L’auberge littéraire de Piquey

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Établi en 1907 dans le village ostréicole près du débarcadère de Grand Piquey, le « Café-Restaurant Landais Brice », pension de famille équipée de sept chambres, est tenu par un certain Jean Brice.

À partir de 1919, l’hôtel est repris par Madame Dourthe, originaire des Landes. Anonymes comme personnalités séjournent dans cette maison en bois, sans eau ni électricité. En dépit du dépit du confort rudimentaire de l’hôtel, les pensionnaires sont charmés par le calme et la simplicité des lieux. Au rez-de-chaussée se trouve un restaurant, et à l’étage se situent les 7 chambres, 4 derrière donnant sur les pins et trois devant avec vue sur le Bassin.

Il est rebaptisé « Grand Hôtel Chantecler », d’après une idée de Jean Cocteau, inspiré de la pièce de théâtre en quatre actes d’Edmond Rostand créée en 1910.

Il devient alors un haut lieu de rencontre entre artistes, intellectuels, et hommes politiques. L’hôtel s’orne d’une double galerie, et d’un coq peint par André Lhote sur le balcon.

C’est à Chantecler que le jeune et regretté Raymond Radiguet écrit, à 16 ans, Le Diable au corps et le Bal du Comte d’Orgel, sous la garde de Cocteau.

Avec eux séjournent dans l’auberge en bois Georges Auric, l’un des musiciens de ce groupe des « six » qui se désagrégea par la suite et Jean Hugo qui dessine les costumes de Roméo et Juliette.

La grande salle à manger est alors transformée en studio et au retour d’une promenade en bateau ou après une excursion vers les villages marins, dans des pyjamas de soie rose ou bleue que n’oublient pas les rustiques habitants, on y travaille avec ardeur. Huguette Duflos, Léon Mathot, Roland Dorgelès et Marguerite Jamois sont des habitués de « Chantecler ». Claude Farrère vient y déguster les confits de canards sauvages que chasse ou pêche dans les vagues océaniques, les jours de tempête, le bon chien qui mendie une caresse, pendant que j’écris ces lignes.

Pierre Benoit fait de longs séjours dans l’auberge de Madame Dourthe.

N’a-t-il pas écrit dans le  » Visage de la France « . « Je plains les gens qui vont chercher, aux quatre cents diables, un exotisme frelaté. L’étang d’Arcachon leur offre tous les résumés de la terre. Ici les villas sont algériennes et les pins parasols affectent des airs japonais. La Grande Ourse, la vulgaire Grande Ourse, vous a des allures de Croix du Sud. Il y a un quart de siècle environ quelle paix y a été la nôtre ! Chère madame Dourthe, c’est votre éloge que je veux célébrer. Votre éloge, l’éloge de l’hôtel Chantecler qui nous abrita pour la première fois, à l’automne de 1926, mon ami M. Francis Carco et moi. M. Carco passait ses journées à essayer de pêcher de curieux petits poissons qui, dénommés mules, n’ont même pas l’excuse de ressembler à des hippocampes. Moi, j’écrivais à mes amis de Paris. C’est dire qu’il me restait pas mal de temps libre. Les repas nous réunissaient. Nous étions maîtres et rois dans une véranda qui sentait la résine et les balles de pin cuites au soleil. De petits canots automobiles — prouf, prouf, prouf — allaient et venaient sur les eaux mates de l’étang. Nous n’échangions que peu de paroles, comme il sied à des gens qui connaissent le prix de la copie et, le repas terminé, nous élevions nos âmes en faisant fonctionner un phonographe que des imbéciles, venus en expédition du cap Ferret, réussirent un jour à détraquer.

De cette solitude naît l’auberge littéraire de Chantecler.

Les séjours de Pierre Benoit et de Francis Carco (nom de plume de François-Marie Alexandre Carcopino-Tusoli) me fournissent une amusante anecdote : le coiffeur de la région réside au Petit Piquey. Il ne rase que dans la journée, car c’est lui qui porte le pain dans les petits villages de la côte. Il cumule également ses fonctions de barbier avec celles de restaurateur, cafetier, épicier et c’est sa femme, Madame Saubesty qui va vendre dans une charrette aux larges roues et sous une toile disposée en arceau, des excellents gâteaux d’Arès. Toutes les voitures qui viennent alimenter la côte sont semblables, et une trompe aux sons différents annonce l’arrivée du boucher, du charcutier ou de l’épicier.

Or, un jour, que Benoit et Carco se rafraîchissaient sur la terrasse du cafetier-coiffeur, Saubesty, qui ne connaissait pas les deux littérateurs, les entendit parler de Cocteau et de Radiguet.

– Excusez-moi, messieurs, si je vous coupe, mais comme j’ai beaucoup connu ceux dont vous parlez, je voudrais vous poser une question. C’est moi qui ai coupé à la tondeuse les beaux cheveux blonds de M. Radiguet que Jean Cocteau recueillait avec respect et amour.

Est-il vrai, comme je l’ai lu dans un journal, que Jean Cocteau est entré au couvent ?

– Je ne sais pas s’il y est entré, répond Pierre Benoit, mais dans ce cas il en est sorti ; je l’ai vu, il y a deux jours, à Paris.

– Bast, ajoute le barbier, avec des écrivassiers, il ne faut rien prendre au sérieux ; ils sont tous plus ou moins maboules.

Pierre Benoit, mis en gaité, rit de bon cœur, tandis que Francis Carco, très froissé, paie ses consommations en se promettant de ne plus revenir dans le café du Figaro-Gaffeur.

Après avoir sollicité pour cet été la pose d’une plaque commémorative sur l’auberge Chantecler je signale à mon confrère Ricaudy que l’excellent curé de Lège met à la disposition de sa Société Archéologique des chapiteaux très anciens venant de la démolition de la vieille église remplacée aujourd’hui par une petite basilique qui fait honneur au talent d’un arcachonnais, M. Ormières, fils.

On peut lire sur le Livre d’or de l’hôtel : « J’aime les maisons en planches (parce qu’elles sont honnêtes : d’esprit et de construction), Le Picquey est bientôt… foutu. Je l’ai connu avant les routes et les bâtisseurs. Ce Bassin, au rythme de treize heures, véritable horloge cosmique, fomentant toutes les diversités, les infimes combinaisons. Maintenant, les maisons sont « basques » avec de fausses poutres en ciment peintes en faux-bois !

Le dimanche, on voit une voile rouge sur le Bassin : et tout est brisé de l’harmonie fondamentale, bientôt un matin lèvera sa voile. J’aime, un autre sa voile bleue. Et ainsi de suite, le massacre est immanent. J’avais pensé que si le sol était désormais aux mains des sauvages, l’autre moitié, le Bassin serait sauf. Où diable trouver encore quelque chose de vrai. J’aime Chantecler parce qu’il est en planches. J’aime l’hospitalité de Madame Dourthe parce qu’elle est honnête. Sept. 1936. Le Corbusier ».

En dépit des prédictions de Le Corbusier, le Bassin et Chantecler continuent à être fort appréciés.

« Il y a la grand-mère Mme Dourthe, son fils et sa femme, le petit-fils et la petite-fille, Janine, qui a épousé un M. Biz. Le fils Dourthe est restaurateur et fait de la très bonne pâtisserie » se souvient Josette Trioné, 96 ans.

Une des dernières pensées écrites est celle de Pierre Benoît : « Finies les merveilleuses vacances. Une fois encore, Chantecler nous aura offert l’apaisante douceur de son climat privilégié (sic), l’odeur exotique de ses bougainvilliers, de ses ypiscus (sic), de ses citronniers, la succulente cuisine de Madame Marie, la permanente et amicale gentillesse des époux Biz, etc… P. Benoît ».

Selon Jean-Paul Piraube, l’hôtel a cessé d’exister sans doute faute d’héritiers. Les Biz, qui ont depuis l’hôtel au décès de M. Dourthe n’ont pas d’enfants. Dans les années 1970, l’hôtel Chantecler est vendu puis reconverti en une résidence partagée en appartements.

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Raphaël

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