Chronique n° 080 – Des notables troublés

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Le destin d’Arcachon dépend d’hommes peu ordinaires. Thomas Illyricus, François Legallais, Adalbert Deganne, Alphonse Lamarque de Plaisance ou Xavier Mouls ont fait Arcachon pour ne citer qu’eux, dans l’immense cohorte de ceux qui l’ont bâti. Et voilà que, pour continuer l’aventure, s’y ajoutent les frères Pereire. Depuis qu’Arcachon a commencé à se développer, elle a intéressé beaucoup de riches négociants bordelais, tels les Mestrezat, les Hovy ou les Jéhenne. Ils construisent en bord de mer des villas, le plus souvent assez simples, où se mêlent le bois et la pierre, avec l’indispensable galerie bordée d’une dentelle bois et soutenue par de légères colonnes. Puis, la petite bourgeoisie locale imitant la grande, Arcachon, aux portes de Bordeaux, continue de grandir. Mais la ville n’a pas encore atteint la notoriété de Biarritz, de Trouville ou de Berck, nées presque en même temps qu’elle.

C’est alors que, jetant un certain trouble dans le groupe des notables locaux et accompagnant leur chemin de fer, en 1857, arrivent les frères Émile et Isaac Pereire, les plus importants banquiers du Second Empire, qui n’en a cependant pas manqué. Mais eux et James de Rothschild sont les principaux artisans de la création des compagnies ferroviaires qui, dans des luttes sournoises, se disputent la desserte du territoire national. Le chemin de fer, c’est donc la voie qui conduit les Pereire vers la fortune.

Issus d’une famille bordelaise aisée mais peu fortunée, les frères Pereire pénètrent dans le milieu financier parisien entre 1822 et 1825. Ils s’y font connaître par divers écrits dans des gazettes. Ils y reflètent les idées de Saint-Simon. Comme lui, ils pensent que l’activité productive doit accroître le bien-être de tous. En utilisant au maximum toutes les techniques nouvelles, les chemins de fer et les réseaux bancaires développés, les Pereire estiment qu’ils vont créer une société sans oisifs où chacun sera classé et rétribué selon ses capacités et ses œuvres. La Ville d’hiver arcachonnaise se bâtira sur cette philosophie.

Dans ces années 1830, où beaucoup pensaient, comme Adolphe Thiers, « que le chemin de fer est un joujou », les Pereire arrivent tout de même à persuader de grands capitalistes de l’époque d’investir dans la construction et l’exploitation de voies ferrées. Leur première ligne, inaugurée en 1837, a suffisamment de succès pour que ces mêmes capitalistes acceptent de financer la ligne Paris-Versailles, où travaillera un certain … Adalbert Deganne. Elle s’ouvre au trafic en 1839.

Importante évolution : à partir de 1851, le gouvernement de Napoléon III développe une politique financière favorable aux compagnies de chemin de fer, en étalant la durée de leurs concessions. Leurs actions montent considérablement car, assurées sur l’avenir, la réussite de ces compagnies devient alors certaine. Les Pereire, qui ont, en 1852, créé la Compagnie du Midi pour doter d’un réseau ferré le grand sud-ouest, ont alors la bonne idée de lancer des actions à cinq cents francs mais à revenus fixes. L’affaire marche tellement bien que les actions Pereire apparaissent vite comme des « placements de père de famille ». Voilà les deux frères assez riches pour lancer, aussi en 1852, le « Crédit immobilier ». La banque des frères Pereire veut rassembler la petite et la moyenne épargne. Encore une innovation qui horripile celui qui devient dès lors, leur grand rival : James de Rothschild. Il n’admet pas qu’un banquier ne possède pas ses fonds propres. Mais, la banque Pereire réussit si bien, qu’elle lance les chemins de fer de l’est en 1854, puis la Compagnie des Immeubles et Hôtels de Rivoli, dont le fleuron reste l’hôtel du Louvre. Elle organise des lotissements dans les nouveaux quartiers d’Haussmann, elle créé la Société parisienne de chauffage par le gaz en 1855, puis les chemins de fer de l’ouest en 1858, en 1861 et encore, entre autres, la Compagnie générale transatlantique, la fameuse “Transat” qui, bien plus tard, fera voguer le “Normandie”.

On sait comment, en 1852, la Compagnie Pereire fait une bonne affaire en reprenant la ligne Bordeaux-La Teste en grosses difficultés financières. Et la bonne affaire s’amplifie quand, ayant eu vent des travaux d’assainissement de la lande menés par Chambrelent, les Pereire achètent pour de tout petits vingt francs l’unité, 11 600 hectares de mauvaises terres, depuis le Teich en allant, au nord jusqu’à Audenge et, au sud jusqu’au lac Biscarrosse et à Salles. Cela, de 1853 à 1857, juste au moment où, Napoléon III en soit béni, la loi du 19 juin 1857 favorise l’assèchement des landes. La même loi permet à la Compagnie du Midi de créer cinq cents kilomètres de “routes de colonisation”. Elles partent en droite ligne, vers le nord et vers le sud, depuis Facture, sur la ligne Bordeaux -Bayonne, utilisée à plein rendement pour, ce qui coûte le plus cher, transporter à prix réduits leur empierrement. Ils forment ainsi de belles routes qui valorisent des territoires, atteignant le Médoc au nord et le fin fond des Landes, au sud. Les Pereire, favorisés par la guerre de Sécession aux États-Unis qui hausse le prix de la résine, ont brillamment réussi leur nouvelle entreprise, créant même au passage le bourg de Marcheprime. Ce sont ces hommes et, en particulier Émile, dont il faut bien mesurer l’envergure, qui transportent Arcachon dans un nouveau monde. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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Aimé

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