Curepipe

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Curepipe, beaucoup de bruit autour d’une misérable cabane – et cependant jolie – perdue au milieu de la forêt, dans une nature sauvage. Cazaux, village le plus proche, est à 5 kilomètres, sans aucune route pour y conduire ; que des chemins de sable, même pas paillés ! La Teste à 18 kilomètres (la route empierrée La Teste-Cazaux sera construite seulement en 1875). Au milieu du XIXsiècle, le malheureux occupant de Curepipe, s’il était ivrogne, devait aimer boire seul, et il n’allait certainement pas souvent faire ses courses à la Teste, qu’il fût Mauricien, Testerin, ou Patagon !

En 1941, Charles Giblot Ducray publie une « Histoire de la Ville de Curepipe, Notes et Anecdotes[1]« , publiée à l’occasion du cinquantenaire de la fondation de la commission administrative de Curepipe. On y trouve ce paragraphe : « Sur l’origine du mot « Curepipe », certains Mauriciens sont sous l’impression que le mot a été donné à notre ville, en souvenir d’un hameau ou d’une propriété du même nom se trouvant dans les Landes, en France. Nous avons voulu avoir le cœur net et avons écrit à notre aimable compatriote, le Dr J. Rivière, afin de le mettre au courant de cette théorie, en le priant de nous faire savoir ce qu’était le Curepipe qui est situé dans les Landes. Voici ce que nous a écrit notre compatriote : « C’est mon neveu, Joseph de Coulhac Mazérieux, qui a fait bâtir, il y a quelques années (vers 1932), une villa à Pyla-sur-mer (147 boulevard de l’Océan) qu’il a appelée « Curepipe ». Je ne connais pas d’autre Curepipe dans la région, ni dans les Landes en particulier. »

Il est généralement accepté par la tradition que le nom de Curepipe a pour origine le fait que les voyageurs et les soldats de la garnison du Grand Port, en route vers le chef-lieu de l’Isle de France (aujourd’hui nommée Maurice, comme le coq), s’y arrêtaient pour prendre un casse-croûte et se reposer. « Une bonne pipe après les  quelques 20 miles de marche valait le meilleur délice et sitôt installés sur la berge ombragée de la rivière de Curepipe ou Eau Bleue, chacun s’empressait de sortir sa pipe de son sac et de la curer soigneusement avant de l’allumer ». De nombreuses anecdotes concernant cette étape sont venues jusqu’à nous ; en voici une : « Un vieil habitant de Curepipe, M.Villiers Hart de Keating, me parlait toujours de sa grand’mère qui, nous dit Charles Ducray, se rendant a Port Louis de sa propriété de Grand Port, demandait a ses porteurs de palanquin :

        –    Ou nous arrêtons-nous pour déjeuner ?

        –    Madame, répondirent-ils, nous va arrêter là où tout dimoune assize pour  cure pipe. »

Les choses en étaient là quand une polémique vient troubler cette tradition. Le coup d’envoi est donné par Pierre de Sornay dans son ouvrage intitulé « Isle de France, Ile Maurice » paru en 1950. « On a beaucoup épilogué sur l’origine du nom de Curepipe, nous dit-il. Nous ne trouvons qu’une explication qui paraisse vraisemblable et plausible. Non loin d’Arcachon dans le sud-ouest de la France il y a, au milieu des Landes, un petit village du nom de Curepipe. C’est probablement un Landais, venu s’installer a l’Île de France, dans la localité connue aujourd’hui sous le nom de Curepipe, qui a trouvé naturel de donner à l’endroit le nom de son village natal en France ». Cette idée fut reprise par le même auteur dans Le Cernéen[2] du 7 mai 1957. Il ajoute que « l’enfantine histoire du curetage des pipes est sortie d’un cerveau en mal d’imagination. Si mes souvenirs me servent bien, je crois que c’est M. Edward Hart, le père du poète… qui répandit cette légende, qui a été adoptée par les uns et les autres, sans que rien n’eut été fait pour tenter de connaître le vrai sens de ce nom… » Il termine cependant en disant : « La question n’est point épuisée. Il y a là une petite énigme à éclaircir qui n’est pas, avouez-le dénuée d’intérêt. »

Le lendemain de la parution de cet article, Antoine Chelin, en se basant sur des documents d’archives, dit que « le chemin qui relie Les Plaines Wilhems au Grand Port était en voie de construction en 1795. « Le Journal du Voyer » mentionne le nom de Curepipe comme étant le lieu d’où ont commencé les travaux ».

René Lincoln écrivait : « Je viens de recevoir une lettre émanant de la préfecture du département des Landes qui vient mettre un point final a la longue controverse que l’origine du nom de Curepipe a suscitée. Je suis heureux de vous en communiquer un extrait : « …il existe effectivement un lieu-dit, connu sous le nom de Curepipe, … situé a 3,500 km environ NNE du bourg de Parentis-en-Born prés de l’extrémité ouest du pare-feu dit des Aouqueyres (à la limite de Biscarrosse, au nord de Lahitte) … Des fouilles récentes ont permis de retrouver les fondations de l’ancienne métairie de Curepipe, aujourd’hui disparue, et dont l’emplacement n’est occupé actuellement que par une cabane du même nom.

Il est clairement établi, reprend Lincoln, que le Curepipe des Landes n’a jamais été qu’une métairie (petit domaine rural) … On ne peut donc supposer qu’une Mairie ait jamais existé en cet endroit, comme on me l’assurait encore récemment… »

René Lincoln revient sur la question, disant qu’il existe aussi dans la Gironde un endroit également dénommé Curepipe. Ce renseignement lui a été communiqué par le Ministère des Travaux Publics de France, dont un extrait de la lettre se lit comme suit : « Bien que ne figurant pas sur la carte de France, dite de l’État Major au 80.000e, il existe un écart (synonyme de hameau) de la commune de Teste-de-Buch dénommé Curepipe, situé à 15 km au sud-ouest de la Mairie de cette commune… dont, les précisions supplémentaires suivantes : 3 maisons, 5 habitants, pas d’électricité ».

Il s’agit ici de la propriété acquise par Charles Louis Damain, qui alla s’y établir après avoir vendu (en 1857) son domaine de Wooton des Plaines Wilhems, aussi appelé Curepipe. L’article de René Lincoln se termine en incluant cette remarque du Ministère des Travaux Publics de France : « Il existe peut-être en France, d’autres écarts ou lieux dits du même nom, mais je tiens à préciser que la Cartothèque n’en a pas relevé d’autres sur les nomenclatures départementales qu’elle détient dans ses collections et qui se rapportent a 49 départements ».

Henri Vigier de La Tour, Président du Conseil Urbain de Curepipe en 1957 se rend au « Congrès des Villes Sœurs ». Avant d’assister à ce colloque, il écrit au maire de Teste-de-Buch lui demandant de faire des recherches pour compléter les données déjà acquises. Durant sa visite[3] en Gironde, des documents lui sont remis. En sus de ce qui a déjà été dit plus haut, voici quelques renseignements additionnels : « Curepipe se trouve dans l’ancienne lande communale de Parentis-en-Born, dans la partie qui fut concédée vers 1860, immédiatement après la loi du 19 juin 1857. Il y a actuellement à cet endroit une cabane dite Curepipe et il y avait encore il y a une cinquantaine d’années, le Parc de Curepipe, auquel était accolée l’habitation du pâtre (berger ou chevrier). Avant les délimitations de 1809, le lieu dit Curepie devait probablement être à cheval sur les paroisses de Biscarrosse et de Parentis. Ce nom de Curepipe, attribué au lieu-dit ci-dessus désigné, s’est transmis verbalement de génération en génération et on estime qu’il date d’au moins deux siècles. Cependant, nous n’en avons pas trouvé trace dans des documents officiels. Cette absence d’écrits s’explique d’ailleurs fort bien : Curepipe était avant 1860 dans les biens communs ou dans les biens du seigneur et il n’y avait pas de ventes (donc point d’actes pour cet endroit.)

Le cadastre n’a pas mentionné toutes les appellations locales et tout le N.O. de la commune de Parentis est englobé dans le N° 8 de la Section B, d’une surface de 280 hectares dénommé Viellan. Dans tous les actes postérieurs, il ne pourra donc plus être officiellement question que du Viellan même lorsqu’il s’agit de Curepipe.

Au cours de ces recherches, M André Dubos fut prévenu par son grand père qu’un de leurs ancêtres était parti autrefois de la Teste à Maurice. M. Dubos fit en vain des recherches pour retrouver les descendants de cet ancêtre expatrié. 

D’un côté, en recherchant ici les origines de propriété on voit que c’est la famille Évariste Dubos, de Parentis, apparentée à la famille André Dubos, de Biscarrosse, qui est propriétaire du lieu dit Curepipe, depuis les concessions de 1860. Or on accordait généralement la concession à qui avait déjà un fief (parc ou pâture) dans cet endroit. Ceci signifie que la famille Dubos détenait depuis longtemps le lieu dit Curepipe.

Cependant, toujours d’après M. André Dubos, l’ancêtre expatrié appartiendrait à la branche maternelle, c’est à dire aux Grenier, de la Teste, un Grenier étant venu se marier à Biscarosse vers 1860…

En ce qui concerne l’étymologie du mot de Curepipe on ne peut que faire des suppositions. Plusieurs interprétations anglaises peuvent convenir. Cependant, tant en patois qu’en vieux français, pipe veut dire futaille… En vieux patois le verbe curer semble être synonyme de vider, terminer ; le nom de Curepipe pouvait bien s’appliquer, non point tellement à celui qui nettoyait les barriques mais plutôt à celui qui se chargeait de les vider. La vigne et l’humour ont toujours régné sur les rives des étangs du Born et il est tout naturel de penser à cette interprétation que nous ne voulons pas désobligeante ».

De cette série d’articles dont nous avons retenu l’essentiel, il ressort qu’aucun document ne permet de retracer l’origine de Curepipe des Landes au delà de 1860. Il n’y a que des suppositions.

S’il est exact que l’ancêtre d’André Dubos est allé s’établir à l’Isle de France, nous ne savons pas s’il s’agit du corsaire Félix Grenier Pezenas (né en 1766 à Bazas, et arrivé à l’Isle de France en 1788 sur « l’Actionnaire » ; fils de Pierre Grenier Pezenas et de Marie Miaille) marié à Marie Renée Daniel de Kerjean à Rivière du Rempart le 4 août 1794.

Vivaient aussi à l’Isle de France plusieurs membres de la famille Dubosc ou Dubosq, dont Jean Pierre, commerçant né à la Rochelle en 1787, mort à Port Louis en 1815. Il avait épousé en 1814 Jeanny Ange Caroline Bigot. Par ailleurs, Jean Dubosq épousa, en 1789, Jeanne Jacquette Robin. Ils eurent deux filles, nées à Port Louis : Jeanne Eugénie (1791) et Marie Mélanie (1793). Les membres de cette famille quittèrent Maurice en 1827. Ce sont possiblement les ancêtres de ceux de Biscarrosse mais de là à suggérer qu’un Dubos ou Grenier aurait donné le nom de Curepipe à un lieu de chez nous, il y a de la marge.

D’ailleurs, si la région du Mesnil Eau Coulée, était habitée depuis le milieu du XVIIe siècle, il n’en fut pas de même pour celle de Curepipe proprement dite. Celle-ci s’étendait vers le sud à partir de la Mare aux Joncs.

Étant donné que ces terres ne furent pas morcelées avant la construction de la route, il est facile, en consultant la liste des propriétaires figurant au chapitre précédent, de constater que les noms de Dubos et de Grenier n’y figurent pas.

Les notes du Colonel Swanstone accompagnant les plans indiquant le chemin traversant Curepipe vers 1811 révèlent que le sentier passait à travers des forêts inhabitées. Le capitaine Palmer chargé de la construction de la route reliant Port Louis à Mahebourg arriva en mai 1819 « à un endroit appelé Curepipe, ainsi nommé parce que c’était le lieu où les voyageurs faisaient halte. Il n’y avait aucun bâtiment, de quelque genre qu’il soit : maison, hutte ou abri. Les passants s’arrêtaient pour se rafraîchir et se désaltérer au ruisseau que traverse la route à cet endroit… »

Comme démontré ci-dessus, aucun document ne nous permet de penser que le nom de curepipe serait d‘origine landaise. La légende concernant ce landais venu s’établir dans les brumes du vieux Curepipe, qu’il soit des Landes ou de l’Isle de France. Rangeons-nous donc à cette tradition séculaire que l’histoire confirme en s’inspirant d’anciens récits dignes de foi. C’étaient bel et bien les voyageurs, qui faisaient halte au bord du ruisseau pour prendre un casse croûte et curer leur pipe, qui ont donné le nom à l’endroit.[4]

Curepipe, comme le banc d’Arguin, sont des noms empruntés à d’autres lieux.

Curepipe est la deuxième ville de Maurice ; il est évident que notre Curepipe n’a rien à faire ici, trop près de la forêt usagère, le feu y est interdit ! Curepipe surplombe le gurc de Maubruc, qui était autrefois l’exutoire vers l’Océan de la Gourgue alimentée, soit dit au passage, successivement par la Fontaine Saint-Basile et celle de Sainte-Rose (ça coule de source) situées à Sanguinet. (L’IG-ène indique Gourgue signifiant, au choix, gouffre, étang, lac, un Gurc étant un abîme d’eau).

La Gourgue est un petit cours d’eau dont le paisible flux ride son lit sablonneux, rougi par un substrat ferrugineux. Autour de ce petit cours d’eau, qui délimite un univers frais et fort agréable, un espace original se distingue de l’immense pinède landaise par la dominance de feuillus : chênes pédonculés filtrant avec des aulnes et des saules qui laissent de temps en temps apparaître un petit puits de lumière. Au milieu de cette zone humide, parsemée d’osmondes royales, les menthes et le piment tout aussi royal embaument l’air. Si la Gourgue est relativement peu poissonneuse, une multitude de mammifères fréquente ses berges ; on peut y observer la discrète cistude d’Europe se réchauffant sur une souche au soleil. Un petit patrimoine bâti ponctue la promenade et nous dévoile les activités sanguinétoises d’antan. (Office du Tourisme)

Retour aux sources : Édouard Harlé cite un cas amusant au sujet de la fontaine Saint-Basile[5] de Sanguinet que l’on vient d’évoquer : Quand mon fils était petit enfant, lui dit une vieille femme, il lui est venu une mauvaise plaie à la figure ; j’ai pensé que c’était le mal de Saint-Basile et j’ai été cherché de l’eau à la source Saint-Basile dans un petit flacon. J’ai lavé la plaie avec cette eau trois jours de rang. Le premier jour, la plaie a blanchi ; le second, elle a diminué ; le troisième, elle a disparu. Mais elle ajoutait tristement, la pauvre vieille : Mon mari (il n’était plus jeune) est très malade. Je l’ai lavé avec de l’eau de la source de Saint-Basile et de toutes les sources du pays, mais cela ne lui a rien fait. Par malheur, je ne sais pas de quel saint est son mal[6].

[1] – Écrite en français et tirée à seulement 350 exemplaires. La Bibliothèque Nationale ne détient qu’un exemplaire d’une réédition tirée à 400 exemplaires en 1957.

[2] – Journal de Port-Louis créé par Adrien d’Épinay en 1832

[3] – Cette visite de 1957 débouchera trois ans plus tard sur le jumelage des deux villes, Curepipe et La Teste de Buch ; demande expresse de Curepipe, ce qui détruit immédiatement l’idée que pourrait se faire certains que ce jumelage aurait été la conséquence de l’envie des édiles testerins d’aller faire un tour aux îles, aux frais du contribuable…

[4] – http://www.forgottenbooks.com/readbook_text/The_Mauritius_Register_1000726427/41

[5] – Sainte Rose est invoquée contre la maladie de la rose (la pellagre), Saint Basile pour la maladie de Basile (qui peut expliquer les symptômes).

[6]Les Dunes continentales des landes de Gascogne, E. & J. Harlé, Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 6 novembre 1916.

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Raphaël

Un commentaire

  1. Bonjour
    à noter qu’à Curepipe Maurice il y a une rue teste de buch
    derrière la mairie
    étonnant
    bonne réception

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