La ligne de chemin de fer vers Arcachon a desservi La Teste bien avant d’arriver chez sa voisine. Effectivement, l’affaire remonte, déjà, au 12 février 1832, aux premiers âges de la vapeur, lorsque le conseil municipal testerin se réunit d’urgence, à l’appel de son maire, M. Fleury, en présence des principaux négociants de la ville et de MM. L’Hôtellerie et Bourdey, respectivement Commissaire de marine et Receveur des douanes. Et c’est un tollé lorsque tout ce beau monde apprend, par une lettre du Préfet, que le futur chemin de fer vers les Landes éviterait La Teste en se dirigeant, depuis Lamothe, droit sur Sanguinet. On crie “à la ruine infaillible du commerce présente et future du port d’Arcachon” et, par l’entremise de Jean-Pierre Fleury, fils du maire et sérieux commandant de la Garde nationale, on demande au Préfet, avec respect mais fermeté, de faire venir le train à La Teste. Et c’est signé de noms qui doivent rester dans la mémoire testerine pour leur lucidité alors que Tours ou Orléans refuseront le train. Il s’agit de : Turgau, Bayer, Ferran, Lesca, Soulié, futur maire, Pontac, Dignac, Betteux, Moureau, Lalande, Lalesque et Dubos.
Pourtant, ils ont par ailleurs beaucoup de soucis : le pont sur le ruisseau de Menant qui s’écroule, et le “choléra morbus” qui menace la région, le mauvais état du clocher, le canal des Landes qu’on voudrait voir arriver à la Teste plutôt qu’à La Hume et les fusils qu’il faut confisquer à la Garde Nationale. C’est pourquoi, lorsque le Préfet fait enfin savoir qu’il a transmis la demande testerine au ministre “sans intervenir”, devant tant de malignité, le conseil testerin a le souffle tellement coupé qu’il ne prend aucune détermination.
Le temps passe, la raison l’emporte. Un Comité pour le chemin de fer de Bordeaux à La Teste s’est créé, une société par actions a vu le jour, les capitaux étant bordelais et parisiens. Nous sommes en 1838 et les travaux de la ligne sont tellement en bonne voie qu’une haute gare à deux corps se construit au sud-est de la station actuelle. M. Lacroix, employé de la compagnie, annonce qu’elle ouvrira trois rues sur des terrains lui appartenant, l’une jusqu’aux prés salés, l’autre, sur le couchant, jusqu’au grand chemin du port et la troisième vers le midi jusqu’au quartier “Déplébel”. Des travaux privés qui tombent à pic dans une commune au budget impossible à boucler et qui lui donnent, au sud, une structure cohérente.
Ainsi encouragé, le 14 mai 1841, le nouveau maire testerin, M. Soulié, propose “de creuser un petit chenal qui partirait des digues de la Compagnie et, passant par le chenal creusé par les frères Testut, permettrait de rejoindre en dix minutes, dès la mi-marée, la pointe de l’Aiguillon où il existe une belle plage où l’on pourrait se baigner des deux côtés de cette pointe”. Avec l’appui financier d’Arcachonnais, de la Compagnie et grâce à une quête dans la commune, on entreprend les travaux prévus et le conseil unanime décerne au maire “sa sollicitude fraternelle”. La manne des baigneurs va se déverser sur La Teste, si bien que six jours plus tard, il est aussi décidé “d’organiser un marché de, comestibles puisque le pays va prendre un grand accroissement”.
Mais voilà qu’un funeste 22 octobre 1845, on apprend qu’un éventuel chemin de fer Bordeaux-Bayonne pourrait ne pas emprunter le tronçon passant par Lamothe. “De quoi, de quoi,” hurlent les Testerins. “Nous avons des droits acquis. Déjà que le canal des Landes arrive à La Hume et pas chez nous ! Mais alors, c’est la ruine complète !”. Finalement, on sait, on l’a déjà raconté ici, que le chemin de fer de La Teste sera sauvé, mais uniquement et paradoxalement lorsqu’il dépassera cette ville. Il n’en reste pas moins que la clairvoyance et la volonté de ces lointains Testerins méritaient bien ce croquis. Et demain, nous fêterons ce train, en bonne compagnie. Vous serez surpris.
Jean Dubroca