Chronique n° 078 – Le bonheur de vivre des forçats

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Continuons de nous promener à travers les années 1850 pour découvrir l’Arcachon d’avant les Pereire. Ernst, dans son “ Itinéraire de Royan à Arcachon ”, cité par Jacques Ragot, avance le long du boulevard de la Plage : « C’est une suite de petites maisons, surtout en bois, toutes avec un petit jardin derrière et un devant d’où l’on descend directement dans le Bassin. Puis viennent les maisons en pierre et bois, puis les maisons uniquement en pierre ». Ernst passe ensuite devant le « castel à tourelles de M. Deganne », le ramenant ainsi à ses justes proportions. Donc, rien de tout cela ne l’éblouit puisqu’il s’étonne du prix élevé des denrées ainsi que du fait que les bateliers, les loueurs de chevaux et les guides cherchent à surfaire leurs services. Enfin, il n’est guère sensible aux charmes de la contrée alentour qu’il trouve « triste, aride et désolée ».

Trois ans après, les filles de Louis Veuillot découvrent un Arcachon « très drôle et délicieux, attendu qu’il a l’air d’une boîte de joujoux. C’est une rue d’une lieue de long, bâtie en maisonnettes, les unes suisses, les autres chinoises, quelques-unes grecques et deux édifices gothiques, flambant neuf, aux deux extrémités. Et l’on a apporté à ces églises tout ce qu’il faut : des cafés-concerts, des magasins de denrées coloniales et, avec une voiture attelée à un mulet, un libraire qui se promène dans la rue en criant : “Voici la distraction des baigneurs ! ».

Mais baigneurs et baigneuses ont bien d’autres loisirs, à commencer par ceux qui se parent d’un parfum d’aventure. En suivant la plage, conseille Oscar Dejean, on arrive au Moulleau où l’on trouve un poste des Douanes, les restes d’un parc d’artillerie et quelques maisons de bain dont, prédit-il avec une exacte vue des choses, « le nombre s’accroîtra quand les personnes, amies de l’isolement et de la solitude voudront fuir l’animation de la ville ». Trois kilomètres plus loin, au Pilat, on fait halte à l’hôtel des “Trois-Sœurs”, tenu par M. Duhaa. Après s’être restauré, on peut gagner, à deux kilomètres au sud, le poste de douanes, en face du banc du Matoc, où il y avait autrefois, raconte Dejean, « une cabane, d’assez bons pâturages et une petite lagune dont les eaux nourrissaient des huîtres délicieuses ».

Une autre aventure consiste à se rendre au cap Ferret, par bateau, pour y découvrir, à neuf cents mètres de la côte océane, le phare, élevé en 1839. On boit, au puits du poste de douane, dont l’eau est d’une beauté remarquable et, par la plage, on gagne Piquey où un garde de l’administration des Ponts et Chaussées surveille, avec zèle, les semis de pins dans les dunes. Puis, suprême curiosité, on peut observer un étrange marais à sangsues, créé par M. Delclou, d’Arcachon. Enfin, les baigneurs qui seraient chasseurs embarquent pour l’île “des” Oiseaux  dont l’herbe est très bonne pour rétablir les bestiaux malades ». On y chasse le lapin, moyennant une rétribution d’un franc par animal tué et cinquante centimes par bête manquée. Une excursion qui a du succès, car constate Oscar Dejean, »la quantité de lapins semble diminuer ». Voilà cet Arcachon et ce Bassin d’une autre époque.

En aurait-on la nostalgie que Luc Frédefond, dans la revue “Côte et Terre”, nous ramène à la réalité et parle avec ironie « du bonheur de vivre des forçats de la pêche, avec les corvées d’eau à la fontaine, les ramassages de bois morts dans les pignadas, les distances à franchir dans le sable et les fondrières, ou par la mer et ses risques ou les fièvres et les moustiques des lèdes marécageuses après les heures de travail incontrôlées ». C’est vraiment une autre histoire.

 À suivre…

Jean Dubroca

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Aimé

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