1907 – Droit de pacage dans la lande Nezer

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Si les paysans n’étaient pas des sots,

Les Juges porteraient des sabots.

Soit par l’entêtement des uns, par la mauvaise foi des autres et surtout par les mauvais conseils et les encouragements de certain monteur de coups des plus dangereux, ce vieux proverbe trouve trop souvent, hélas ! sa malheureuse application.

Les faits, qui doivent être prouvés devant le Tribunal de Bordeaux, sont les suivants :

Une Société « La Compagnie agricole et industrielle d’Arcachon » s’est constituée en 1837 ayant acquis la lande de Nezer. 200 hectares sont cultivés en pomme de terre ; plus tard on cultive en prairie et en blé, 10 hectares au lieu Pujo ou Broustat, 10 hectares à Bignot, 15 hectares au Baron, 12 hectares à Jaumard ; 15 hectares au Courneau, autant au Becquet, autant à Bonneval.

Qu’elle en a défriché une partie pour y cultiver plus spécialement du riz ; les domaines de Césarée et Terre Neuve (aujourd’hui « Aire d’accueil des gens du voyage ») en faisant partie.

La Compagnie agricole et industrielle d’Arcachon devant abandonner pour diverses raisons les cultures particulières et notamment celle du riz, elle a un moment entrepris celle des pins : les communes s’y opposent et de nouvelles difficultés naissent.

La Compagnie fait dresser des procès-verbaux pour faits de pacage et c’est à la suite de ces difficultés qu’intervient le jugement du Tribunal de Bordeaux du 18 mars 1848.

La Compagnie Agricole tombe en déconfiture ; la Société est dissoute en 1846.

Les biens en dépendant font l’objet d’adjudication ou de ventes diverses qui entraînent la division du domaine redevenu en landes ou pins, sauf quelques faibles parties depuis longtemps cultivées ; la liquidation de la Société est terminée en 1857 et, pendant les onze ans qu’elle a duré, le pacage s’est exercé conformément à la baillette et aux décisions de justice.

En janvier 1858, les terrains de la Compagnie agricole et industrielle d’Arcachon, soit une superficie de 10 483 hectares 72 centiares, sont mis en vente et qu’au moment de la vente, les usagers exercent le droit de pacage sur l’ensemble du terrain et continuent à l’exercer jusqu’en 1880.

En 1863, Me Lescanne Perdoux achète 4 226 hectares de landes ou pins (soit les deux tiers de la lande Nezer) ; une partie de ses terrains sont mis en culture comme les terrains voisins. Il entre aussitôt en rapport avec les communes pour le rachat des servitudes reconnues à leur profit par le jugement de 1848. Gujan traite les 2 et 4 juin 1864 moyennant un prix de 50 000 f. La Teste réclame un cantonnement en conformité des dispositions de la loi de 1792.

Cantonnement Lescanne

La première convention qui soit sortie à effet est celle entre M. Lescanne et la commune de Gujan par acte devant Maître Dignac, notaire à Gujan, des 2 et 3 juin 1864 et aux termes duquel, moyennant une somme de 50 000 francs, la commune abandonne tous ses droits.

Cette convention n’a nullement le caractère d’un cantonnement, mais plutôt d’un rachat ou mieux d’une transaction sur droits litigieux. Elle ne porte d’une part que sur les droits de la commune de Gujan, d’autre part que sur les droits de cette commune sur les 4 226 hectares acquis par M. Lescanne.

La deuxième de ces conventions intervient entre M. Lescanne et la commune de La Teste, mais cette dernière commune désireuse de développer ses possessions forestières et après avis de jurisconsultes, demande un cantonnement en nature fait en conformité de la loi de 1792.

Les experts procèdent à leur travail et le cantonnement est opéré sur les bases suivantes rapportées par M. Boisot :

Pacage de 1.000 vaches pendant six mois équivaut à 500 pendant un an,

– pacage de 54 vaches pendant un an 831 frs

– pacage de 2.933 moutons estimés 839 frs

– soustrage : charges 645 frs

– parcs à brebis, 7 à 20 frs = 140 frs

2.495 frs

Revenu total représentant un capital au denier 20 de 49.918 frs

Interdiction de complanter sur 6 533 ha à 5 frs l’ha = 32.665 frs

Au total et pour la commune de La Teste et sur 6 533 ha formant l’ensemble du domaine 82 583 frs

M. Lescanne ne possédant que 4 226 hectares, la charge des servitudes sur son domaine représente donc (82.583 x 4.226) : 6.533 = 53.374 frs

En représentation de cette somme, les experts attribuent 370 hectares à la commune de La Teste formant actuellement ses anciens communaux et non l/8e de l’ensemble.

Certaines particularités sont à noter dans les conventions intervenues entre Lescanne et les communes. D’abord, et c’est la plus importante, il a été porté du chef des communes atteinte au principe de l’indivisibilité de la servitude puisqu’elles ont accepté de cantonner leurs droits à la fois séparément et sur une partie seulement du territoire grevé.

De ce dernier fait, qui s’est du reste reproduit lors des autres cantonnements, les communes ne sauraient maintenant refuser le cantonnement à un quelconque des propriétaires qui voudraient le demander sous le prétexte que la servitude est indivisible.

Ensuite, dans la détermination de l’émolument usager en ce qui concerne la commune de La Teste, il a été fait état tout d’abord et contrairement au traité de 1766, mais en conformité du jugement de 1848 des droits que les communes tiraient de la baillette de 1550.

En troisième lieu et enfin, il a été fait état comme d’une valeur au profit des communes de l’interdiction de complanter, bien que les règles soient particulièrement précises à cet égard, que les communes ne doivent retirer par le cantonnement que la contrepartie de l’avantage qu’elles tiraient de la servitude elle-même.

Or, l’interdiction de complanter ne peut pas être considérée comme un produit pour les communes. Il est vrai que cette interdiction de complanter est calculée à l’hectare et non d’après le nombre des parties prenantes comme le veulent les règles habituelles.

Elle aurait donc plutôt en cette partie, comme du reste la convention totale faite avec la commune de Gujan, le caractère d’une transaction sur droits litigieux que d’un véritable cantonnement.

L’obstination des habitants de Cazaux à faire respecter leurs droits repousse la possibilité de semer en pins jusqu’en 1901 lorsque, pour régler le problème, la commune rachète les « landes Lescanne » situées autour de Cazaux.

Ces suppressions de droits qui portent sur les 4 226 hectares du « cantonnement Lescanne » sont complétées par des accords semblables avec les autres acquéreurs de la Compagnie Agricole et leurs ayant-droits ; ils portent sur 984 hectares, si bien qu’en 1919, le total des superficies cantonnées sur les deux communes est de 5 210 hectares.

La commune d’Arcachon, toujours usagère des landes de l’ancien Captalat de Buch, est fondée à opposer à la commune de la Teste et au sieur Lescanne la baillette du 23 mai 1550 et le traité du 5 février 1766 afin de faire respecter ses droits. C’est alors, ayant en mains, la consultation des trois avocats, qu’en 1865, son maire Héricart de Thury dévoile ses batteries. Les droits d’usage ne l’intéressent pas ; par contre, il convoite l’agrandissement du territoire de sa commune. Après avoir pris la précaution de faire savoir que les idées qu’il va émettre lui sont tout à fait personnelles et n’engagent en rien les intérêts de la commune d’Arcachon : « Dans mon opinion, dit-il, dans un but de paix et de concorde, la commune d’Arcachon doit renoncer à la plupart de ces droits. Arcachon doit surtout se souvenir qu’elle est fille de la commune de La Teste et ne doit pas se montrer fille dénaturée. » C’est pourquoi la commune d’Arcachon renoncerait :

1° en faveur des communes de La Teste et de Gujan à tous droits de copropriété dans les 821 hectares réservées aux habitants d’après l’acte de vente à Nezer, en date du 5 février 1766.

2° en faveur des communes de La Teste et de Gujan à tous les droits d’usage, pour les bois de construction dans la grande forêt de La Teste.

3° en faveur de la commune de La Teste à toute demande en partage dans les propriétés communales qui existaient à la date du 2 mai 1857.

4° en faveur de la commune de La Teste aux droits sur les 370 hectares de landes que la commune de La Teste a reçus de M. Lescanne. Mais « comme compensation des sacrifices » que s’impose la commune d’Arcachon en faveur de la commune de La Teste, les limites entre les deux communes seraient rectifiées « avec l’assentiment de l’autorité supérieure » : Toute la presqu’île du Cap Ferret reviendrait à la commune d’Arcachon.

La limite entre Arcachon et La Teste serait repoussée à l’est et au sud. Elle partirait du milieu du chenal du port de la Teste, couperait en son milieu le chenal d’écoulement de la Craste Douce, passerait à l’écluse sous la route (à proximité donc de la source où les Testerins vont aujourd’hui s’approvisionner en eau), suivrait la Craste Douce jusqu’au pont du chemin de fer, à partir de ce pont longerait la voie ferrée jusqu’à hauteur du garde feu de Camicas qu’elle emprunterait jusqu’à la mer (ce qui ferait passer aujourd’hui la frontière entre La Teste et Arcachon par le Club-House du Golf International pour aboutir en ligne droite au rond-point du Figuier à Pyla-sur-Mer.

Les conseillers municipaux d ‘Arcachon se tiennent sur une prudente réserve ; craignant une guerre avec La Teste, ils refusent de s’engager derrière Héricart de Thury. Par contre, ils décident de faire valoir les droits d’Arcachon sur les landes Lescanne. Mais ce n’est pas Héricart de Thury qui porta l’affaire devant la justice : le Conseil municipal étant renouvelable en avril 1869, il décide de ne pas se représenter.

Jean Mauriac, qui succède à Héricart de Thury, écrit à Lescanne ;  le 7 août 1869 il rend compte, à ses conseillers que Lescanne ne lui a pas répondu.

Il est alors autorisé à engager l’action judiciaire.

Le Tribunal de première instance de Bordeaux rend son jugement le 19 mai 1874. Pour lui les habitants de la commune d’Arcachon ont conservé le droit d’usage sur les landes du Captalat appartenant aujourd’hui à Lescanne « auxquelles ils avaient droit comme faisant autrefois partie de la commune de La Teste. »

Considérant les 50 000 francs que la commune de Gujan a reçus de Lescanne, le tribunal estime que pour la commune d’Arcachon une indemnité de 1 000 francs serait suffisante en raison du fait que la commune d’Arcachon ne représente « que pour une très faible partie les usagers des landes », qu’elle se trouve « la plus éloignée de ces landes », qu’elle ne peut en retirer « presqu’aucun avantage », sa population étant industrielle, tandis que celle de Gujan et de La Teste sont agricoles.

Cette indemnité est à la charge de Lescanne, car dans l’acte passé devant MDignac, notaire à Gujan, le 2 et 3 juin 1864, la Commune de Gujan a fait expressément stipuler que cette convention ne concerne que les habitants de Gujan, réservant les droits des autres usagers.

La Commune de La Teste au contraire, dans l’acte passé devant Me Dumora, notaire à La Teste, le 21 juin 1865, a renoncé au nom de tous les habitants.

Attaqué par la Commune d’Arcachon, Lescanne dépose une demande en garantie contre la commune de la Teste et le tribunal estime que la commune de La Teste doit le relever des condamnations portées contre lui et « lui apporter dans l’année de la signification du présent jugement le consentement complet de la commune d’Arcachon en dégrevement de tous les droits d’usage des landes… et faute par elle de le faire, la condamner à des dommages et intérêts. »

La commune de La Teste fait appel devant la cour de Bordeaux qui confirme le premier jugement. S’étant pourvue en cassation, son pourvoi est rejeté. Il ne lui reste plus qu’à s’entendre avec Arcachon : chaque municipalité désigne une commission. Durant les années 1877 et 1878, M. Deganne étant maire d’Arcachon, et M. A. Lalesque, maire de La Teste, les deux commissions discutent sans arriver à s’entendre. On décide de s’en remettre à des experts. En mars 1880, Arcachon demande 25 000 f ; généreuse, La Teste en offre 13 000. Arcachon baisse à 18.000 f, mais La Teste n’en offre plus que 9 000. Finalement, en mai 1880, La Teste offre 14 676 f. Le 15 mai 1880, le Conseil municipal d’Arcachon décide de traiter sur cette base et le 22 mai enregistre avec satisfaction que La Teste accepte de payer cette somme : en s’exécutant la commune de La Teste reconnait les droits d’usage que la commune d’Arcachon a sur son territoire. C’est là un point d’histoire et de droit qu’il semble intéressant de rappeler !

En 1869, à la suite des tractations faites par les communes pour arriver au cantonnement de la totalité du domaine de Nezer, on trouve un cantonnement Maupetit (acquéreur de la Compagnie Agricole) ; il porte sur 130 hectares.

La « Société viticole » de Gujan, qui se fonde en 1876, acheteuse des opérations successives portant sur environ 800 hectares de terrain compris entre les canaux n° 2 et 4, plante 500 hectares environ de vignes ; l’exploitation viticole dure jusqu’en 1889.

En 1881, la « Société Viticole », pour arriver à un échange avec la commune de Gujan, réalise un cantonnement de 20 hectares.

Après de nouvelles tentatives malheureuses de culture, cette Société tombe en déconfiture et, en 1891.

En 1889, la Société a cédé le terrain à M. Dauban et, depuis lors, la lande n’a jamais été cultivée. Ces biens sont achetés en 1893 par M. Barat qui fait le semis de pins dont il s’agit au procès.

M. Barat vend à M. Denis Legein qui continue les ensemencements. Les communes protestent et font faire des constats… non suivis d’effets.

M. Legein poursuit Pedemay pour faits de pacage et ces poursuites aboutissent à divers jugements et arrêts de la cour de Bordeaux qui reconnaissent à nouveau aux Communes les droits de pacage.

En ce moment [janvier 1907], se déroule, devant la 4e chambre de la Cour d’appel de Bordeaux, un procès intéressant grandement les populations usagères des communes de La Teste, Gujan et même d’Arcachon, et dont nous sommes priés de tenir nos lecteurs au courant.

En l’espèce, il ne s’agit point de la forêt usagère mais bien de vastes étendues de landes comprenant, à l’origine, pas moins de 40.000 journaux.

C’est dans cette vaste et infertile région que s’exercent, depuis plusieurs siècles, et, en vertu de titres authentiques, des droits de pacage, parcage, litière, etc., au profit des habitants.

Pour assurer l’exercice de ces droits, les concessionnaires ou détenteurs de ces landes ne peuvent y ensemencer aucune espèce de bois et n’en deviennent vrais propriétaires que s’ils les transforment en culture intensive. Heureuse et paternelle inspiration, due à la sagesse de nos aïeux et que la plupart des petits-neveux ont mise à profit.

Au mépris de cette obligation, quelques concessionnaires do ces terrains, les ont fait ensemencer de pins, entravant ainsi l’exercice des pacages et du [libre] parcours des troupeaux.

Achetés ou obtenus à vil prix, ces terrains ont acquis aujourd’hui, grâce à la faveur dont les gemmes et les pins sont l’objet, une valeur considérable. C’est, pour quelques-uns, la clé de la fortune trouvée.

La prescription de cet état de choses si préjudiciable aux usagers, s’acheminant vers son terme, un bon et courageux citoyen. M. Auguste Danchotte, de Gujan, a, le premier, engagé à ses frais contre le principal concessionnaire, la revendication des droits usagers.

Ensuite, est venu le procès actuel entrepris par un concessionnaire qui entend faire respecter par les troupeaux des usagers, ces mêmes pins qui, nous l’avons dit, sont là en grand nombre, accrus ou ensemencés, en violation des contrats.

C’est ainsi que des poursuites ont été, sur sa plainte, exercées par le ministère public, contre M. Jacques Pédemé, de Villemarie, dont les chèvres continuaient de parcourir ces landes, aujourd’hui couvertes de magnifiques jeunes pins.

Les chèvres, ainsi que les brebis, sont, nul ne l’ignore, depuis la jurisprudence de la Cour de cassation et la nouvelle loi forestière, mises sous l’autorité de l’ordre public, malgré tout titre ou possession contraires. Nous estimons, quant à nous, que c’est à bon droit, car leurs ravages détruisent la chose elle-même. Mais ici, cette jurisprudence est inopérante. C’est ainsi que M. Jacques Pédemé, a été condamné, en première instance jugeant correctionnellement, et malgré les efforts de Me Majeski, son dévoué avocat, qui vainement, s’appuyant sur les actes demandait le renvoi de l’affaire devant le tribunal civil.

Voyant sa ruine agricole et celle de beaucoup d’autres menacée, M. Pédemé n’hésite pas à faire appel. Cette fois, il est encouragé, soutenu et éclairé par M. Jules Lutzy, qui, sur la pression d’une masse d’usagers, vient d’organiser le Syndicat de défense des droits d’usage des communes de Gujan, de La Teste et d’Arcachon.

D’autres conclusions sont arrêtées entre le vaillant défenseur Me Majesky et M. Jules Lutzy. Devant la Cour, Me Majesky les développe avec une grande force et une belle énergie, malgré le rapport lumineux de M. le conseiller rapporteur.

Peut-on se créer un droit en violation d’une obligation et créer ainsi, à son profit et au préjudice d’autrui, un droit délictueux ? C’est une question protestative, semble-t-il.

Aussi, le très distingué organe du ministère public, M. l’avocat général, dans une harangue remplie d’érudition, a-t-il démontré à la Cour, qu’il ne pouvait y avoir de délit commis par M. Pédemé, puisque le concessionnaire n’avait aucun droit d’avoir des arbres dans sa propriété, et il a conclu, ainsi que l’avait fait l’honorable défenseur, Me Majeskv à la relaxance de M. Pédemé, et au renvoi à fins civiles.

La Cour rendra son arrêt le mercredi 30 janvier 1907…

Comme nous l’avions fait prévoir dans un de nos derniers numéros, la Cour d’appel de Bordeaux, faisant droit aux conclusions de M. l’avocat général Pascaud, de Me Majeski, défenseur du sieur Pédemé, renvoie ce dernier devant la juridiction civile.

Le procès Pédemay-Legein nous parait entaché de cette tare, aussi, quoiqu’en ait dit le savant, juriste Lutzy, dans son fameux article du 28 janvier 1907, où il chante victoire vendant toujours la peau de l’ours avant de l’avoir tué, ce procès n’est pas prêt d’être terminé.

Ainsi que nous l’avons affirmé, c’est grâce au premier jugement rendu devant le tribunal de simple police de La Teste par M. le juge de paix Godrie, et après les conclusions développées par M. Martin, ministère public, que la Cour de Bordeaux a pu s’appuyer sur un précédent basé sur des documents irréfutables.

Voici, en effet, en quelques lignes, l’origine et la suite de cette affaire dont le sieur Lutzy, avec sa modestie et sa simplicité ordinaires, s’attribue tout le mérite et tout le bénéfice.

Quand nous aurons répété pour la millième fois que c’est lui-même, Lutzy, qui envoie à la France son propre éloge, qui écrit tous les articles qui le concernent, nous n’apprendrons rien à personne mais nous aurons fait constater une fois de plus qu’il cherche, comme Veyrier Montagnères, à prendre à son compte, pour en profiter, le résultat du travail des autres.

Le sieur Jacques, dit Pédemé, fait pacager dans la propriété de M. Denis Legein (Landes Nézer), un troupeau de chèvres. Le garde de M. Legein, se croyant dans son droit, fait dresser procès-verbal à Pédemé et transmet le procès-verbal, pour suite, au commissaire de police de La Teste.

Pédemé est donc traduit devant la justice de paix et c’est là que M. Martin, ministère public, expose la question et demande l’acquittement de Pédemé, en vertu de la transaction passée entre M. de Ruat et M. Nézer.

Dans des considérants qui ont justement servi à la Cour, le juge de paix de La Teste a pleinement fait droit aux conclusions du ministère public et a relaxé Pédemé des fins du procès-verbal sans dépens.

À la suite de ce jugement, M Legein, pour le même fait, place devant la juridiction civile la poursuite contre Pédemé.

Le Tribunal, n’ayant aucun élément d’appréciation et convaincu qu’il n’y a là qu’un droit strict de propriété, condamne Pédemé. Ce dernier fait naturellement appel de ce jugement, et cette fois il apporte à la Cour, non pas les lumières de Lutzy, qui sont un peu comme celles du ciel, passablement obscures, mais son premier jugement de La Teste et le traité de Ruat-Nézer.

Aussi, comme nous l’avons déjà dit, l’avocat général suit-il les réquisitions du ministère public de La Teste et la Cour reforme le jugement du Tribunal civil, s’appuyant sur les considérants justifiés du juge de paix Godrie. Voilà toute l’histoire et toute la vérité.

Pourquoi donc faire tant de réclame dans la France en disant des balourdises et des énormités pareilles à celles-ci : « Me Majeski a développé les conclusions de M. Jules Lutzy ! »

Quelles conclusions ? et qui donc a le droit de prendre des conclusions dans cette affaire ? Est-il possible de jeter pareillement de la poudre aux yeux !

Ce qu’il y a de certain, c’est que nous mettons au défi le citoyen Lutzy Jules de nous démentir sur les points suivants :

1° C’est le ministère public de La Teste qui le premier a requis en faveur de Pédemé, a demandé son acquittement en vertu de l’article 12 de la baillette relative aux landes

Nézer vendues par M. de Ruat.

2° c’est le Juge de paix de La Teste qui, en vertu de cette transaction et pour la même affaire de pacage, a acquitté Pédemé.

3° Les juges de correctionnelle ignoraient complètement le jugement de La Teste qui n’a pas été soumis à leur appréciation.

4° L’avocat général, avant même d’avoir entendu la défense, a requis en faveur de Pédemé exactement comme le ministère public de La Teste.

Sur ces quatre points qui sont tout le procès, toute 1’affaire, comme chacun peut aisément le comprendre, nous répétons que nous mettons au défi, courtoisement mais carrément, le sieur Lutzy, qui parle tant de lui, de ses conclusions et qui comme la mouche du coche a toujours tout fait, de nous donner le démenti : c’est bien net et c’est bien clair.

Si nous mentons sur un seul point, le citoyen a le droit que lui donne la loi de nous adresser, non pas une réponse à côté, mais un formel démenti.

Si ce démenti ne nous arrive pas, c’est qu’alors nos quatre points sont exacts. Et| alors, à qui revient le mérite de ce résultat ? Est-ce à Lutzy ? C’est ce que nous allons voir.

En attendant ce démenti catégorique et clair, nous serions heureux d’être éclairés sur un autre point, celui-là non moins intéressant :

Quel est celui qui a conseillé à Pédemé de faire citer, à la barre de la Cour, comme témoins, MM. Dignac, maire de La Teste, Daney, maire de Gujan, Lutzy Jules, propriétaire et Virgile Daney, etc. ?

Est-ce le défenseur de Pédemé ? C’est douteux, car il serait extraordinaire qu’un avocat ne sût pas que la Cour n’entend des témoins que si un arrêt spécial a été rendu à cet effet. Peut-être que c’est un conseil d’ami… désintéressé, mais maladroit ?

En tout cas, c’est d’un superflu bien inutile, puisque justement la cour n’a entendu aucun de ces témoins, ce qui prouve encore plus combien ils étaient peu nécessaires dans une affaire aussi simple

Il était donc peu raisonnable d’aller faire citer régulièrement des témoins qui, évidemment, ont dû être payés : il est vrai qu’ils ont tous pu se désintéresser et venir uniquement pour rendre service à Pédemé. Nous en connaissons au moins un, M. Dignac, qui n’a pas voulu recevoir le montant de ce qui lui était dû, sachant bien que ce serait autant de plus dans la poche de ce pauvre diable de Pédemé. Il est probable que les autres témoins en ont fait autant, du moins nous le supposons.

Bref, l’affaire est aujourd’hui tranchée et surtout mise au point. C’est ce qu’il fallait démontrer aux lecteurs de bonne foi que n’aveuglent plus les fantasmagories vaniteuses et ronflantes de Don Quichottes soufflés, que la moindre piqûre d’épingle suffit à dégonfler.

La Cour d’appel vient de renvoyer l’affaire Pédemay-Legein devant la juridiction civile. Que va décider cette dernière ? Serait-ce bien fin qui pourrait l’affirmer, aussi défions-nous le juriste précipité d’en pronostiquer exactement le résultat. Nous voudrions bien voir le pot de terre écrasant le pot de fer.

Mais nous craignons bien le contraire, étant donné certaines circonstances dont on n’a pas assez tenu compte et qui peuvent très bien changer la face des choses.

Si M. Pédemay avait fait pacager ses chèvres dans un terrain resté toujours inculte nous dirions d’avance que l’article 11 est là, formel, il ne peut pas perdre. Malheureusement pour lui, la propriété Legein sort de ces conditions. Personne n’ignore que cette dernière a été plusieurs fois mise en valeur et de différentes manières.

Une première fois à l’époque des rizières. Ensuite à la culture de la pomme de terre pour l’alimentation d’une féculerie. Enfin, plus tard, vers 1880, plus de six cents hectares sont défoncés à la vapeur et complantés en vignes.

Ces diverses mises en culture exigent, tant pour l’irrigation que pour l’écoulement des eaux, de nombreuses rigoles principales perpendiculaires aux quatre grands canaux qui la traversent dans toute son étendue, ainsi qu’une grande quantité de fossés en tous sens aboutissant à ces rigoles et aussi à l’établissement de nombreux chemins de service bordés de fossés qui existent toujours.

Si la culture disparaît et que le droit d’usage, ce qui est douteux, puisse de nouveau s’exercer, des travaux d’amélioration, eux, ne disparaissent plus.

En admettant que l’usage puisse renaître dans le milieu des pièces de terre redevenues « landes » par 1’application de l’article 11, il ne peut pas en être de même sur les francs bords des dits canaux et fossés qui peuvent être plantés et semés d’arbres.

Dans ces conditions, il devient impossible à l’usager, si le propriétaire veut être rigoureux, de pénétrer avec son bétail à l’état libre sans se mettre en continuelle contravention.

En tenant compte que M. Legein laisse parcourir librement dans sa propriété tous les troupeaux de moutons et vaches de la contrée ; que les habitants de Meyran et de Gujan trouvent là une ressource précieuse pour leurs besoins : une concession devant en amener une autre, l’usager à son tour doit respecter au moins l’arbre pin qui pousse, et n’employer aucun moyen violent de destruction.

D’ailleurs, ce n’est pas le propriétaire actuel qui a ensemencé ces pins, c’est son prédécesseur, M. feu Barat, qui au vu et au su de tout le monde, s’appuyant sur les considérations que nous venons de développer, fit ensemencer 60 hectolitres de graine de pin.

M. Jules Lutzy, alors maire et président de la commission des droits d’usage, informé de ces faits, gesticula, tonna, parait-il, et donna des ordres sévères à son garde usager feu Castaing, qui alla se rendre compte sur les lieux et dresser procès-verbal au propriétaire.

Ce procès-verbal fut communiqué aux membres de la commission qui décidèrent et chargèrent leur président de lui donner les suites qu’il comportait, c’est-à-dire de poursuivre le propriétaire.

Aujourd’hui plus aucune trace de procès-verbal n’existe. Nous demandons au maire et président de la commission des droits d’usages d’alors : 1° Ce qu’est devenu ce procès-verbal et pourquoi M. feu Barrat n’a pas été poursuivi par lui en vertu et conformément à l’article 11 des baillettes et comme il en avait reçu et accepté mission.

2° qu’il veuille bien nous dire aussi, comment il se fait que sur le grand canal de La Hume à Cazeaux, qui traverse toute leur étendue, les 40 000 journaux usagers de « la lande Nézer » inexploités depuis plus de 60 ans, tombés en déshérence, vendus plus tard à un particulier qui les exploite à sa guise : l’usage n’est plus reparu. Doit-il reparaître ou pas ?

Nous lui posons ces deux questions très importantes auxquelles nous le prions de répondre.

Vieux Gaston

 

Sources :

La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 28 janvier 1907

https://www.retronews.fr/journal/la-france-de-bordeaux-et-du-sud-ouest/28-janvier-1907/1113/3714833/4

« Reconnaissance des droits d’usage de la commune d’Arcachon par jugement du 19 mars 1874 », Jacques Ragot, texte communiqué à la séance de la Société historique du 28 mars 1979.

https://htba.fr/file/SHAA_021_opt.pdf

« Le Pays de Buch, de la lande aux forêts, XVIIIe et XIXe siècles. », Robert Aufan, 1976, Bulletin Shaapb 3trimestre 1996

https://shaapb.fr/wp-content/uploads/files/SHAA_089.pdf

Arcachon-journal des 17 février & 3 mars 1907, 3 avril 1910

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54233526/f2.item.r=proc%C3%A8s%20Denys%20Legein.zoom#

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5423355f/f2.item.r=Arcachon%20F%C3%A9culerie.zoom

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5423616c/f3.item.r=barat%22Compagnie%20agricole%20et%20industrielle%20d’arcachon%22.zoom

https://shaapb.fr/wp-content/uploads/files/SHAA_088.pdf

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Raphaël

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