Croquis du Bassin – Des chasseurs sous toutes leurs formes

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Hé, adieu, passager de la machine sonore à promenades ! Tu devais bien t’en douter, voyageur bienheureux : après la pêche, voici que nous voguons tout droit, cap sur la chasse. La chasse : une activité qui fait partie du Bassin autant que les marées qui bourgeonnent dans les chenaux ou comme les risteous qui bondissent dans les eaux tièdes des esteys. Et ce n’est pas d’aujourd’hui ! Voilà quelques temps, les chasseurs du coin, bien résolus à redorer leur image ternie par l’urbanisation,  ont publié un “Livre blanc” plein de précieux renseignements.

À commencer par celui-ci : sur les rives de la petite mer les aborigènes ont  longtemps chassé … avec des filets. Des filets tendus entre des perches et dans lesquels les canards s’empêtraient. Évidemment, cette pêche aux volatiles n’a  pas l’allure  d’une chasse à courre, si bien que les aristocrates l’abandonnaient aux manants. Qui en faisaient de belles récoltes. La preuve : un témoin, au début  XVIIIe siècle, raconte ce qu’il a vu, de ses yeux vus : “ Il n’est pas rare qu’un seul particulier prenne à lui tout seul la charge de cinq à six chevaux, en une seule nuit.” Mise à part l’exagération qui agrandit chaque récit de chasse à la dimension de la Croisière Jaune, il faut reconnaître que le gibier tombait du ciel dans une abondance quasi biblique.

La Révolution de 1789 ayant offert le droit de chasse à tous, les chasseurs du Bassin ont ouvert leur imagination. Et, la Petite mer formant un monde particulier, ces chasseurs ont même obtenu, dès 1844 et jusqu’après 1960, un régime de faveur  pour chasser l’oiseau de passage et le gibier d’eau. On le traquait au fusil au moment des grands passages. D’où ce qu’on appelait les “Avrillots” qui se pratiquaient chaque printemps. Alors, à ce moment-là, “pieds-rouges, pieds-verts ou alouette de mer, payaient un lourd tribut.”, remarque le Livre Blanc.

L’été venu, les chasseurs ne s’arrêtent point. Ils s’affairent à  la chasse aux “halbrans”,  jeunes colverts  de l’année, ou encore aux “ragassets”, les sarcelles d’été, ou encore aux “pénards”, une espèce parmi les canards sauvages. Quand vient l’automne, c’est le grand déménagement des oiseaux migrateurs. Alors, le “tonnaïre” ou le “pantaïre” se mettent en embuscade. Et maintenant, quelques explications s’imposent sur ces mots si, heureux passager, tu ne veux pas mourir ignorant. Alors, écoute bien.

Le “tonnaïre” s’installe dans sa  tonne et retrouve ainsi des gestes qui remontent, dit-on, à la préhistoire, le fusil en plus. L’action consiste à se glisser dans une espèce d’abri à demie-enterré au bord d’une retenue d’eau ou d’un marécage peu profond. Pendant longtemps, dans nos régions viticoles, la tonne fut un gros tonneau désaffecté. D’où le nom, issu du sens de simplification qui caractérise toute langue vivante.

Très important : il faut procéder au choix délicat de l’emplacement de l’installation en tenant compte du relief du lieu, du sens du vent dominant et de l’accès relativement facile. Le “tonnaïre” doit d’abord se faire terrassier car il lui faut creuser son lac de tonne et l’entretenir sans cesse pour que l’eau des marées y pénètre et n’en fuit pas par quelque inopportune brèche dans la digue construite de vase comprimée. Puis le “tonnaïre” devient éleveur. Il doit se constituer un lot “d’appelants”, c’est à dire des colverts apprivoisés, affreux traîtres à leurs congénères. Posés sur le lac, dûment attachés par une patte, comme un roquet en laisse, ils cancanent et incitent leurs copains à se poser à côté d’eux. Mais le vrai tonnaïre doit se méfier de ses alliés et il lui faut reconnaître la moindre fausse note de ses appelants, comme un chef d’orchestre doué traque le bémol incongru de la petite flûte.

Parfois, on remplace ces colverts par des leurres en bois, souvent d’ ailleurs d’élégants spécimens d’art brut populaire. Installés dans leurs abris, maintenant souvent confortables, les chasseurs, qui montent une garde alternée, surveillent le lac à travers des fentes protégées de toute fuite de lumière et ouvertes dans les parois de l’habitacle, souvent camouflé comme une batterie de 75.  Évidemment, il a fallu choisir les nuits de pleine lune pour guetter les vols de canards qui succomberont aux appels des félons. Patience, donc, les pieds au sec, le cœur au chaud avec les copains et en compagnie du chien qui ronfle en attendant de se précipiter quand une canonnade effrénée aura pulvérisé quelques palmipèdes malchanceux. Le “tonnaïre” vit là des moments précieux qui, pour lui, fait partie de la qualité de la vie sur le Bassin. Et, maintenant, promeneur de l’été, tu te demandes aussi ce que font les “pantaïres”. Alors, à demain, pour d’autres découvertes …  

Du tonnayre au pantayre.          

Hé, adieu, promeneur de l’été à la recherche des secrets des chasses que la tradition a installées sur le Bassin. Et dire que, depuis hier, tu te demandes bien, après les “tonnayres”, ce que sont ces diables de  “pantayres”. Ces “pantayres”,  ce sont les héritiers directs de ces chasseurs au filet qui traquaient ainsi le migrateur. Imagine, invétéré promeneur curieux, un vaste terrain bien plat, soigneusement ratissé, dans une zone bien dégagée. Imagine encore, une discrète hutte camouflée de verdure posée au bord de cet espace. Imagine enfin et voici l’essentiel, de larges filets fixés au ras du sol par de solides ressorts bien tendus. En octobre et début novembre, les petites alouettes de passage devraient bien se méfier du miroir de tels pièges ! Surtout lorsqu’elles perçoivent, du haut de leur ciel,  des sifflements que le chasseur, devenu poète musical, interprète et module dans des sifflets, taillés comme une anche de hautbois. Malheur au vol qui se pose en paquet grégaire ! Les ressorts des filets se détendent brusquement et se rabattent inexorablement dans un claquement sec qui emprisonne une volée effarée de petits oiseaux  aux ventres gris clairs,  à la courte huppe et dont les ailes brunes rayées de noir battent désespérément.

Ainsi, tu le vois, les chasseurs du Bassin ne manquent pas d’imagination technologique. La preuve : ils ont longtemps pratiqué la chasse en pédalo. Le pédalo du chasseur n’a rien de l’engin de plage qui promène bonne maman. C’est un véritable appareil de guerre, mesurant deux mètres de long, peint en gris, taillé comme une torpille où le chasseur se glisse, allongé sur le dos. En pédalant avec la légèreté d’un tigre qui se déplacerait à bicyclette, il navigue discrètement à une trentaine de mètres de sa proie. A bonne portée, il lâche sa salve meurtrière sur des canards ébahis qui s’envolent dans un crissement d’ailes. L’exercice demande de la dextérité, d’autant plus que l’instabilité du pédalo rend l’opération délicate. On en connaît plus d’un qui, sur le recul du fusil, ont fini dans la mare aux canards et trempés comme  eux. Mais quel plaisir divin le pédaleur aura connu en rusant avec le canard sauvage si méfiant !

Puis il y a des jours où le chasseur joue les fantassins. Autrefois, fin mars, début avril, le chasseur se glissant à pied le long des esteys, tentait de s’approcher des bécassines, barges ou courlis, tel un Sioux qui porterait de longues cuissardes sur le chemin de la guerre. C’est encore un plus grand plaisir, un peu plus tard quand le chasseur progresse le long des rives du Bassin, accompagné de son chien fureteur et que tous deux, en pleine connivence, débusquent râles et poules d’eau camouflés dans les herbes drues gavées de sel marin.

On le constate : le chasseur, comme le pêcheur, doivent posséder au moins une vertu en commun : une aptitude à la patience qui ne s’acquiert qu’avec la passion, celle, comme disait Descartes : “où se mettent toute la douceur et la félicité de la vie.”  Ce bonheur-là, le chasseur le capte surtout lorsqu’il pratique “la passée”. Au bon moment, matin et soir, au bon endroit, il faut se poster et attendre que les migrateurs veuillent bien passer par là. D’où le choix délicat de l’emplacement qui dépend de l’environnement, de la luminosité et de la chance … De plus, il  ne faut craindre, ni la pluie battante, ni le vent frisquet de l’automne, dans un lieu marécageux. Cependant, les bruissements d’ailes claquant dans un décor sauvage, illuminé par un soleil rougeoyant constituent des instants qu’un chasseur n’oublie jamais.

Et puis comment ne pas t’informer, ami promeneur, sur les “piteys”. Quoi ? Qu’est-ce ? Que dites-vous ? Le “pitey”, c’est un rustique pylône construit en bois, dressé dans des clairières de la forêt usagère ou au bord des dunes océanes, d’où l’on voit arriver de loin les vols de migrateurs. Mais chasser en haut de ces branlantes constructions au printemps constitue un délit contre lequel protestèrent  avec juste raison Brigitte Bardot et Alain Bougrain-Dubourg. C’est alors, évidemment, promeneur de l’été, que je t’entends d’ici faisant chorus avec eux deux.

Effectivement,  il y a les chasses et il y a les chasseurs… Lesquels, sur la défensive dans une société qui devient de plus en plus urbaine, font observer qu’à travers leurs syndicats, ils gèrent les espèces, éduquent leurs membres et défendent l’éthique de la chasse. Ils savent aussi compter et ils n’ont pas trouvé plus de deux cents tonnes sur le Bassin et pas plus de soixante nuits de chasse par an, là-dedans. Tout comme ils ont relevé une cinquantaine d’installations de pantes. Et, toute honte bue, ils reconnaissent qu’ils reviennent bredouilles de leurs nuits à la tonne, une fois sur deux. Alors ? Leur activité menace-t-elle des espèces ? Le débat est ouvert. Mais les chasseurs, disent-ils, maintiennent l’héritage traditionnel, ancestral et original qu’ils ont reçu et ils demandent qu’on prenne en compte l’homme, “prédateur intégré dans son milieu”.  Hé bè, mon vieux !

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Aimé

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