Les choses ne traînent pas. A peine élu maire d’Arcachon en 1897, James Veyrier-Montagnères renégocie l’importante dette de la ville. Cela lui permet d’entreprendre de nombreux travaux sur une voirie fort défectueuse. Et, améliorer routes et trottoirs, voilà qui plaît toujours beaucoup aux électeurs ! En même temps, il organise des festivités. La ville se réjouit en des batailles de fleurs dans l’avenue Nelly-Deganne, en des fêtes vénitiennes sur le Bassin, en des concours hippiques au vélodrome du cours Desbiey, en des carrousels militaires et en des chasses à courre. L’actif maire multiplie les réceptions et fait de sa villa « Risque tout », un haut lieu mondain de la ville, au Moulleau.
Installé dans ce quartier de la ville, le nouveau maire montre ainsi qu’il a bien compris que l’avenir d’Arcachon réside dans son extension vers le sud, vers le Moulleau justement. Ce site arcachonnais reste fort sauvage et calme jusqu’en 1863. Cette année-là, MM. Papin et Grandgeneuve y achètent trente-deux hectares à M. Dalis, de Parentis, qui tient aussi un fort rustique établissement de bains. M. Dalis, en cédant ses terrains, fait ce jour-là la plus mauvaise affaire de sa vie car les deux acheteurs ont bien l’intention de créer là un lotissement destiné au repos, dans le style élégant et riche de la Ville d’hiver
Dès son élection, Veyrier-Montagnères développe la “Société anonyme et immobilière du Moulleau ” dans le but, disent ses statuts, « de créer et de développer une station de bains de mer ». Oublié le “le lieu de repos” de MM. Grangeneuve et Papin, auxquels d’ailleurs la nouvelle société achète les terrains qu’ils n’ont pas encore vendus. Veyrier-Montagnères apporte au capital de la société, fixé à 450 000 francs, deux chalets et quinze mille mètres carrés de terrain. Il y ajoute les études qu’il a financées sur la construction d’un hôtel, d’un tramway et d’une ligne de téléphone. Il est probable, qu’aujourd’hui on s’approcherait de la notion “d’ingérence”. De toute façon, les adversaires de Veyrier-Montagnères n’ont pas manqué, à l’époque, de lui reprocher son activité pour Moulleau.
N’empêche : le lotissement croît. On délimite par de jolies barrières blanches les terrains à vendre ; des villas s’y construisent et l’on autorise l’installation de restaurants autour du carrefour des rues desservant la plage et la chapelle. Un élégant et vaste “Grand hôtel” s’est construit face à la mer, avec une belle façade courbe fort accueillante, tournée vers la forêt. “Le Moulleau-Village”, comme on dit aujourd’hui, est né et se développe d’autant mieux que, sous l’influence de Veyrier-Montagnères, sa Société immobilière fusionne avec celles des Pêcheries de l’Océan, dont il est actionnaire. M. Johnson qui la contrôle, bien au fait des aléas de la pêche, a eu en effet la sagesse de placer les bénéfices tirés de ses vapeurs, dans de la terre fructueuse.
Mais la croissance d’Arcachon vers le sud se poursuit. En 1905, la ville obtient la cession de trente-quatre hectares de forêt domaniale dans la partie appelée « Abatilles-Bernet ». En 1906, un parc de quarante-et-un hectares est créé dans ce secteur. On sait l’importance qu’il a aujourd’hui où, proche du Bassin, il a reçu des installations sportives et touristiques et où il offre un vaste espace vert, resté très naturel.
Enfin, cette conquête touristique vers le sud prend toute son ampleur lorsque, le 19 mars 1905, Veyrier-Montagnères reçoit en sa villa plusieurs personnalités, dont Maurice Martin, journaliste à la “Petite Gironde” et à “L’Automobile”. Car depuis au moins le 28 décembre 1904, existe le projet de « relier Arcachon à Biarritz en tous temps, par une route pour automobiles et cycles ». Il en coûterait de dix à douze millions de francs pour une chaussée de douze mètres de largeur, financée par un péage. Donc, le 20 mars 1905, quinze charrettes, leurs passagers emmitouflés car l’aube est fraîche et des cavaliers fringants, tous membres du Comité d’initiative pour le boulevard Arcachon-Biarritz, s’élancent sur les chemins forestiers, cap au sud, avec tout le soutien du maire d’Arcachon. A l’étape de Mimizan, durant le banquet offert par la municipalité, Maurice Martin parlera pour la première fois de la “Côte d’argent ”. Un concept exactement imagé et génial qui fait le pied de nez à celui de Côte d’Azur et Arcachon s’attribue vite le titre de “Perle de la Côte d’argent ”. Par contre, le boulevard ne verra jamais le jour, autrement que sous la forme d’une tortueuse “Route des lacs”. Mais la marche vers le sud se révélera plus concrète, quelques années plus tard, avec les naissances de Pyla-sur-Mer et de Pilat-Plage. C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca