très simplement : « J’ai revu mon travail. Il est bon ». Il était heureux, avait disposé une nature morte et préparé la toile pour la peindre. « C’est pour demain ».
Étant las, il s’étendit pour se reposer avant le dîner et leva gentiment la main, disant : « À tout à l’heure ».
Il ferma les yeux. Il ne devait plus les ouvrir mais se réveiller deux jours plus tard dans la lumière la plus belle, inhumé au cimetière protestant de Bordeaux.
http://www.museedeseineport.info/MuseeVirtuel/Salles/VanHasselt/Evocation.htm
Willem Van Hasselt (1882-1963) est un peintre néerlandais né à Rotterdam. Il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Rotterdam puis à Paris à partir de 1903. Après quelques années passées à Londres, il expose pour la première fois en France en 1911. Après la guerre, Willem Van Hasselt continue ses recherches à Paris, et fait la connaissance des peintres Nabis, en particulier Ker-Xavier Roussel et Edouard Vuillard desquels il est très proche.
Willem Van Hasselt épouse en 1921 la dessinatrice Louise Le Vavasseur (1891-1974), fille d’un riche négociant en vins, dont il aura deux filles : Ida (née en 1922 ; morte en août 1935), et Anne-Marie qui épousera François Charmet. Sa belle-famille, très introduite dans la société bordelaise, lui présente un certain nombre de personnalités et d’intellectuels notamment François Mauriac, Maurice Martin. Willem Van Hasselt passe ses étés sur le Bassin d’Arcachon, dont il peint de nombreuses toiles présentant des paysages et des scènes intimistes.
Van Hasselt puise son inspiration dans le Bassin d’Arcachon. Il peint également des paysages de la seine, de Bretagne souvent Bréhat. Van Hasselt est très intéressé par le sport, en particulier le football et le rugby. Plus tard, il travaille sur le post-impressionnisme.
Ses œuvres sont présentes dans les collections du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, du musée des Beaux-Arts de Nantes, au musée Eugène Boudin à Honfleur, au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, musée Georges Pompidou à Paris. Il existe peu d’écrits sur l’œuvre et la vie de Willem Van Hasselt, cet Hollandais courageux qui est engagé volontaire en 1914 et naturalisé français en 1933. Pourtant, tous ceux qui l’ont approché ont salué la sérénité rayonnante de l’homme et la sincérité totale du créateur. À un journaliste venu l’interroger un jour, il répondit : « Je peins avec mon coeur et le mieux possible. Il faut peindre comme on prie. » Il expose régulièrement chez Druet, Hector Brame et Wildenstein, des paysages tirés de ses nombreux voyages sur les littoraux, à Saint Tropez, en Bretagne, à Arcachon.De son ascendance Hollandaise, Van Hasselt a gardé le sens des grands espaces, des horizons marins et des bateaux, que son mariage en 1921 avec Louise Levavasseur va renforcer. Chaque année, le couple revient sur le Bassin, et séjourne à Bordeaux. Dans une lettre inédite à Jean Gabriel Lemoine, conservateur au musée des Beaux-Arts de Bordeaux au moment ou sa toile « hommage à Vuillard » est déposée par l’état dans ce musées, Van Hasselt évoque la ville : « Bordeaux est une ville ravissante et la Garonne à Bordeaux m’a souvent inspiré ». Van Hasselt appréciait l’art de Vuillard, et l’hommage peint en 1943 représente le maître au milieu de ses amis : Pierre Bonnard, Maurice Denis, Aristide Maillol, Jacques Salomon, et Ker-Xavier Roussel. On peut aussi citer l’ouvrage rapportant une part du travail de l’artiste : Le port de Bordeaux vu par les peintres, introduction par Albert Reche, et textes de François Ribemont, aux Éditions chimériques.
La Galerie Bassam est à la recherche d’œuvres de Willem Van Hasselt, ainsi que de Louise Levavasseur.
https://www.antiquaire-galeriebassam.com/peintures-1/willhem-van-hasselt/
[1] – À l’origine, la Coolsingel est l’un des canaux qui forment les fortifications de Rotterdam. Entre 1913 et 1921, il est comblé et le boulevard qui en résulte est bordé d’une série de bâtiments publics prestigieux, suivis plus tard par des hôtels, des cinémas et des grands magasins. Après la guerre, la reconstruction vise à rendre le centre ville plus adapté aux voitures et à faire du Coolsingel une artère de circulation principale.