LA VIE QUOTIDIENNE ARCACHONNAISE, IL Y A PRESQUE CENT ANS
Avec l’hebdomadaire
« L’AVENIR D’ARCACHON » D’OCTOBRE 1925 (*)
* Albert Chiché… *
…à plumes et à poils…*
+ Les pigeons voyageurs sont partis en laissant ici beaucoup de plumes, mais elles repousseront et ils nous reviendront l’an prochain pour se faire plumer de nouveau. Jamais on n’avait vu autant de monde ce qui prouve que l’argent n’est pas rare, du moins le papier-monnaie…
Voici venu le moment de nous promener dans notre belle forêt. (…) Promeneurs et chasseurs vont la parcourir dans tous les sens, ramassant des arbouses ou poursuivant férocement un pauvre renard échappé d’une boîte. On rencontre aussi dans notre forêt nombre de lapins et de perdreaux. Poils ou plumes, vous avez le choix. (…)
À propos de poils, les académies de beauté sont mises en effervescence par la grave question, celle des duvets que la nature fait pousser sous les aisselles féminines. Si, pour vendre des crèmes épilatoires on s’attaque aux mignonnes broussailles qui font ressortir la blancheur des bras, protestons contre un tel sacrilège. (…) Restez françaises et ne cherchez pas à imiter les Américaines qui s’épilent car il manque à l’Amérique ce sens artistique, privilège de nos civilisations raffinées.
* …un Américain répond…
+ (…) « Nous nous passons très volontiers de femmes poilues. On ne peut les associer avec des nations ayant la prétention d’être à la tête de la civilisation. Par laisser aller, vous n’observez pas les lois de l’hygiène ; manque de propreté ; les rues d’Arcachon sentent l’infection. (…) Manque d’hygiène et manque de civilisation, c’est la même chose. Je propose que les femmes soient obligées de supprimer les poils sous les bras et que les hommes soient obligés de raser leur barbe. Les brosses à habit ne se portent plus sous le menton. (Photo)
* …et Albert Chiché prend la mouche…
+ Un visage glabre fait ressembler à une vieille femme déguisée en homme pendant le carnaval. La barbe est le signe de la virilité. Les eunuques en sont privés. N’avez donc pas l’outrecuidance de vouloir donner des leçons d’esthétisme ; peuple jeune et mal dégrossi, vous êtes dépourvus de sens esthétique ; vos musiques et vos danses sont mécaniques et barbares comme celles des nègres. (…) Rien ne m’attire plus dans un pays où des gens épilés s’entassent dans des immeubles de trente-six étages. Je préfère rester à Arcachon.
* …puis, il part en guerre…
…contre des cabines de plage…
+ Apprenant que la compagnie des eaux des Abatilles a demandé la concession de cabines de plage sur la grève des Abatilles, il fulmine : « leur laideur banale enlèvera à cette plage sa poétique originalité. On pourrait les installer sur le superbe plateau qui domine le bassin ; on l’a loué deux cent francs par an à un industriel chargé d’y organiser des tirs aux pigeons ; or, il n’y pas eu de tir depuis la guerre. On devrait aménager là un confortable établissement de bain relié à la plage par un sentier en zigzag ».
* …et le voilà nostalgique…
+ On a beau s’y attendre, Arcachon se vide tout d’un coup comme une bouteille qu’on vide de son précieux liquide ; ça fait tout de même quelque chose. En quarante huit heures Arcachon est devenu morne et silencieux, réduit à sa grève, à sa forêt déserte et à ses larges avenues mélancoliques. (…) Arcachon appartient aux Arcachonnais. Ils ne savent plus qu’en faire ! Voilà donc le malheureux commerçant, l’infortuné journaliste bien embarrassés : peu d’acheteurs et pas la moindre nouvelle à se mettre sous la dent…Mais heureusement, bientôt arrive la saison d’hiver.
* A la source des Abatilles *
+ Les travaux d’aménagement avancent avec rapidité dans ce qui deviendra un nouvel éden. (…) Le kiosque à dégustation imitant l’antique temple circulaire de Vesta, à Rome, nous paraît d’une exceptionnelle élégance. L’eau nous y sera servie par une naïade. L’annonce d’un somptueux établissement de bains, d’une piscine, de nombreux magasins, d’un grand hôtel et de plusieurs autres merveilles a fait monter de façon fabuleuse le prix des terrains environnants. Aujourd’hui, la source des Abatilles devient un endroit de rendez-vous chics. Beaucoup de personnes se plaisent à se reposer sur les bancs dans cet endroit qui devient le centre de nos plus réjouissantes attractions hivernales.
* La question du golf *
+ M. Exschaw voulait fermer son golf déficitaire. Or, un golf est utile pour attirer à Arcachon nombre d’étrangers. Le dernier conseil municipal a voté une subvention de 15 000 francs par an pendant trois ans sans l’assortir de la réserve qui prévoyait qu’on la lui verse à condition qu’il promît de vendre à la ville les terrains nécessaires à l’agrandissement du stade. On a seulement exprimé le désir de cette vente. Est-ce bien suffisant ? On ne saurait trop remercier M. Exschaw fils de la bonne volonté qu’il a su montrer dans les pourparlers de la question du golf. Il faut aussi lui savoir gré de la généreuse souscription qu’il offre pour qu’Arcachon ne soit pas privé de son golf, indispensable à la prospérité de sa saison hivernale.
* Inertie *
+ Bientôt, sera étouffé sous le mol oreiller de l’inertie administrative le projet d’agrandissement d’Arcachon. On se rappelle que la demande d’extension de notre territoire avait été exprimée par le conseil municipal du 29 août 1924. L’Administration mit six mois pour fournir au préfet le plan d’extension qu’il réclamait. Il lui fallut six autres mois pour ordonner l’enquête qui doit accompagner la demande. Le 7 août 1925 le conseil municipal d’Arcachon put enfin reformuler sa demande du 2 août 1924. Par la suite, le préfet demanda au conseil municipal testerin d’organiser une enquête mais n’en fixa pas la date. Le maire de La Teste s’est endormi sur le dossier. Quant au préfet, il ne demande qu’à oublier cette affaire qui tend à ne lui donner que des ennuis. Le Comité de l’agrandissement, également en léthargie, a enfin demandé à notre maire de protester contre cet ajournement. Notre maire n’a pas bougé en considérant que les choses s’arrangeraient mieux si on ne bougeait pas. Arcachon s’agrandira-t-il tout seul ?
* Nos braves cochers *
+ Arcachon possède encore un certain nombre délégantes voitures à quatre roues attelées à de jolis chevaux. La vue de ces attelages, toujours impeccables, emplit de tendresse les vieux arcachonnais. Il faut venir à Arcachon pour trouver encore autant de fiacres en circulation. Le samedi 10 octobre, les 33 membres qui composent le syndicat des cochers se sont réunis à l’hôtel Bristol et Jampy pour leur banquet annuel.
* Les expulsions *
+ Alors que l’affaire Darnaud-Guilhem s’arrange grâce à sa propriétaire qui lui a accordé un bail de neuf ans, un autre scandale se prépare. Mercredi matin, un huissier s’est présenté chez M. Plantey, journalier, père de quatre jeunes enfants, pour le faire déguerpir par la force. L’huissier avait en main une sentence qui, à la suite de médisances, déclarait que M. Plantey n’avait pas joui des lieux en bon père de famille. Ce courageux travailleur a contraint l’officier ministériel à porter cette affaire devant le tribunal des référés. À suivre.
* Informations *
+ Le conseil municipal a émis le vœu pour le maintien de la poussette utilisée par le service des Postes pour le transport des colis postaux en ville.
+ Les directeurs de l’école St-Elme ont du refuser pour la rentrée du 6 octobre beaucoup d’élèves tant le nombre de demandes était élevé et que les dortoirs sont devenus trop étroits.
+ On trouve beaucoup de cèpes sur les bords de la Leyre, à Caudos et dans les bois qui entourent la porcherie de Villemarie à La Teste, si curieuse à visiter.
+ Arcachon ne connaîtra pas le chômage cet hiver. Les ouvriers auront du pain sur la planche : agrandissement de la poste, construction du cocher de St-Ferdinand et de plus de 70 chalets. Arcachon est en pleine progression.
+ L’affaire Despujols n’est pas close. Il avait obtenu une prolongation de cinq ans mais sur la demande du maire, des parlementaires Girondin auraient obtenu le départ du constructeur nautique pour le 1e janvier 1926. Attendons !
(Il s’agit d’ateliers installés sur la plage d’Eyrac depuis la guerre.)
+ Le cercle ambulant des Abatilles reprend ses excursions en forêt et les déjeuners succulents chaque mois.
+ C’est le 11octore que la séance récréative des Petits gabiers aura lieu à la salle du patronage de St-Ferdinand. Au programme : « Le Poignard », drame sous Louis XIII de Th. Botrel (avec costumes du temps) et « Madame Sabouleux » de Labiche. Il y aura des intermèdes de choix.
+ Mardi soir, vers 18 heures, une automobile a heurté deux cyclistes venant en sens inverse sur le bd Deganne. Ces deux ouvriers rentraient chez eux. L’un a été gravement blessé et transporté au dispensaire de la rue du Casino où il est mort le lendemain. L’autre, a une large plaie au genou gauche. Des accidents de ce genre se reproduiront puisque des quantités d’ouvriers rentrent de La Teste et de Gujan-Mestras sur les bicyclettes non éclairées, le long d’une route qui ne l’est pas davantage. Des mesures s’imposent.
+ Les nouvelles sur la santé du député Dignac ne sont pas meilleures. On espérait beaucoup du pèlerinage qu’il a fait dernièrement à Lourdes pour demander sa guérison. Nous faisons des vœux pour qu’il retrouve au plus vite sa place au Palais Bourbon.
+ Au moment de l’arrivée du dernier train, seule une lampe fumeuse éclaire la gare. Et dire que nous recevons chaque jour des parisiens qui arrivent de la ville lumière !
+ Nous allons avoir une nouvelle et très importante pêcherie aux chaluts. A la place des établissements Roussel. Le promoteur, M. Bedin, a, parmi ses actionnaires actionnaire, M. Bon.
* La villa des artistes *
+ Notre compatriote, M. Albert Brice Caussé, ancien pensionnaire des théâtres de Paris, vient de fonder la « Villa des Artistes », boulevard Deganne. Elle est faite pour recevoir des artistes, momentanément sans engagement. Dans les jardins de la villa, sous un velum, sera installé un théâtre et, grâce à lui, les « Cigales » seront nourries et logées pendant leur séjour. C’est une œuvre de solidarité. Dans ce si intéressant quartier de l’Aiguillon, quartier des pêcheurs et des ouvriers, il y aura donc un théâtre. Tous les samedis et dimanches des spectacles alterneront sur sa scène. Des spectacles à des prix démocratiques et où l’art, honnête et probe, brillera d’un vif éclat.
* V. I. P et mondanités *
+ Les Anglais arrivent en nombre. On entendra beaucoup leur langue et la petite église anglicane longtemps abandonnée reverra les beaux jours d’antan où le regretté chapelain Radcliff écrivait dans les feuilles anglaises pour faire connaître notre beau pays.
+ Nous sommes assurés d’avoir pendant cet hiver la chasse à coure et le golf grâce aux efforts de la municipalité et de généreux donateurs. Avant les travaux importants à la source des Abatilles, nous pouvons compter sur une saison d’hier des plus brillantes.
D’ailleurs la première chasse s’est achevée à Villemarie et Mme la Duchesse Decazes a distribué les récompenses. La chasse au renard avait réuni beaucoup de cavaliers, d’amazones et d’autos au départ de la place des Palmiers. Les participants se sont ensuite retrouvés au restaurant à la mode Etchea où ils firent un déjeuner de chasse dont ils conserveront longtemps un voluptueux souvenir. Nos chasses n’ont plus rien à envier à celles de Pau ou de Biarritz.
+ La Menace, de Pierre Frondaie, est un gros succès théâtral. L’heureux auteur va revenir composer un nouveau chef-d’œuvre dans sa villa des Sablines.
+ La réouverture du golf a été des plus brillantes. Un temps superbe avait attiré sur les vertes pelouses de nouveau admirablement entretenues, tout ce qu’Arcachon compte de joueurs émérites dans sa haute et riche société.
ET PENDANT CE TEMPS,
À LA UNE DE « L’OUEST-ÉCLAIR » DU MOIS D’OCTOBRE 1925
+ 1 – Grande révolte en Syrie contre le protectorat français.
– Les troupes françaises déclenchent une offensive dans le Rif.
+ 2 – Les Américains font une contre proposition sur la dette de la France.
+ 3 – Les troupes françaises avancent dans le Rif. Elles ont détruit Ajdir.
– Demi-échec sur la dette à Washington.
– Les plantes pourraient-elles fécondées par l’électricité ?
– Voici l’heure d’hiver. Retardez votre montre d’une heure.
+ 5 – Conférence de Locarno entre la France, l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie en vue de garantir les frontières occidentales de l‘Allemagne, de la Belgique et de la France.
+ 6 – Criminelle inertie du général Sarrail en Syrie. Il a envoyé au massacre la colonne Michaud.
+ 7 – M. Steeg accepte le poste de résident général au Maroc. Il remplace Lyautey.
+ 8 – Les cavaleries espagnoles et françaises opèrent leur jonction à l’est du Rif.
– Une maison de Hambourg fournit des armes aux Rifains.
+ 9 – En Syrie, les rebelles kurdes battent en retraite devant nos troupes.
– Pour résoudre la crises des loyers le haut commissaire au logement propose de donner gratuitement le terrain aux constructeurs.
– Un projet de trottoir roulant à Paris.
+ 11- La grève de protestation du parti communiste contre la guerre du Maroc paraît vouée à l’échec.
– Le musée de la Marine doit rester à Paris.
+ 12 – 100 000 personnes ont assisté aux fêtes de l’aviation de L’Ouest-Éclair à Rennes.
– L’Allemagne signe un traité de commerce avec l’Union soviétique.
+ 13 – À Locarno, on s’oriente vers l’entrée du Reich à la SDN.
– Au Maroc, Abd-El-Krim semble battu.
– La grève lancée par le Parti communiste a échoué. Un homme a été tué à Suresne. L’enquête est en cours. Le député communiste Doriot a été arrêté au cours d’une bagarre.
+ 14 – M. Caillaux propose d’augmenter certaines taxes.
– Les moteurs des poids lourds peuvent être alimentés par le charbon de bois.
+ 15 – Au paradis des Soviets on conçoit mal le droit de grève.
– Les réservistes de la classe 20 rappelés, leur instruction militaire ayant été insuffisante.
– Le raid d’aviation Paris-Téhéran est un succès pour la France.
+ 16 – Accord à Locarno. Mais les Allemands exigent l’évacuation de Cologne. Les journalistes refusent d’entendre M. Mussolini.
– La France signe un accord militaire avec la Tchécoslovaquie.
+ 17 – Le fascisme italien a supprimé la liberté syndicale.
– MM. Caillaux et Herriot sont aux prises devant le congrès Radical. M. Herriot
souhaite de nouvelles taxes.
– La mode d’hiver est sortie. (Photo)
– Grève dans les transports parisiens.
+ 18 – Le congrès radical se prononce en faveur du prélèvement sur le capital.
– Les briseurs de grève de Douarnenez devant les Assises de Quimper.
– Au Maroc, des troupes rejoignent leurs quartiers d’hiver.
+ 19 – Au congrès radical, un compromis équivoque sur l’impôt sur le capital. M. Painlevé fait un discours diplomatique.
– L’agriculture anglaise en décadence.
+ 20 – La réforme de l’administration s’impose.
– Un médecin anglais aurait découvert un remède au cancer.
– Les Italiens étendent leur occupation de la Somalie.
+ 21 – De nouveaux troubles éclatent en Syrie. Les Druse auraient occupé Damas si le général Sarrail ne les avait pas chassés.
– Au Maroc, nos troupes enlèvent des positions importantes.
+ 22 – La Grèce envahit le territoire bulgare. La SDN est saisie.
– Invasion étrangère dans le Sud-Ouest. Les Espagnols et les Italiens se comptent 5000 dans le Tarn et Garonne.
+ 23 – Les briseurs de grève acquittés.
– MM. Painlevé et Caillaux s’accordent sur les projets financiers. Le franc est en baisse.
+ 24 – Essais de vaccination en France contre le tétanos.
– Une crise ministérielle probable si la majorité présidentielle sacrifie M. Caillaux aux injonctions du congrès radical.
– La tempête a causé de gros dégâts sur les côtes bretonnes et normandes.
+ 25 – Progrès stupéfiants dans l’aviation. Un avion français atteint les 313 km/h.
– Les traités de Locarno vont-ils provoquer une crise en Allemagne ?
+ 26 – M. Caillaux refuse l’impôt sur le capital.
– Le programme des républicains nationaux : « Liberté pour tous, dans l’ordre, l’égalité, la fraternité ; France d’abord. »
– Notre marine marchande est décadente.
+ 27 – Démission du président du Conseil, Painlevé.
– La SDN somme la Bulgarie et la Grèce de cesser les hostilités.
– Après les accords de Locarno, les ministres nationalistes allemands démissionnent
+ 28 – Découverte du masque funéraire de Toutankhamon par Howard Carter.
– À Paris, un immeuble de cinq étages s’effondre. Onze morts.
– Toujours des troubles à Damas.
– Le premier navire russe arrivé à Bordeaux depuis la guerre a apporté 50 000 t. de blé.
+ 29 – Canada : les progressistes réélus au parlement.
– Painlevé est nommé président du Conseil. Il a reçu le concours de M. Briand.
+ 30 – Le Cabinet est formé. M. Caillaux n’est plus ministre.
– Les troupes grecques ont évacué la Bulgarie.
+ 31 – En Perse, la dynastie des Kandjars est officiellement déposée.
– En Syrie, le général Sarrail a gaspillé le sang et l’or de la France. Il est rappelé à Paris.
– Une cité du cinéma va se construire à Biarritz. Elle aura les plus grands studios d’Europe.
Jean Dubroca