On discute fort dans le bistrot de Francis Daussy, à côté du débarcadère d’Eyrac, à propos de l’indépendance communale d’Arcachon acquise le 2 mai 1857. Parce que, maintenant, la nouvelle ville s’organise, ce qui fait jaser. Les farouches partisans de cette indépendance tiennent à retirer quelques compensations de leur engagement, sinon quelques avantages. Il faut se souvenir que certains d’entre eux avaient parlé « des fruits que devait leur apporter la séparation » et M. Hovy avait même ajouté qu’ayant beaucoup investi dans Arcachon, il aurait été saisi de « découragement » si ce divorce, pas tout à fait à l’amiable, n’avait pas eu lieu. Les élections qui suivent l’indépendance ne retiennent pas Deganne ce qui relève du principe de la bombe à retardement. Les conseillers municipaux, pour beaucoup d’importants propriétaires fonciers, entourent Lamarque de Plaisance, nommé par l’Empereur. Ils se mettent vite à l’œuvre.
Il faut valoriser la ville pour y développer « l’industrie des étrangers ». Une manière de faire comprendre à Lalesque, quoi qu’il ait dit, que la commune possède une industrie et de belle taille. On prévoit donc d’investir dans des infrastructures de loisir, de tourisme et aussi de santé car tout ce monde se souvient qu’en 1843 déjà, le docteur Emile Pereyra a jeté les bases d’Arcachon, ville de santé pour y soigner la phtisie. En même temps, le conseil soutient une autre idée déjà dans l’air : le projet de casino de la Compagnie du Midi qui achève sa ligne de chemin de fer et qui voit bien plus loin que le butoir du terminus de la voie.
Des perspectives qui ne peuvent que faire monter les prix des terrains à bâtir. Pour ce faire, tout en agrémentant la vie des nouveaux Arcachonnais, dès le 28 juin, le conseil décide de créer des services communaux, le premier pour arroser les rues, un devoir qui incombait jusqu’alors aux riverains, le second chargé de l’enlèvement des ordures, du “bourrier”, comme on dit ici. Il faut aussi veiller à la sécurité nocturne tout en donnant dans le moderne : on change l’éclairage à huile des réverbères pour un système à gazogène et l’on installe soixante-cinq candélabres. Pour la sécurité diurne, on recrute un garde-champêtre. Grâce au préfet de Bordeaux, l’Etat fournit un puits filtrant de 1,5 mètre de diamètre, situé chemin Bel Air. Il alimente neuf bornes fontaines qui s’avèrent vite défectueuses, bien que desservies par les 15 000 litres d’un château d’eau de huit mètres de haut. Par ailleurs, plusieurs travaux de voirie sont entrepris.
Enfin, le 9 novembre, après plusieurs appels, ouvre, confiée à M. Moureau, l’école communale de garçon sur des terrains offerts par Mme Jéhenne. Mais comme il faut penser à tout, même au pire, dès le 28 juin 1857 le conseil décide d’établir un cimetière dans la forêt domaniale, du côté de Bernet. Bien entendu, pour asseoir l’autorité des notables et leur faciliter la besogne, il leur faut une mairie. Pour l’ériger, ils demandent, le 2 octobre 1857, une cession de terrain au centre-ville. Deganne, pourtant propriétaire là mais rejeté du conseil, fait la sourde oreille et c’est Mme Jéhenne qui offre 480 mètres-carrés sur l’unique place de la ville. En 1858, ouvre alors la « mairie-charcuterie », ainsi désignée car elle fera l’objet d’une de ces belles polémiques qui jalonnent la courte histoire contemporaine d’Arcachon. Il est vrai que le rez-de-chaussée de l’immeuble administratif est occupé par une halle et par divers commerces de comestibles. Il est évident qu’il perd en dignité ce qu’il gagne en rentabilité. Le « Journal d’Arcachon », que soutient Lamarque et qui se développe grâce à une subvention municipale, en découdra sur ce sujet et sur bien d’autres, avec « Le Phare », fondé par l’opposant Deganne, dès 1858.
Le 20 mars de la même année, suprême perfectionnement, s’ouvre un bureau de distribution du courrier. Pour financer tout cela, la commune souscrit un emprunt de 12 000 F sur dix ans et obtient de lever, pendant aussi dix ans, un impôt supplémentaire auprès des propriétaires. Ainsi, en quelques mois, Arcachon se trouve équipé avec les éléments de base permettant le bon fonctionnement d’une ville, son développement et de surcroît, l’enrichissement de certains de ses habitants. C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca