Croquis du Bassin – Photos aquatiques

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Finissons-en aujourd’hui avec la pataugeoire historique des bains de mer arcachonnais pour étudier de près son passé, grâce à la quantité de photographies qui les montrent au tout début du siècle dernier, en les observant à la loupe.

On remarque d’abord à cette époque, la vaste étendue de nos plages à marée basse. Mais, par contre, à la haute mer, il ne reste plus qu’un lambeau de grève. Par exemple, face à l’ancien local du Cercle de voile, juste à l’ouest de la place Thiers, la plage se réduit à une langue se sable où s’agglutinent tentes et parasols. Autre remarque générale : la plage se partage toujours avec les autochtones. On les y voit pêchant la sardine, débarquant le poisson juste à côté de la jetée d’Eyrac, ou même dégustant la soupe, sans doute de poissons, installés sur une pinasse échouée sur cette même plage. Les bateaux de plaisance s’amarrent entre ceux des parqueurs qui débarquent tranquillement leurs huîtres. Un spectacle qu’on ne voit plus à Eyrac depuis que Jeannot Desbost a pris sa retraite, voici quelques années. Lui qui avait obtenu de la mairie que la rue Jolyet, en sens unique pour les voitures, ne le fût pas pour « les charretons d’ostréiculteurs ». Il représente la dernière lignée des ostréiculteurs arcachonnais.

Revenons en ce début du précédent  siècle. Devant Risque-Tout, la villa du maire Veyrier-Montagnères, au Moulleau, s’aligne une dizaine de pinasses noires, peintes au coaltar, à la voile abaissée, tandis qu’un peu plus haut, sur la plage, sous la galerie d’une cabane en bois, bordée d’une galerie, des marins sont attablés. Ailleurs, juste en dessous du château Deganne, on peut s’étonner de découvrir un véritable petit port de travail. Là aussi, on compte une dizaine de pinasses, certaines en plein carénage, mêlées à des chariots à roues de chemin de fer, mais sans aucun rail apparent. Un peu plus à l’est, devant Eyrac, on pêche à la traïne et l’on entasse des tuiles auprès des tonneaux où on les a trempés pour les blanchir. Parfois même, on détroque  sur place le naissain, quand le moment en est venu. À l’Aiguillon, la plage devient une véritable annexe des chantiers navals Barrière et Bossuet, déjà fort actifs dans la construction surtout de bateaux de plaisance.

Sur la plage principale, celle qui s’étend à l’est de la place Thiers et longe les hôtels  De France et Victoria, on constate qu’en 1895, l’encombrement marin existe toujours, bien qu’un peu plus réduit. Néanmoins, des filets suspendus à des pignots sèchent tranquillement dans l’alignement d’une vingtaine de tentes à rayures. Ailleurs, on voit souvent des pontons, ces habitations provisoires pour les pêcheurs testerins  qui se rapprochent de leurs lieux de pêche. Comme, de plus, ces pêcheurs travaillent comme bateliers sur diverses embarcations de plaisance, ils veulent se trouver à pied d’œuvre au petit matin. Or, depuis 1866, tout cela produit un tellement mauvais effet dans le paysage que la municipalité arcachonnaise fait tout pour s’en débarrasser. D’autant plus que de bonnes âmes voient dans les pontons des lieux de perdition !

Le problème s’aggrave lorsque s’amenuise la largeur de la plage, sous l’effet des courants. Et comme les pêcheurs se contentent simplement de déplacer chaque saison les zones de séchage de leurs filets qu’ils étendent sur des « palisses », c’est à dire des piquets, le conflit s’envenime au fil des étés. Et voilà qu’en 1902, la seule partie accessible de la  plage à marée haute se trouve devant le château Deganne  et face à l’Aquarium, « c’est à dire dans le port ! », écrit au préfet, le 15 juillet, le maire- adjoint ulcéré. Il ajoute : « Or, il existe là une forêt de piquets sur lesquels sont toujours étendus des filets de pêche et il en résulte une gêne réelle pour la circulation pendant la saison estivale ». Malgré le soutien apporté par l’administration maritime à ses marins, on repousse donc de plus en plus vers l’est la zone d’étendage des filets, vers l’Aiguillon, où l’on en voit pendre sur six lignes parallèles qui prennent toute la plage. Il le faut bien, puisque, commente l’élu : « Les intérêts de quelques particuliers doivent s’effacer devant l’intérêt général ». Reste à savoir où commence l’intérêt général car, depuis l’arrêt royal de 1681 instaurant le domaine public maritime, cet intérêt général, c’est celui des gens de mer sur leurs côtes. Ici, ils en sont chassés.

Les bains de mer continuent cependant leur extension. Le Café de la plage dans ces années 1900, ne vole pas son nom puisque son étroite  terrasse s’ouvre de plain-pied sur la plage où des pêcheurs bavardent, quasiment mêlés aux clients. Quant au Grand Hôtel, en 1910 encore, ses escaliers descendent directement sur la grève. Plus au bord de l’eau, on aperçoit des silhouettes noires et quelques-unes blanches. Il s’agit des visiteurs venus  prendre l’air marin. Les hommes portent des costumes sombres, des cols rigides et des canotiers à large ruban noir. Les femmes, sous leur indispensable ombrelle, marchent prudemment sur le sable, vêtues de longues robes, tandis que les corsages s’ornent de larges surplis ouvragés, le tout surmonté d’imposants chapeaux de paille pavoisés de fleurs, parfois même disposées en bouquets colorés. Sur cette plage, en ce lieu qui pourrait vite devenir indécent et immoral, plus qu’ailleurs, il faut de la rigueur, de la tenue et  de la dignité irréprochables, même lorsque ces dames prennent le risque de se tremper les pieds, en relevant à peine leurs jupons.

À l’heure du bain, on se regroupe sous l’étroite surveillance de maîtres-nageurs reconnus, repérables de loin grâce à leur vêtement de flanelle rouge et à leur large béret, indispensable contre le mauvais soleil. Celui-là même qui oblige les baigneuses à se protéger d’un chapeau à large bord, ou, à la rigueur, d’une espèce de turban beaucoup moins encombrant. Évidemment, toujours en ce début de XXe siècle, le costume de bain, complet des pieds à la tête, noir pour les dames et à rayures horizontales pour les hommes reste indispensable pour qui se respecte tant soit peu …Il n’est évidemment pas question que les enfants, eux aussi,  jouent sans une large coiffure de paille et sans montrer plus de leur peau que celle des mollets ou des avant-bras. La « Belle époque » disiez-vous ? 

Jean Dubroca

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