Petite causerie vespérale aux allures de « chemins du rêve » où l’on trouvera des révélations sur les relations entre Corto Maltese et Arcachon.
Les lecteurs de Pif Gadget, ayant dévoré de 1970 à 1973 les aventures en noir et blanc et bande dessinée du gentilhomme de fortune prattien, seront probablement intéressés par quelques éléments dont Hugo Pratt, pourtant son biographe, ne dit rien. On le sait, et je l’ai déjà conté, le marin romantique finira sa vie (à une date incertaine) au Moulleau où il exerça le métier de pêcheur.
Combien sommes-nous à pouvoir imaginer que sa mère, Antonina de Olivia, une gitane connue sous le nom de la Nina de Gilbratar, avait une sœur prénommé Pepita, dite Pepa, et que toutes deux naquirent à Séville ? Que Nina épousa un marin de Cornouailles tandis que Pepa devint la maîtresse d’un Lord, Sir Sackville-West, un authentique baron du Kent ?
C’est ainsi que le tout petit Corto, qui vit le jour à Malte, le 10 juillet 1887, passa son premier séjour arcachonnais à la villa Pepa, chez sa tantine avant que cette dernière ne décède brutalement en 1890. Il oublia ce séjour jusqu’en certains jours tragiques de 1937.
En 1921 le marin romantique noua amitié avec Gabriele D’Annunzio à Venise — Cela est attesté (cf. Fables de Venise) et comment croire que le poète dandy n’évoqua pas en sa compagnie les heureuses années que lui-même passa à Arcachon, à la villa Saint-Dominique, de 1910 à 1915 en compagnie de ses chiens, de ses chevaux et de nombreuses conquêtes féminines ? Quant à Corto, Hugo Pratt perd sa trace après son engagement dans les Brigades Internationales pendant la guerre civile espagnole. Mais faut-il supposer pour autant que le Maltais était alors passé ad patres ? N’avait-il pas déjà traversé trente années meurtrières sur tous les continents sans autre dommage qu’un incurable vague à l’âme ? Du conflit russo-japonais de 1905 aux prémices de la seconde guerre mondiale, en passant par les révolutions irlandaise, brésilienne, bolchévique ou chinoise, sans compter la Grande guerre, il en était chaque fois sorti indemne, alors pourquoi aurait-il péri cette fois-ci et qu’était-il donc devenu ?
Il en est qui connaissent la fin de l’histoire car la « vraie vie (de ceux-là) est devenue celle de l’imagination, de la fantaisie et du fantastique »(1). Ils savent sans nul doute que le fils de la Nina de Gilbratar s’est embarqué à Santander le 24 août 1937 sur le Cantabria, une drague de l’administration du port, qui s’échoua deux jours plus tard sur la plage de Lacanau. Secouru par les Canaulais, comme les 500 républicains espagnols transportés par le navire, Corto Maltese ne tarda pas à rallier Arcachon en empruntant la ligne de chemin de fer des Landes de la Gironde jusqu’à Facture, puis celle de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (qui avait succédé à La compagnie du Midi en 1934). Se souvenant de la villa Pepa de sa tantine et des descriptions de D’Annunzio, il s’établit, et ceci jusqu’à son décès à une date incertaine, au Moulleau, « annexe de la douce cité d’Arcachon qui étend au flanc de son bassin où le varech compose ses parfums amers et vigoureux, où croissent, dans une paix bien surveillée, d’immenses peuples de mollusques, ses rangées de villas aux tuiles et aux clochers roses, aux balcons de bois ajouré, et sur laquelle le vent du sud pousse les parfums mielleux de quarante lieues de pins résineux, et la poudre légère du sable »(2).
(1) Hugo Pratt, entretiens
(2) Robert Kemp, délégué de l’Académie française, D’Annunzio, écrivain italien
PS – Corto Maltese étant un personnage de roman, il est permis de remplir les vides laissés par son créateur Hugo Pratt, à condition de s’appuyer sur des faits, sinon réels, du moins documentés par l’auteur et s’inscrivant dans un contexte historique exact.
La mère de Corto Maltese, la « Nina de Gilbratar », est une gitane née à Séville tout comme Pepa de Olivia (j’ai imaginé qu’elles étaient sœurs). Le jeune Corto se retrouve dans une situation proche de celle de ses cousins de Olivia arcachonnais, enfants naturels d’une danseuse gitane et d’un Anglais (j’ai supposé que les deux couples illégitimes s’étaient alors rapprochés, cette complicité ayant offert l’occasion d’un séjour à Arcachon au petit Corto). La rencontre avec Gabriele D’Annunzio à Venise est racontée dans « Fables de Venise » (occasion d’évoquer des souvenirs communs d’Arcachon ?). Quant à la disparition de Corto pendant la guerre d’Espagne, elle est évoquée par Cush dans « Les Scorpions du désert ».
Michel Pierre, historien spécialiste de la bande dessinée émet quelques hypothèses quant à la suite des aventures du gentilhomme de fortune. Celles-ci, hélas, ne font nullement mention de mes propres spéculations.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Corto_Maltese_(personnage)
Thierry PERREAUD