C’est dans une fort mauvaise posture que nous retrouvons, à la fin du XVe siècle, le duc d’Épernon, captal de Buch. Figurez-vous qu’il a osé souffleter le cardinal bordelais François d’Escoubleau de Sourdis ! Un bon gascon dirait plutôt qu’il a filé une « castanhe ataou » à l’archevêque ! Ce qui lui vaut d’être excommunié, mais quelques semaines seulement. On ne veut tout de même pas faire trop de peine au plus important des chefs militaires du royaume. Motif du courtois débat qui a conduit à cette fâcheuse « bouffe » : le cardinal conteste au duc les droits ancestraux des captaux de Buch sur le marché au poisson bordelais, à Puy-Paulin. Or, le cardinal a tout bonnement oublié que les captaux avaient justement établi leur puissance sur leurs terres du Bassin depuis 1274, du fait qu’ils étaient seigneurs du fief de Puy-Paulin à Bordeaux où le commerce du poisson représentait pour eux un revenu fort intéressant. D’où l’énorme ire du duc.
D’autant plus, rappelle Jacques Clémens, que depuis le début du XIe siècle, Saint Gérard de Corbie, fondateur de l’abbaye de la Sauve Majeure, a imposé à tous de s’abstenir de viande le samedi. Vous voyez l’ampleur du marché pour les poissonniers, surtout que Guillaume d’Aquitaine a donné aux moines toute facilité pour acheter du poisson ou des seiches à Buch. Et Sourdis, qui connaît bien son histoire, sait aussi que de 1001 à 1205, les chanoines de la cathédrale de Bordeaux ont eu le privilège de la pêche sur le Bassin. Son Eminence aurait bien souhaité voir revenir ces temps heureux. Mais, depuis, les Captaux ont imposé, selon André Rebsomen, pas moins de huit taxes sur le poisson arcachonnais et se sont même arrogé le droit de saisir le deuxième poisson d’une pêche, après le plus gros. De plus, ils peuvent prendre tout le poisson dont ils ont besoin pour leur table. Sans compter le pactole, certes hasardeux mais consistant, que représente leur droit de récupérer l’ambre gris des cachalots échoués.
Le duc d’ Épernon, au faite de sa puissance, ajoute à ces droits celui de prélever 725 livres par an sur le poisson arcachonnais vendu à Bordeaux, un droit qu’il fait porter à 1 000 livres en 1626. Il est vrai que le captal a de gros besoins d’argent, Henri IV, le trouvant trop riche, l’a taxé d’un palais à construire à Cadillac.
En 1713, grandeur et décadence, le captalat est vendu à un conseiller du parlement de Bordeaux, Jean-Baptiste Amanieu de Ruat. Louis XV n’a plus alors affaire avec de grands aristocrates touchant de près les personnes royales, si bien qu’en 1742 le roi, sans hésiter, prive le captal de Buch de tous ses droits sur les pêches dans le Bassin. Les pêcheurs doivent apporter tous leurs poissons au marché bordelais, qui s’appelle « la Clie », la criée, et pas ailleurs, moyennant quoi le duc de Polignac prélèvera, pour lui tout seul, le huitième du prix de vente du produit. Ce qui n’arrange guère la difficile vie des pêcheurs du Bassin. C’est une autre histoire.
À suivre.
Jean Dubroca