Chronique n° 096 – Cent quarante-quatre ans d’enseignement supérieur

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Après l’aventure du développement de l’enseignement secondaire, Arcachon s’attaque à l’implantation de l’enseignement supérieur, ce qui ne manque pas d’audace, dans une ville qui n’a jamais dépassé les 15 000 habitants. Une brochure, parue en septembre 1968 et signée par le professeur Robert Weill, directeur à l’époque de la Station biologique d’Arcachon, raconte les cent ans d’activité de cette auguste institution. A son origine, l’inépuisable abbé Mouls qui a le courage de créer, en 1863, avec vingt-deux savants locaux, une « Société scientifique », dans un village de sept cent trente-cinq habitants ! Georges Fleury, président de cette société de 1945 à 1958, écrit alors : « L’abbé Mouls a compris que l’avenir appartient à la science et aux pays qui la servent ». Une certitude plus que jamais d’actualité.

Revenons-en à l’abbé Mouls. Critiqué, victime de cette course effrénée ambitieuse, naïve et passionnée autant que de son engagement final pour les Pereire, Arcachon le chasse et, dès 1864, lui ôte la présidence de sa Société, confiée au docteur Gustave Hameau qui la conserve jusqu’en 1895. Il commence son mandat par un coup d’éclat : l’organisation, sous le patronage de l’Empereur, d’une exposition internationale de pêche et d’aquiculture, « Dans le but de fonder un musée et une bibliothèque ». Le succès arrive avec 588 exposants, dont 105 étrangers présents, pour des centaines de visiteurs, du 2 juillet au 21 octobre 1866.

Par contre, au moment des comptes, c’est catastrophique ! Moins cependant que le trésorier, l’architecte Dmokowski peut le craindre, car la Société scientifique a placé dans son actif un vaste terrain situé entre le port d’Eyrac et le boulevard de la Plage, sur lequel sont édifiés des locaux et, surtout, raconte André Rebsomen : « Un aquarium long de trente mètres, construit sur les plans d’Alexandre Lafon, en marbre des Pyrénées et en glace de Saint-Gobain, composé de vingt bacs de 720 litres et de six larges bassins de dix à vingt-cinq mètres-cubes, destinés aux grands poissons et même aux phoques, ainsi qu’aux expériences physiologiques et aquicoles ». Malgré l’abbé Mouls, qui a inauguré en même temps, proteste Gustave Hameau, « Un aquarium pour curieux ignorants », c’est là l’origine du musée-aquarium qui existe toujours.

Mais le plus important, souligne le professeur Weill, « C’est que les fondateurs de la Société scientifique (…) imaginent de créer un instrument de travail qu’ils mettraient gratuitement à la disposition des hommes de science et de pratique, les moyens d’explorer un champ trop peu connu encore ». Depuis et sans arrêt, malgré les difficultés financières qui ont jalonné toute l’aventure, l’engagement a été scrupuleusement tenu, grâce à une série constante de modernisations et de dévouement exemplaire.

A partir de 1891, c’est un professeur des facultés bordelaises qui dirige la station. Les laboratoires s’agrandissent et s’équipent de bon matériel, la bibliothèque s’enrichit, le musée s’étend aux aspects régionaux de la géologie, de la paléontologie, de l’histoire et de la préhistoire. En 1924, la Société est reconnue d’utilité publique ; en 1927, l’aquarium est modernisé ; en 1928, la société est rattachée à l’école pratique des Hautes études, elle achète un bateau, augmente le nombre de son personnel permanent, de grands savants viennent y travailler et les visiteurs affluent.

Mais, après la guerre, en 1945, la station, exsangue, est en ruines. Heureusement que le docteur Georges Fleury parvient à signer une convention avec le rectorat. Elle fait naître “l’Institut de biologie marine de l’université de Bordeaux” que la Société scientifique aide, grâce aux ressources procurées par les visiteurs de l’aquarium. A partir de 1958, ses présidents successifs, Lorentz Monod, Lucien de Gracia et Jean Dentraygues, continuent dans cette voie.

En 2005, le docteur Robert Fleury, nouveau président, monte énergiquement au créneau : voilà qu’un projet de déplacement de l’institut, à Pereire, site peu propice par les spécialistes, met en émoi les milieux scientifiques. Maniant l’arme absolue de la menace du classement de la façade de l’établissement, Robert Fleury obtient que l’aquarium, conçu avant tout comme un outil d’éducation et de recherches, reste à Eyrac, ainsi que les laboratoires et le centre d’accueil, tous modernisés, grâce au grand pôle scientifique qui se crée, financé par l’État et la Région. Les riches collections pourront trouver place à La Teste, dans l’écomusée des prés salés ouest. Face au Bassin, un hôtel de luxe et un nouveau casino s’installeront. Finalement, c’est étonnant de constater que, durant près de cent cinquante ans, Arcachon, derrière paillettes et falbalas, s’est acharné à travailler pour développer ici la recherche scientifique et l’enseignement supérieur. C’est vraiment une grande histoire.

À suivre…

Jean Dubroca (chronique écrite en 2007)

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