Le trait d’union

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Avant la Révolution, différents quartiers existent : Mestras à l’est du bourg, Meyran à l’ouest, et La Hume à l’extrême ouest ; ils possèdent chacun leur port comme aujourd’hui, mais sont séparés par de grandes étendues de terres agricoles. La vie sociale de la paroisse, la plus petite circonscription administrative, est des plus simples. Si tout ne va pas à leur gré, les habitants s’en plaignent à l’intendant ou à l’archevêque, quelques fois directement au roi pour régler les différents conflits.

C’est la Révolution qui, en confiant l’administration à des municipalités élues, change tout, laissant libre aux ambitions personnelles et donnant naissance aux luttes entre gens ayant des opinions politiques différentes. La rivalité entre Gujan et Mestras ne nait donc qu’après 1789.

Le quartier de Mestras est de beaucoup plus peuplé que Meyran, La Ruade et Gujan réunis ; la loi du nombre joue donc en sa faveur. Au sein du conseil municipal, les Mestrassais font la loi et les Gujanais le supportent mal. À cela s’ajoute la compétition des notables pour la première place.

En 1803, la municipalité de Gujan, comme les autres municipalités du département, envoie à la préfecture une étude sur la topographie, l’agriculture, l’industrie de sa commune, ainsi que sur l’état des habitants. Elle charge de cette étude le notaire et l’instituteur. Pour ceux-ci, dans leur immense majorité, les habitants ont un caractère : « …doux, aimant, hospitalier, sensible et reconnaissant, robuste, vif, laborieux, ingénieux et pour l’art de l’agriculture et pour celui de la pêche ». Ils jugent les mœurs « bonnes et régulières, pas de fortes passions, beaucoup de religion sans fanatisme, beaucoup de sobriété. Il est rare de voir un homme pris de vin, malgré que leur constante habitude, à quelques-uns d’entre eux, soit d’aller boire à l’auberge les jours de fête. Bon fils, bons maris et citoyens ». « Le notaire et l’instituteur ne faisaient pas de distinction entre Gujanais et Mestrassais et le caractère « aimant » qu’ils prêtent à leurs concitoyens est aussi difficile à admettre que leur douceur. Certes, ils aimaient leurs familles, leurs proches et s’entendaient entre gens du même quartier, mais entre Gujanais et Mestrassais, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il existait une certaine rivalité ».

Le premier conflit entre Mestras et Gujan nait à l’occasion du partage des landes communales, affaire qui passionna la population de Gujan pendant plus de trente ans[1] ; le second, de beaucoup le plus grave, a pour origine la construction d’une chapelle à Mestras, à tel point que le 13 février 1864, le conseil municipal de Gujan « émet le vœu que la section de Mestras soit érigée en paroisse distincte et séparée, placée sous le patronage de Saint-Michel, qu’elle s’engage à présenter un local provisoire pour le service du culte et à faire dresser tous plans et devis de l’église et du presbytère de la paroisse nouvelle qui seront édifiés sur l’emplacement qui sera ultérieurement désigné ». On mesure par là que, pour une société encore marquée fortement du sceau de la religion, une commune est d’abord identifiée à une paroisse. Le maire est alors le Testerin Pierre-Eugène Dignac, en fonction de 1851 à 1870 et de 1874 à 1878, installé comme notaire à Mestras.

Les habitants du quartier font construire la chapelle « provisoire » (en service dès le mois de septembre de la même année), en attente de l’église définitive ; la chapelle « provisoire » est utilisée jusqu’en 1897,

 

date à laquelle il faut la remplacer par la chapelle actuelle, et l’église ne fut… jamais construite !

Au cours de ce second conflit, la création d’établissements de bains et de sociétés musicales concurrentes exacerbe la rivalité entre Gujan et Mestras, rivalité qu’accroit dans les 20 premières années de la 3ème République la divergence d’opinion entre Mestras bonapartiste et Gujan Républicain.

Inutile de dire que les protestations des conseillers municipaux du secteur de Gujan ne se font pas attendre ! De façon inhabituelle, et qui montre bien leur propre volonté de sécession, ils s’adressent directement au préfet de la Gironde dans une lettre du 30 septembre 1865 : « Nous réclamons une séparation immédiate qui laisse à chaque section la disposition de ses ressources et la responsabilité de ses actes. » Ils vont même jusqu’à menacer de donner leur démission. Cette lettre est signée par trois membres de la famille Daney, très ancienne famille de Gujan et représentative du point de vue des Gujanais.

Dès le 27 mars 1864, Pierre Daney avait envoyé un « Mémoire adressé à Monsieur le Préfet de la Gironde par les habitants de la section de Gujan pour être séparés de la section de Mestras ». Pour lui, « la séparation est devenue indispensable à cause de la mésentente qui règne entre les habitants des deux sections ».

La frontière qui doit limiter les 2 territoires est constituée par la craste Baguiraout (à 1’emplacement de l’actuelle allée de Baguiraout longeant la partie est du magasin Carrefour Market). La partition repose sur des réalités que souligne Daney : il y a deux écoles primaires (une à Gujan, une à Mestras), deux foires (Pâques à Gujan, Saint-Michel à Mestras), un adjoint au maire spécial pour Gujan et un pour Mestras, deux sociétés musicales distinctes (l’Orphéon Saint-Maurice à Gujan, la fanfare Saint-Michel à Mestras)… Les mésententes s’expriment d’ailleurs très souvent par les rivalités entre les deux groupes musicaux ! D’autre part, Daney met en avant des réalités socio-économiques dissemblables : les Gujanais sont agriculteurs et vignerons et les Mestrassais marins et industriels.

Il aurait pu ajouter qu’il y avait aussi deux établissements de bains distincts, mais cela le touchait de trop près. Daney, officier de santé, crée en 1844 un « Établissement de bains chauds et froids » sur une zone de prés salés au nord du port de Gujan « sur une immense et magnifique plage sablonneuse ». En 1855, et après bien des vicissitudes financières et administratives, Darman ouvre un établissement concurrent (les Bains de Mestras), à l’emplacement de l’actuel port du Canal, construit à cet effet. La concurrence n’est pas bien menaçante, les bains de Mestras étant bien plus modestes. Mais cela n’empêche pas Daney de réagir ; il met sur pied une habile publicité vantant son établissement et « sa position champêtre et nautique à la fois, si riante et si belle qu’elle plaît au premier abord ; la vue s’étend dans tous les sens : des bois, des champs, des prés, des vignes peu élevées, et le magnifique Bassin d’Arcachon que sillonnent de nombreuses barques ». Il joue même sur l’argument hygiéniste et thérapeutique, comme Arcachon à la même époque, en vantant les bienfaits « des bains chauds ou tièdes, des bains de sable et du bain d’air, auxiliaire puissant du bain de mer qui convient aux personnes d’une constitution pituiteuse (sécrétion du nez et des bronches), dont la fibre est molle, inerte et imbibée d’une sérosité abondante ».

Daney exerce également son entregent auprès du préfet de la Gironde, dans une correspondance où il laisse éclater sa rivalité avec Mestras : « La vogue des bains de Gujan a inspiré à la section de Mestras, par jalousie, l’idée de créer une industrie rivale… La plage de Mestras où il a été établi des guérites sur le bord d’un canal boueux, qui n’a pas un atome de sable – mais qui bénéficiera les boues du port de La Teste –  […]. Il ne va aux bains de Mestras, dont l’importance est insignifiante, qu’un nombre excessivement restreint de baigneurs, la plage n’y étant pas convenable ».

Chaque établissement de bains est desservi par une gare le long de la ligne Bordeaux-La Teste, ligne en difficulté depuis sa création, et que la Compagnie du Midi des frères Pereire a reprise en 1853 et qui souhaite réaliser des économies d’exploitation en imposant une gare unique pour la commune ; on voit poindre à ce propos l’inquiétude de Daney dans une lettre au préfet en 1857 : « Si la gare était à Mestras, les baigneurs ne viendraient plus à Gujan et notre charmant et pittoresque village, dont l’aspect durant la belle saison est des plus riants et des plus animés, offrirait le spectacle navrant de la misère et d’une profonde tristesse ». Ici, la lucidité (ou la crainte) laisse place à la propagande…

Les bains de Mestras ne seront exploités que pendant 15 ans, contrairement à ceux de Gujan, qui sont fréquentés par un large public durant 70 ans.

Le projet de scission n’a pas de suite. Gujan reste la dénomination officielle de la commune et les disputes continuent de plus belles !

Les années passent, on change de siècle.

En 1908, le docteur Louis Bézian, avec quelques hommes de bonne volonté, crée l’équipe de rugby Union Athlétique de Gujan-Mestras. Dans l’appellation, déjà, Gujan est associé à Mestras. Sur le terrain, ensuite, Gujanais et Mestrassais sont mélangés et unis pour gagner.

1914-1918, la Première Guerre Mondiale, associe, elle aussi, tous les habitants dans les mêmes souffrances et les mêmes deuils dont les 115 noms gravés sur le monument aux morts portent le témoignage sans distinction de quartier. Pourtant, lorsque dans la séance du 17 août 1919 le maire Jules Barat propose au conseil municipal la dénomination Gujan-Mestras au lieu de Gujan, il y a unanimité contre.

Il faut attendre le 15 septembre 1935 pour que le docteur Louis Bézian, élu 4 mois plus tôt maire de la commune, fasse adopter par l’assemblée municipale une demande officielle d’appellation de Gujan-Mestras.

C’est le décret du 24 mars 1936 qui légalise Gujan-Mestras avec un trait d’union…

http://www.ville-gujanmestras.fr/histoire/histoireloc.htm

https://www.infobassin.com/discorde-gujan-mestras-shaapb-info-bassin/

[1] – voir https://www.shaapb.fr/la-concession-des-landes-communales-de-gujan-1793-1823/

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Raphaël

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