Le 25 mai 1708, Claude Masse disait que les « Peuples le long des Bords de la Mer d’Arcachon sont beaucoup plus rustics que les Medoquains et autres Gascons, et ont un patois plus rude et différent ».
Le sanctuaire de Lauros, au sud du Porge, et surtout celui de Lège sont envahis par les sables, comme nous le dit Claude Masse (Extrait sur Bordeaux, 1723) : « Les sables avancent chaque année de 10 toises ; quelquefois, en deux ou trois jours, un grand vallon devient une prodigieuse montagne, et, où était la montagne, il se trouve un vallon, ce qui a fait découvrir souvent des vestiges de maisons et racines d’arbres, qui étaient autrefois villages, bois, prairies ou terres labourées. » « L’ancienne église était dans le voisinage de la dune des Pas-Coyaux, à environ 2000 mètres au nord du Lège actuel (1) ». Élisée Reclus, en 1863, nous dit que son église a fui deux fois devant les sables en 1440 et 1660 : la première fois de 4 kilomètres ; la seconde, de 3 kilomètres plus avant dans l’intérieur des terres. Bien qu’ayant une église, lors de la visite pastorale de l’archevêque Honoré de Maniban du 8 mai 1731, le curé de Lège remet pour le procès-verbal de la visite du prélat les renseignements suivants : « La paroisse n’est ni ville, ni bourg, ni village, mais rase lande et les maisons éloignées l’une de l’autre. Il y a un prétendu hameau qu’on nomme Ignac éloigné de l’église de cinq ou six cents pas. Il n’y a point de métairies. Il y a 140 communiants. Il n’y a presque que des matelots ». L’avancée des dunes est aussi relatée par Montaigne (2) : « En Médoc, le long de la mer, mon frère, Sieur d’Arsac (La Boétie), voit une sienne terre ensevelie sous les sables que la mer vomit devant elle ; le faîte d’aucuns bâtiments paraient encore… Les habitants disent que, depuis quelques temps, la mer se pousse si fort vers eux qu’ils ont perdu quatre lieues de terre. Ces sables sont ses fourriers ; et voyons des grandes montjoies d’arène mouvante qui marchent d’une demi-lieue devant elle, et gagnent pays. ». Claude Masse, au début du XVIIIe siècle, affirme dans ses mémoires avoir vu « plusieurs forêts et grands bois de haute futaie engloutis sous le sable, et passer un cheval sur le sommet des arbres qui ne paroissent plus que par quelques bouts de branchages » ; il rapporte les dires de paysans affirmant avoir « vu changer de place deux ou trois fois un même village ». Voici son antique église, qui depuis six cents ans a été la troisième construite dans cette paroisse ; car la première était au moment d’être envahie par les sables quand on la transporta plus loin, alors qu’elle était si bien située au bord de la mer. Comme l’ancien château de Lège, au treizième siècle, Lège, à cette époque, est très considérable et érigé en baronnie, qui devient successivement la propriété du chapitre de Saint-André de Bordeaux, du seigneur de Gourgues, du duc d’Épernon et de M. de Marbotin. L’ancienne église de cette paroisse a été abandonnée depuis le commencement du XVIe siècle. Depuis cette époque, elle est entièrement recouverte par les sables. Ainsi parle, toujours d’après la tradition, l’abbé Baurein.
Le chemin dit « du Port de By à la station de Lugos » tourne au quartier d’Ignac (vieux nom gallo-romain) vers Arès : couvert par les dunes, le sanctuaire d’Arès est déplacé (3) en 1559 et 1619. (Beaurein rapporte que la première église était à Testas).
Dans l’abside romane de l’église d’Andernos, rebâtie avec et sur les murs d’une villa gallo-romaine du Ve siècle, on peut, à travers une veyrine aujourd’hui murée, vénérer sainte Quitterie, vierge martyre espagnole dont le culte semble importé par les pèlerins sur tout le parcours de leur pérégrination (Landes : Aire-sur-l’Adour; Mazères, tombeau remarquable ; chapelle de Moron, etc.)
Lanton où débouche une autre route venant de Lacanau, passant par les commanderies templières de Saumos et du Temple. L’église Notre Dame de Lanton est l’une des plus anciennes églises romanes du Bassin d’Arcachon. Simple chapelle au départ, elle a été construite au croisement du chemin de Saint Jacques de Compostelle et du chemin du vieux port de Lanton qui en a fait une halte bienfaisante pour les pèlerins qui recherchaient un peu de repos durant leur voyage. L’église, repensée au XIXe siècle, a conservé certains éléments du XIIe ; les parties basses de l’église ainsi que son chevet témoignent de sa période de création.
Les Bretons ont laissé trace de leur passage sur ce chemin où le culte de St Yves est demeuré vivant à Lacanau et surtout à Saint-Paul d’Audenge – saint pou d’osengie dans la Chronique de Turpin – (qui avait été donné par Charlemagne à Saint-Seurin) ; Claude Masse remarque près d’Audenge, une fort jolie chapelle dédiée à St Yves où il se fait beaucoup (quantité) de miracles.
Placé sous la dépendance du chapitre de Saint-Seurin de Bordeaux, Comprian est le siège d’un chapitre de chanoines sous l’autorité d’un Prieur ; il devient seigneurie ecclésiastique, mais le prieuré vit essentiellement du revenu des dîmes des paroisses qui lui sont rattachées : Biganos, La Mothe, Lanton et surtout Mérignac.
Le prieuré de Comprian en Buch, Sauvetat (4) sur la mer de Buch, offre une halte aux pèlerins venant prier aux oratoires locaux (Oratoire de Notre Dame d’Arcachon que le cordelier Thomas Illyricus avait élevé sur le banc de Bernet ; Notre Dame des Monts à La Teste ; Saint Jean de la Motte ; Sainte Catherine des Argenteyres).
Le prieuré de Comprian, dans la paroisse de Biganos, fut, avec le prieuré cistercien de Notre-Dame des Monts à La Teste, la seule communauté religieuse en Pays de Buch. Le temps de sa notoriété, de son importance comme pôle de la vie religieuse de notre région dura quatre siècles, de l’an 1000 à 1400-1450. Son origine, celle de son église tout au moins, est plus lointaine. Elle se situe avant le VIIIe siècle et pourrait remonter aux origines du christianisme. On raconte que, Charlemagne, soi-même, donne, au chapitre de Saint-Seurin de Bordeaux, une chapelle située près du port des Tuiles, à Biganos. Un port qui sert au commerce du sel. Le prieuré est fondé en 1085. Cela explique, en partie, que, vers 1110, la chapelle devienne le centre d’un prieuré, élevé à ce rang royal par Louis VI le Gros. Là, cinq chanoines font office de passeurs et, à l’hôpital, reçoivent tous ceux qui ont besoin d’aide, matérielle comme spirituelle, les pèlerins – nos “jacquets” -, tout autant que les marins. Pendant plus de deux cents ans, le prieuré de Comprian reste sous la haute protection des puissants seigneurs du pays, les captaux de Buch, Dans les premières années du XIVe siècle, le premier captal, Pierre de Bordeaux, transforme l’église Saint Pierre en chapelle funéraire familiale, et demande par testament à être enseveli dans le chœur, auprès de sa mère. Le même vœu, assorti d’un don substantiel, est exprimé par sa sœur et héritière, Assalhide de Bordeaux, dame de Puy-Paulin et de Castelnau, veuve de Bertrand de l’Isle-Jourdain (5) ; le Prieuré de Comprian est en quelque sorte le « Saint Denis » des captaux de Buch ! En 1307, Assalhide, héritière du captalat de Buch, épouse Pierre de Grailly : c’est ainsi que le titre de Captal de Buch passe dans la maison de Grailly. Assalhide lui donna trois enfants : Jean, Brunissende et Jeanne. À sa mort, elle lègue le captalat de Buch à son fils, connu sous le nom de Jean II de Grailly, lequel, à son tour, le laisse à son fils Jean III, le célèbre capitaine qui eut comme adversaire le non moins célèbre Du Guesclin.
Pierre se remarie en 1328 avec Rosamburge de Périgord qui lui donne deux enfants : Archambaud et Roger.
Jean III de Grailly « le grand Captal », allié et ami du Prince Noir, meurt en 1376, prisonnier du roi de France, dans la forteresse du Temple de Paris où il est enseveli. Dans son testament, il lègue une somme importante (600 écus d’or) au Prieuré, et demande que « sept hommes marchant à pied, soient envoyés à Saint-Jacques-de-Compostelle pour le repos de son âme, et de l’âme de ses parents ; il sera donné à chacun vingt écus d’or vieux ».
Mais les pèlerins se font rares, les Anglais ayant fui le catholicisme : vers 1350, le déclin de Comprian commence inexorablement ; le prieuré perd progressivement et son rôle religieux, et ses chanoines puis ses moines jusqu’à n’en compter plus qu’un. Les visites épiscopales effectuées aux XVIe et XVIIIe siècles donnent un aperçu de ses bâtiments : le chemin venant de Tagon, allant aux près salés, longe le mur nord de la nef. Le cimetière est au sud, du côté opposé. L’église, orientée ouest-est,a la forme d’une croix et son clocher, reposant sur quatre piliers, s’élève au centre de la croix et possède quatre cloches. Du fond de la sacristie jusqu’au balustre, elle mesure 22 pieds, du balustre au fond de la nef, 90 pieds, soit au total 112 pieds ou 37 mètres, le transept mesure 53 pieds, soit 18 mètres. L’entrée principale à l’ouest à l’extrémité de la nef donne sur une petite place, face à la grande maison Peytaillade ; une plus petite porte, dans le bras nord du transept, donne par conséquent sur le chemin. Le chœur est à l’est, comme la sacristie située derrière le maître autel. Il y a 5 autels en 1622, en fin de siècle, il n’y en a plus que trois. Dans le transept sud, l’autel est dédié à Notre-Dame, côté évangile, l’autel est dédié à St-Jacques et semble témoigner du passage des pèlerins à Comprian. Le sol de l’église est en briques et la chaire, bâtie en pierres, se trouve dans la nef du côté de l’évangile. Le tableau placé au dessus du maître autel représentant St-Pierre et St-Paul, est en si piteux état que l’Archevêque demande en 1653 qu’il soit enlevé et remplacé. La visite de 1691 décrit encore le mauvais état du bâtiment ; le lambris de la nef tombe en morceaux, la muraille côté mer s’écroule, le clocher menace ruines. C’est bien cette église dégradée que Masse a visitée lui aussi.
Le presbytère est une petite maison à l’angle sud-ouest de l’église, donc à droite de son entrée principale. L’actuelle maison des propriétaires des lieux est construite sur l’emplacement du presbytère avec débordement vers le sud. Les anciennes caves ont été conservées. On y trouve des murs très épais de 40 à 50 centimètres et des poutres d’une pareille importance, taillées sommairement dans des arbres énormes mal équarris. Plus précisément, la grande maison actuelle, bâtie à un étage, occupe en partie l’emplacement de la nef. Le grand mur sud de cette maison porte encore deux hautes fenêtres à ogive, seuls vestiges des murs de l’église. Toutefois, un examen attentif des lieux devrait confirmer que le mur nord de la maison est la partie du mur de l’église. Quelques éléments sculptés romans et gothiques provenant de Comprian sont conservés au Musée d’Arcachon : un bas-relief du XIIe siècle figurant la Traditio Legis, transmission de la nouvelle Loi aux apôtres et, au premier chef, à saint Pierre, le patron de Comprian et un autre petit chapiteau à l’Atalante de facture voisine. Dans l’église de Biganos, se trouve une cuve baptismale quadrilobée ornée des symboles des évangélistes. Le piédestal présente des feuilles de choux sculptées alternant avec des arcatures trilobées du XlVe ou du XVe siècle.
Le prieuré en ruine, le site est précisé dans le procès verbal établi en 1791 en vue de sa vente comme bien national: « Bâties sur une pelouse, l’église et la maison curiale sont situées sur un terrain de 24 journaux (8 hectares), partie en friches, pelouse et petit bois en mauvais état. Ce terrain confronte du levant à un chemin qui conduit de Tagon à Comprian, du nord à un chemin qui mène à l’église du dit lieu, du midi au ruisseau de Tagon, du couchant à Leyre ». Depuis lors, ce site et ses confrontations n’ont pas changé. Le prieuré est alors détruit ; ce qu’il en reste est reconverti en bâtiments agricoles. Il n’en reste plus, hormis quelques pierres incluses dans les murs des vieilles maisons du secteur, que d’imposants fonts baptismaux ornés de taureaux, de lions, d’aigles et d’anges que l’on peut voir dans l’église Saint-Gervais de Biganos, église construite sur l’emplacement d’une villa gallo-romaine. Mais beaucoup d’habitants de Biganos vous le confirmeront : certains soirs de grande marée, on entend encore sonner les cloches de Comprian dont les lourds tintements se perdent dans les brouillards du delta de l’Eyre… Poursuivre dans le delta de l’Eyre, jusqu’au croisement avec la levée romaine de Bordeaux à Sanguinet (Losa) mentionnée dans l’Itinéraire d’Antonin, écrit en l’an 217 après J.-C. ; à Lamothe (commune du Teich) traverser l’Eyre, jusqu’à la fontaine Saint Jean : cette fontaine comporte une grosse pierre monolithe en calcaire, divisée en trois niches, gravée d’une inscription latine avec des mots à demi effacés : « mirabilis deus et sanctissimus… otus.. qui cumque aegra salutis… » À côté de ce texte, un aigle, emblème de saint Jean l’Évangéliste. Au fond de la fontaine, pour bénitier, une pierre est creusée en forme de coquille. Les jacquets se désaltèrent à l’eau de la fontaine réputée pour ses vertus miraculeuses, d’autant plus renommée qu’elle soigne les rhumatismes et les maladies de peau : poussées de furoncles, impétigo et surtout de la redoutable pellagre; les linges ayant servi à laver les plaies des pèlerins sont accrochés pour parachever les prières, plusieurs jours durant. Mais la célébrité du lieu engendre des superstitions très primitives : ne dit-on pas que des sorcières y attirent, en pleine nuit, des âmes extraites de leur corps pendant leur sommeil ? Elles se livrent là, avec des clones de leurs victimes endormies, aux sabbats les moins avouables qui invoquent Satan, ses diables, ses pompes et ses œuvres.
Après l’Armistice, l’ancienne église du Teich croule sous le poids des ans et la sécurité des fidèles n’est plus assurée. Le 20 décembre 1919, André Garnung, maire fraîchement réélu demande au Préfet d’envoyer l’architecte départemental en vue d’expertise. Monsieur Gervais conseille des travaux tellement importants que le maire préfère reconstruire un nouvel édifice. Après beaucoup de péripéties et moyennant une entorse importante à la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, un nouveau lieu de culte voit le jour. L’église, bâtie en style néo-médiéval en 1923-1924 par l’architecte Gervais, n’est pas entièrement reconstruite, puisque l’ancien dallage est conservé. Le Cardinal Andrieux, archevêque de Bordeaux consacrera les lieux le 17 août 1924, M. l’abbé Capgras étant curé. De l’ancienne église on conserve un Christ du XVIIe siècle, suspendu au-dessus du chœur, et deux très anciennes statues polychromes de Saint Jacques et de Saint Roch, en pèlerins de Compostelle. Ce trésor, comme tous les trésors, pourrait susciter bien des convoitises, aussi la municipalité a mis les deux statues sous clef, dans un coffre fort, et ne les sort que dans les grandes occasions… Hautes de 80 cm, on peut les admirer une fois par an lors se la nocturne du Salon des Antiquaires !
La voie des jacquets se sépare ici en deux branches : vers Mios puis Salles (Salomagus) et franchissement de la Leyre au « Pas de Charles », passage présumé de l’empereur carolingien, pour rejoindre à Lugo la voie Turonensis, ou le Camin Arriou qui emprunte la levée romaine vers Sanguinet puis Biscarosse…
(1) – « Procès-verbal de bornage de 1783 », J. Bert, Note sur les dunes, p. 6.
(2) – Tome 1, livre XXXI des « Essais ».
(3) – Darnal, suite à Delurbe, édition de 1620, p. 13.
(4) – On défriche des terres sur des lieux appelés depuis « artigues » (une quarantaine de lieux-dits sont ainsi nommés en Médoc) et l’on crée des exploitations rurales gérées par des moines où travaillent des paysans délivrés du servage : ce sont les « sauvetés », installées à partir de 1050 dont le territoire est limité par des croix. Elles servent aussi à accueillir les voyageurs ou les habitants en péril. Une sauveté est donc un petit village d’hôtes sous la protection de l’Église.
(5) – Marié le 15 septembre 1303 et mort en 1306 ; Seigneur de Pybrac seigneur de Mauvezin, Montagnac, Carbonne, etc ; fils de Jourdain IV de L’Isle-Jourdain, vice roi de Sicile †1288 et Vaquésie Adhémar de Monteil ca 1245-/1314