Café Repetto
1879 – Café de Bordeaux, Boulevard de la Plage 248, en face de la place Thiers. Vue splendide sur le Bassin. Consommations de 1er choix. Direction nouvelle de M. F. Repetto.
1906 – À10 heures 1/2, apéritif d’honneur gracieusement offert par M. Repetto dans son joli Café Thiers, nouvellement embelli d’une terrasse vitrée ; distribution gracieuse d’éventails par Mme Repetto, non seulement aux dames excursionnistes, mais à tout le monde sans exception.
Nous avons le plaisir d’annoncer le mariage de M. André Repetto, fils de M. et Mme Ferdinand Repetto, avec Mlle Marguerite Pracisnore, fille de M. et Mme André Pracisnore, qui aura lieu le 16 juin. Nous adressons nos sincères félicitations aux deux familles, et aux futurs époux tous nos vœux de bonheur.
1910 – On demande une femme sérieuse pour tenir les cabinets.
1912 – À partir de demain matin, dimanche de la Pentecôte 26 mai, un service de voitures, à trente centimes la place, fonctionnera entre Moulleau et l’Eden. Un chemin paillé d’aiguilles de pins et de mousse, conduit au sommet de la dune, d’où l’on redescend dans la vallée par un escalier monumental de 300 marches, et, dans cette vallée, près la cabane du résinier, se trouve un café restaurant Repetto.
À une portée de fusil la cabane de Villetorte, où notamment le dimanche, M. Repetto peut offrir des rafraîchissements et même à déjeuner, aux nombreux excursionnistes qui viennent visiter l’Eden. (AA du 9-6-1912)
1923 – Mercredi matin [20 juin] ont eu lieu en l’église Notre-Dame d’Arcachon les obsèques de M. Repetto, décédé dans son domicile, avenue Gambetta, à l’âge de 76 ans. Fondateur du principal café de notre ville, M. Repetto laisse un nom et le souvenir d’un homme infiniment aimable. Nous adressons à sa famille nos bien sincères condoléances.
1930 – Le café que l’on s’obstine à nommer le café Repetto, et qui s’appelle en réalité le Café Thiers — il y a des noms qui s’oublient vite et d’autres, l’on ne sait pourquoi, qu’on ne peut arracher de sa mémoire — donc le café ci-devant Repetto, actuellement tenu, pour quelques jours encore, par notre aimable concitoyen M. Laffitte, ce café qui représente dans notre ville le premier établissement où l’on boit et le dernier salon où l’on cause, ce café magnifique, dans son style oriental rivalisant avec feu notre Pavillon Chinois et fournissant un-avant-goût de notre Casino Mauresque, ce café célèbre dans le monde entier, car le monde entier, quand il visite Arcachon, s’y donne rendez-vous, ce café enfin qui est vraiment « café » dans toute l’expression du mot, va non point disparaître, comme tant d’autres poursuivis dans notre ville par un funeste sort, mais changer de mains c’est-à-dire nous présenter de nouvelles têtes.
C’est un petit événement local. On en cause, on en potine, on en jase. Les langues s’aiguisent d’autant plus sur ce thème chez nos excellents « tu ne sais pas » et nos bonnes « Madame, ma chère » qu’on ignore quelles seront ces têtes. La plus grande discrétion a été de rigueur, en effet, au cours et à la suite des transactions inattendues qui ont amené cette subite révolution de palais.
Qui verrons-nous le premier février derrière le somptueux comptoir la plume à la main, où entre les rangées de tables, la serviette sous le bras à la place de l’aimable madame et du sympathique Monsieur Laffite, auquel nous attachait encore son titre récent de conseiller municipal ? Mystère, profond mystère ! Tout s’est fait par procuration comme le mariage de Louis XIV !M. Laffite, paraît-il, ne connaît pas plus son successeur que M. d’Epernon ne connaissait M. de Ruat quand il lui vendit le captalat de Buch.
Il s’agirait d’une dame, dit-on. Sapristi ! Sera-t-elle jeune où vieille, accorte ou bien revêche ? Voilà ce que les clients fidèles se demandent avec anxiété ; voilà ce qui tracasse, sans doute, malgré leur égale réserve, les deux garçons, bien connus et fort sympathiques eux aussi, qui savent avec tant d’élégance nous servir des bocks sans faux col, nous verser le pur moka dans de jolies tasses, sans double fond et nous aider gracieusement à enfiler nos pardessus.
M. Laffite possédait ce rare mérite, en ce siècle de déracinés, d’être vraiment un « enfant de la balle », c’est-à-dire, dans le monde de la limonade, un homme ayant parcouru tous les gradins de la hiérarchie. Après avoir si longtemps obéi, si longtemps servi, car il fut d’abord groom, puis garçon de café lui-même — ce qui n’est pas un déshonneur, au contraire – il méritait, vraiment de commander et de se faire servir à son tour. Il sut dans ces conditions donner au « Repetto » ce vocable reste et restera malgré tout au café Thiers qu’il remania de fond en comble et appela ainsi les directives les plus favorables à l’extension de ses affaires.
Venu, en 1875, à Arcachon, de Tonneins, où il avait connu Mme Laffite, c’est en 1911 qu’il acquit l’ancien café de Bordeaux devenu en 1879, le café Repetto. C’était bien peu de chose que ce café de Bordeaux dont se rappellent encore quelques vieux Arcachonnais et dont, malheureusement, il ne nous reste même pas le moindre dessin pour nous en conserver le souvenir. Il se trouvait, nous ont raconté ces vétérans, adossé à une grande dune, complètement rasée depuis ; des baraques en bois, qui servaient d’habitation au propriétaire et au personnel, l’entouraient sans aucun respect de l’esthétique. Son plus bel ornement consistait en un billard placé en plein milieu de l’unique salle de consommation et sur lequel tonitruaient force carambolages.
En ces temps lointains, il y avait, à l’emplacement du gymnase actuel, un de ces cafés concerts qu’ont tué la concurrence du cinéma l’Alcazar et, à la place du pharmacien et de l’agence de location occupant l’autre encoignure de l’avenue Gambetta, alors appelée Euphrosine (ou Euphrosyne), un autre café, le café de France, qu’a tué la concurrence du Repetto. La place Thiers n’existait pas alors, n’ayant été dégagée qu’en 1884 des deux villas qui en recouvraient l’emplacement.
Ce fut un de nos maires les plus distingués, M. Méran, qui créa ce bel espace vide où l’on vient maintenant l’été se bercer aux sons de la musique et l’hiver se chauffer au soleil comme des lézards.
Que de progrès réalisés depuis ces temps où Arcachon sortait à peine de sa chrysalide et marchait à grands pas vers ses brillants destins !
Nous ne pouvons terminer cette sorte de monographie bien incomplète du café Thiers dit café Repetto sans parler des deux autres physionomies Arcachonnaises qu’y représentent les deux garçons, déjà cités, le brave Coudert et l’alerte Cazaux.
François Coudert, sous son apparence modeste, est l’un des héros de la grande conflagration mondiale de 1914. Devenu lieutenant sur le front, décoré de la Légion d’Honneur et de la croix de guerre, cité de nombreuses fois à l’ordre du jour, il n’en a pas moins repris le métier très dur auquel l’attachent ses aptitudes, ses goûts et la force des choses.
Henri Cazaux est peut-être plus connu sinon plus populaire car pendant des années, on le vit parcourir la région en poussant devant lui l’une de ces petites voitures mises à la disposition de leur ambulants par les « planteurs de Caïffa[1] ».
Si nous perdons M. et Mme Laffite, transfuges du Repetto, nous espérons que son successeur ou sa continuatrice nous conservera soigneusement Coudert et Cazaux.
Albert de Ricaudy
Mai1930 – M. et Mme Turpin, propriétaires du Grand café Thiers, plus connu sous le nom de café Repetto, nous prient de faire savoir que, dans le but de suppléer au manque de distractions dont se plaint la clientèle de notre station entre les petites et les grandes vacances, ils donneront dorénavant tous les mardis et vendredis à 21 h des concerts symphoniques…
1934 –Il me parle du café Thiers, mis en adjudication sur la mise à prix de 50 000 francs ; M. Répetto en doit être étonné, s’il voit cela du haut de sa demeure dernière. Mais il est probable que les enchères fixées au 19 juin seront poussées par les créanciers. Ils ne laisseront pas vendre à si bon marché un fonds de commerce acheté 700 000 francs, et dont la valeur semble encore considérable, bien que le café Victoria lui ait enlevé une partie de sa clientèle.
Adjugé le 1er octobre à M. Fort au prix de 268 000 francs. (AA du 12-10-1934)
N’oubliez pas, Arcachonnais, que le Café Repetto a ouvert ses portes sous la direction de M. Fort, honorablement connu dans nôtre ville et qui à été déjà, à la tête de plusieurs grands cafés de notre ville. Les bons et vrais Arcachonnais se doivent d’aller à l’heure du rendez-vous au Càfé Rèpetto !
L’Avenir d’Arcachon des 13 avril 1879, 3 & 7 juin 1906, 17 juillet 1910, 26 mai 1912, 24 juin 1923, 26 janvier & 18mai 1930, 1er juin & 26 octobre 1934
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[1] – Une famille a été à l’origine d’un mode de colportage important et efficace. Dans de nombreuses villes, des succursales étaient implantées, d’où partaient les charrettes des colporteurs.
Du début du XXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, des centaines de colporteurs parcourent les routes de France, véhiculant l’enseigne « Au planteur de Caïffa », une appellation que les anciens utilisent encore aujourd’hui pour évoquer un commerçant, même s’il n’est plus ambulant.
L’histoire débute à Paris, à la fin du XIXe siècle. Michel Cahen est né le 4 février 1862 à Ennery (Moselle), fils d’un marchand de bestiaux ; en 1887, avec son épouse Caroline (née Gross), il ouvre une épicerie dans la capitale, rue Boutitte. Le hasard entre en jeu quand il rachète au Havre, une cargaison de café, rescapée d’un bateau naufragé. Le produit est alors rare et donc fort peu consommé. Michel Cahen fait sécher et griller sa précieuse acquisition, l’ensache dans des petits paquets d’une livre qu’il entreprend de vendre… en porte à porte. Le succès est foudroyant et, trois ans plus tard, le couple crée sa marque « Au planteur de Caïffa ». Le champ d’activité est élargi au thé, épices et autres denrées rares à l’époque. Peut-être parce qu’il a lui même pratiqué la vente à domicile, le commerçant a une idée de génie. Il ouvre des succursales dans toute la France (plus de 300 en 1910) et développe la vente au détail, directement chez l’habitant. Ses agents sont ravitaillés grâce au chemin de fer et un nouveau type de colporteurs se lance sur les chemins. Ils sont reconnaissables et Michel Cahen anticipe le marketing, en misant sur « l’image ». Casquette (grise l’été, verte l’hiver), tablier de jardinier, sacoche d’épicier et crayon sur l’oreille composent la tenue réglementaire. Le véhicule est, lui aussi, uniformisé : un triporteur noir sur lequel brille l’enseigne, poussé par le colporteur et traîné, selon les régions, par des chiens, un âne ou un mulet. En marge du café, le chargement contient sardines, pâtes, chocolat, sucre, huile, poudre de lessive et même aiguilles, fils ou coton.
La vie de ceux qu’on appelle désormais les « Caïffas » est rude. Par tous les temps, ils parcourent environ 90 kilomètres par semaine, empochent entre 10 et 25 francs de l’époque par jour, dont 11 % représentent leur salaire. Pour autant, Michel Cahen se montre résolument philanthrope et son œuvre sera couronnée par la Légion d’honneur. De fait, il a relancé l’économie des anciennes colonies productrices de café mais a également créé une société de Secours mutuel qui assure ses employés. À son actif par ailleurs, l’envoi chaque année de 200 enfants en colonie de vacances.
En 1923, Michel Cahen rachète 25 % de la toute nouvelle Maison du café. Au planteur de Caïffa deviendra ensuite l’UFIMA (Union Française d’industrie et de marques alimentaires) avant d’être rachetée, en 1977, par le groupe néerlandais Douve Egberts qui s’associe l’année suivante avec Sara Lee Corporation.
Un développement qui fait honneur à Michel Cahen, décédé le 31 janvier 1928. La Seconde Guerre mondiale signe la fin des colporteurs. Ils seront remplacés par des commerçants tenant boutique qui, au volant de leurs camions, continueront les tournées à domicile, dans les campagnes.
(*) Caïffa provient du nom Haïffa, port situé en Israël. Sources : Jean-Jacques Jouffreau et Alain Berrebi.
Yveline David, La Montagne du 12 novembre 2017