De retour d’un long voyage en Chine, Pierre Loti vient passer quelques heures en villégiature à Meyran : l’auteur de « Pêcheurs d’Islande » est descendu lundi a la gare de La Hume, où quelques personnes se sont rendues pour saluer au passage cet illustre visiteur, qui vient s’asseoir familièrement à la table champêtre de la famille Daney, dont le fils André dit Osman (né à Meyran, au lieu-dit « Le Bec » le 9 juin 1875), est depuis plusieurs années attaché au service du célèbre écrivain.
En 1897, Osman Daney, alors qu’il effectue son service militaire sur le Javelot que commande Loti, remplace, pendant quelque temps, l’ordonnance de celui-ci.
Osman revient au service de Pierre Loti en 1900 et le suivra jusqu’à son décès, en 1923.
En août 1903, Pierre Loti est présent à Gujan à l’occasion du mariage d’Osman avec Mlle Jeanne Damblon : 3 août « À 1 h ½, je quitte Rochefort, la maison dans le bouleversement des grands départs, la salle Renaissance encombrée de mes caisses pour Constantinople. À 5 h, à Bordeaux je trouve Samuel, qui va lui aussi au mariage d’Osman et nous prenons le train pour Arcachon. À Facture, la jolie tête souriante d’Albert Elliès, venu au-devant de moi, paraît à la portière. À Lamothe, mon cher Osman paraît aussi et monte avec nous. Ils combinent de descendre tous à Gujan-Mestras, tandis que je continue jusqu’à la Hume. »
Au mois d’avril 1911, l’écrivain fait un court séjour au Cap-Ferret où l’emmène Osman Daney à bord de son bateau-bac. « Quand j’aborde à cette terre de l’autre rive, écrit-il dans son journal intime, il fait nuit. Ces maisonnettes basses à véranda, sur le sable, dans la verdure de pins, on dirait un village des colonies, sans ce froid qui glace. La maisonnette neuve d’Osman est là, tout près, adorablement gentille. On dîne devant un grand feu de pommes de pins et, après, on me conduit voir dans leur lit les deux petites que je connaissais à peine ».
Les deux petites sont les filles d’Osman Daney : l’aînée, Andréa, devenue Madame Gamin, demeure à Gujan-Mestras. La seconde, Renée, décédée il y a quelques années, était Madame Brouchet.
Quant à la « maisonnette neuve », elle est toujours en place 4 allée de la Jetée. Nommée à l’époque « Renée-Andréa », elle a été vendue il y a peu de temps à un jeune couple, Claire et Xavier Dessalle, qui l’entretient avec goût et l’a rebaptisée « Pierre Loti ».
Le cadre où elle est située a bien changé depuis 1911, mais le charme de la maisonnette agit aujourd’hui sur une nouvelle génération.
De son séjour ferret-capien, Pierre Loti garde le souvenir d’« une vie primitive et saine, chez de bonnes gens heureux de me recevoir, qui ne savent que faire pour me rendre les heures agréables…».
Vous n’êtes pas dans une mosquée d’Istanbul mais à Rochefort, en France, dans la maison du plus engagé des turcophiles : Pierre Loti ; la mosquée est la pièce la plus prestigieuse de sa maison. Au fond, le mihrab et au premier plan, la fontaine centrale. La stèle d’Aziyadé installée en 1905 vient du cimetière de Topkapi. En 1907, Pierre Loti fait même élever un minuscule minaret d’opérette, sans rapport avec la taille de la mosquée, mais pour compléter l’impression d’Orient. D’illustres visiteurs, tels Alice Barthou et Robert de Montesquiou, racontent comment des serviteurs habillés en Turcs se prosternent sur les tapis de prière, tandis que du petit minaret s’échappe l’appel lancinant d’un muezzin qui n’est autre que le fidèle Osman Daney.
Serviteur dévoué, Osman Daney le reste même après la mort de son maître dont il est le seul dépositaire d’une de ses dernières volontés. Pierre Loti, en effet, souhaite, dès 1919, qu’après sa mort, son corps soit enseveli à Saint-Pierre d’Oléron dans le jardin d’une propriété connue sous le nom de « Maison des Aïeules ». Des souvenirs de sa prime jeunesse, enracinés en ce lieu, l’ont conduit, selon la tradition protestante – n’étant pas admis dans les cimetières catholiques – dans laquelle il a grandi, à choisir sa sépulture. Quelques semaines avant sa mort, il fait tenir à Osman la promesse de « revenir, lorsque les cérémonies mortuaires seraient achevées, seul, en cachette, à la Maison des Aïeules, et de défoncer le cercueil afin que son corps soit rendu plus vite à la terre qui l’a engendré ». Cette mission dont Osman n’évoquait le douloureux souvenir que très rarement avec ses proches, il en fit cependant le récit, près de 30 ans après la mort de Pierre Loti, à un étranger, M. Pierre Mordreuc, qui la révèle le 20 juillet 1952 dans « Sud Ouest Dimanche ».
La Marine rend au capitaine de vaisseau Julien Viaud des honneurs dus, surtout, aux mérites et à la renommée de l’écrivain Pierre Loti. La dépouille mortelle, transportée par fourgon d’Hendaye à Rochefort, sa ville natale, est, dans l’après-midi du 16 juin 1923, embarquée à bord de l’aviso « Le Chamois ». Descendant la Charente, l’aviso est rejoint au large par 4 torpilleurs qui l’escortent jusque dans la rade de Boyardville où le corps est débarqué, puis transporté dans le temple de Saint-Pierre d’Oléron. En ce lieu, le pasteur dit une courte prière et c’est au crépuscule, dans la plus stricte intimité, qu’a lieu l’inhumation. Le cercueil est porté par Samuel, fils de Pierre Loti, Osman Daney et quatre matelots. Osman revient seul, un soir, muni d’un pic et brise le cercueil pour accomplir le vœu de son maître.
Osman Daney meurt à son domicile, à Gujan-Mestras, entouré de tous les siens, le 12 octobre 1967. Il a 92 ans. Sa maison est là, au bord de la route menant au port du canal. Elle s’appelle … « Ramuntcho » !
Jean Dazen
L’Avenir d’Arcachon du 29 juin 1902
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5431273p/f3.item.r=%22meyran%22.zoom
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5323679n/f11.image.r=%22Osman%20Daney%22?rk=64378;0#
https://htba.fr/file/SHAA_079.pdf
La Maison de Pierre Loti à Rochefort, lire https://docplayer.fr/7241394-Elmique-un-mot-d-introduction.html