Aujourd’hui, croquis d’une plage au sable fort aristocratique, celle de Pilat-Plage, renflouée depuis quatre ans. Pilat-Plage, fille de l’automobile et du génie commercial de Louis Gaume et de quelques banquiers visionnaires, naît en 1928. Un grand garage à terrasse, aujourd’hui désert et délabré, caché dans un repli de dune, aurait pu héberger, c’est certain, l’imposante automobile, rendue célèbre par Pierre Frondaie dans son roman “L’Homme à l’Hispano”, écrit à Arcachon et qui devait devenir, grâce au réalisateur Julien Duvivier, l’un des plus grands succès du cinéma de l’année 1926. Son malheureux héros aurait pu goûter aux charmes de l’hôtel Haïtza qui attend aujourd’hui des jours qui ressembleraient à son luxueux passé. Lequel aurait besoin d’un sérieux coup de peinture et surtout de voir aboutir des projets qui en feraient un beau centre de tourisme.
Allées du Rossignol, des Canaris ou des Moineaux : des rues baptisées, sans imagination, de noms d’oiseaux, s’ouvrent sur une longue plage comme autant de rideaux se levant sur une scène de théâtre d’opérette. Là, s’installent des habitués qui, abandonnant pour quelques heures les parquets en teck de leurs piscines, viennent profiter, le temps d’une trempette, des saveurs iodées de l’eau salée et des plaisirs de quelques bavardages. Croquis au hasard, pris sur le vif :
“- Rémy? Il entre à HEC en octobre…. Mais oui, nous marions Delphine, avec un jeune Allemand dont les parents … fin août, à l’église du Moulleau, c’est commode pour les photos … Nous comptons sur vous…. Le traiteur vient de Paris, on est tellement habitués à lui, vous pensez bien…. Imagine-toi que Jean-René veut maintenant faire du cinéma : son père est fou ! Heureusement, on va le faire rentrer à l’IDHEC, c’est toujours mieux que de faire l’assistant …”
Ainsi va la vie de nos Pilatais. Mais qu’on ne les imagine pas futiles et seulement préoccupés de loisirs vides. Depuis des décennies, ils ont su s’organiser afin de se défendre, becs et ongles, contre des bétonneurs en tous genres et ils ont eu la peau de politiciens qui, pensaient-ils, auraient menacé le cadre largement verdoyant de leurs vacances.
Au large, un grand voilier se laisse aller au gré d’un courant qu’il a du mal à remonter. A bord, on sait y savourer le calme d’un temps qui dure peu. Image même de la vie qui passe et qui, chaque année, ramène à Pilat des générations d’habitués, heureux de l’être. Depuis la plage, on devine les villas importées du pays basque et où, là aussi, se vivent discrètement des vacances dorées, au rythme de réceptions intimes.
Le soir rouge descend déjà. Il ne reste plus qu’à s’installer au bar de La Corniche pour contempler un paysage, lui aussi tout bronzé, où François Mauriac voyait émerger “Les dos roux et salés des dieux qui habitent les profondeurs”. En repartant, bien sûr qu’on va croiser, éternellement élégantes, telles que le noir et blanc du cinéma les a à jamais fixées, les juvéniles silhouettes de Jean Murat et d’Annabella. Elles sortent de la longue allée qui borde leur villa déjà hollywoodienne. Pilat-Plage la bienheureuse, que berce la musique des souvenirs et de quelque soirée entre amis, Pilat-Plage dort, d’un œil seulement, mais déjà solidement ancrée dans sa légende …
Jean Dubroca
Déambulation patrimoniale à Pilat-Plage, cliquez ICI