Au Conseil général, rapport de M. Veyrier-Montagnères, un succès pour M. Garnung.
Le Conseil général a consacré mercredi dernier plus de deux heures à l’examen d’une question d’intérêt local. C’est bien le moins que nous lui consacrions, a notre tour, un article, avec d’autant plus de raison que cette question passionne depuis longtemps nos bons amis de la commune du Teich. Il s’agit d’un sentier « la Carreire de Ménage » qui va vers la propriété de M. Legrand, et le point d’interrogation posé était celui-ci : le sentier doit-il être reconnu comme chemin rural ou bien, au contraire, doit il être considéré comme étant la propriété de M. Legrand ?
L’allée appelée carreyre de Ménage, d’une longueur de 3.229 mètres 60 centimètres traverse la forêt de Nézer appartenant à MM. Legrand et Boynel, d’une contenance de 800 hectares enclavés dans la commune du Teich, elle a la forme d’un rectangle, dont un des côtés a 3.200 mètres sur 2.500 mètres de largeur. Si nous regardons un plan, nous voyons que du coté nord cette allée est située juste en face d’un chemin public existant sur le communal du Teich et aboutissant au village de Camps et que, pour relier ce chemin à l’allée de Ménage, la commune du Teich a, dans le temps, construit un pont (dont on voit encore aujourd’hui [en 1899] les montants) sur le fossé séparatif appelé craste de Baneyre ; et que du côté sud cette alléo, après avoir traversé la forêt de Nézer, mène à la propriété de M. Garnung. Elle confronte du nord au communal du Teich, dont elle est séparée par la craste de Baneyre, et du sud à l’allée de Malpont qui sépare la propriété Garnung de la propriété Lesca.
La Commission départementale, saisie de la question dans sa séance du 26 mai 1899, a dit que le sentier doit être considéré comme chemin rural, disait l’honorable M. Garnung, le dévoué maire du Teich, tandis que M. Legrand opinait pour la négative et défendait, cela se comprend, unguibus et rostro, ce qu’il prétendait être son droit de propriétaire.
La loi du 20 août 1881sur les chemins ruraux indique dans son texte comme dans ses commentaires qu’on doit faciliter par la multiplication de routes les nouvelles appropriations industrielles du sol pour favoriser l’agriculture.
Le Conseil municipal du Teich ne fait donc que se conformer d’abord au vœu de la population et enfin à l’esprit de la loi en voulant redonner à tous ses habitants, charretiers ou manouvriers de toutes sortes, des facilités d’exploitation qu’ils avaient depuis un temps immémorial.
En interdisant l’accès de leur propriété et en faisant payer, comme le prouve un reçu versé au dossier, jusqu’à 100 francs pour un délit de passage, MM. Legrand et Beynel paraissent s’être trop préoccupés de l’intérêt individuel à l’encontre de l’intérêt collectif.
En ce temps de décentralisation, on ne saurait donc blâmer une municipalité qui, après indemnité payée à un propriétaire pour le préjudice causé, prend une mesure utile à la masse laborieuse.
D’aucuns de nos grands confrères bordelais ont prétendu que cette histoire de sentier était d’ordre politique, que les adversaires de M. Legrand n’étaient pas fâchés de lui jouer un bon tour, et M. Boutaricq, conseiller général de la Réole allant plus loin, a dit qu’il s’agissait d’exercer une vengeance contre M. Legrand.
Cette interprétation est tout à fait inexacte. Dans cette affaire, l’honorable M. Garnung s’est uniquement préoccupé des intérêts généraux de sa commune et c’est pour défendre ces intérêts qu’il n’a pas hésité, en dépit des difficultés qu’il rencontre à chaque instant, à faire reconnaître les droits légitimes de la commune.
La « Carreire de Ménage » est, en effet, a peu prés le seul chemin en ligne droite permettant à la population laborieuse du Teich l’accès de la Forêt et si l’on se rend compte du nombre important de résiniers, charbonniers et bûcherons vivant du travail forestier, l’on a immmédiatement une idée de l’importance du droit de circulation dans ce sentier ; cette utilité est encore démontrée par le pont situé sur la craste Baneyre au droit de ladite carreyre de Ménage, lequel pont a été construit par la commune.
L’accès libre de la « Carreire de Ménage » avait si bien un caractère d’Intérêt général que, lors d’une consultation provoquée par M. Garnung, il y eut 308 voix environ pour le droit de passage, sur 43l volants.
Cette consultation ne prouvait-elle pas indiscutablement que l’on se trouve en présence, non d’une petite chicane faite au propriétaire, mais d’une éclatante revendicalion.
De tous temps, d’ailleurs, la liberté du passage n’avait été contestée et ce ne fut qu’à partir du moment où M. Legrand devint le propriétaire du sentier qu’il s’arrogea le droit d’en disposer à sa guise.
Assurément, et tout le monde sait cela au Teich, si quelqu’un a posé la question d’intérêt électoral, c’est M. Legrand el non M. Garnung.
Le tribunal de Bordeaux ayant déclaré que M. Legrand pouvait empêcher le public d’entrer chez lui, M. le maire du Teich ne se découragea pas. Fort de son droit, sachant qu’il trouverait en la personne de M. Veyrier-Montagnères, conseiller général du canton, un auxiliaire dévoué, il résolut de faire reconnaître la « Carreire de Ménage » comme chemin rural. Consultée, la Commission départementale lui donna raison et, mercredi, l’affaire était portée devant le Conseil général. La bataille fut chaude, car si nous ne connaissons pas personnellement M. Legrand, nous savons que c’est un homme tenace et qui sait user de toutes les cordes de son arc. Durant deux heures, la question fut agitée sous toutes ses faces. M. Veyrier-Montagnères, rapporteur de l’affaire, ne s’était pas contenté de parcourir les dossiers et de s’en tenir à l’historique de la question. Le dévoué conseiller général soucieux de se rendre utile à ses électeurs, était allé sur les lieux, s’était documenté sur place et dans un rapport aussi clair qu’énergique, il conclut à l’approbation de la décision de la commission départementale. M. Boutaricq, qui avait pris en main la défense de M. Logrand, essaya de répondre, mais vainement, car, après l’intervention de MM. Veyrier-Montagnères, Lanoire et Bertin, le Conseil décidait par 17 voix contre 12 que le chemin dit « du Ménage » serait reconnu comme chemin rural. M. Legrand sera donc exproprié. Nous ne pouvons que nous féliciter de la décision du Conseil général, non parce qu’elle déboute M. Legrand de sa demande, mais parce qu’elle donne satisfaction à la classe ouvrière du Teich qui, logiquement, ne pouvait être sacrifiée a des intérêts particuliers.
C’est un succès pour le vaillant maire du Teich, M. Garnung, succès que partage M. Veyrier-Montagnères, le dévoué conseiller général du canton. E. D.
Arcachon-journal des 3 septembre & 31 décembre 1899
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