Le premier hôtelier, François Legallais, a ouvert la porte à une rapide extension du nombre de baigneurs venus dans le quartier testerin d’Eyrac. L’hôtel Tindel, que l’on dit luxueux, surgi au milieu de huttes bâties en gourbet par les pêcheurs, forme un contraste pittoresque avec elles, ce qui plaît beaucoup aux baigneurs. Tindel a pour concurrent, au sud du chemin qui deviendra le boulevard de la Plage, un établissement ouvert par Gaillard, posé sur le haut de la dune Pontac. En 1841, on parle aussi des bains de Jean Bourdain, un établissement de six pièces dont quatre chambres, avec l’indispensable péristyle qui est à l’architecture légère arcachonnaise ce que l’arc-boutant est à la cathédrale gothique. Autour, des baraques en bois, les unes pour les écuries, les autres pour les baigneurs. En 1854, on retrouve cette maison de location, qualifiée parfois d’auberge, sous l’enseigne “Hôtel Grenier” et il peut recevoir vingt-huit baigneurs.
En 1841, le 19 août, le « Mémorial bordelais » signale déjà que ces hôtels sont bien tenus, On dîne à cinq heures, on déjeune à dix, on se promène à pied, à cheval, en bateau. A dix heures, tout le monde est couché : il faut se reposer des fatigues de la journée et se préparer à se baigner de bon matin, le lendemain. On peut même réserver auprès du gérant des Bains d’Arcachon, à l’Aiguillon, des promenades… à dos de dromadaires. « Ils sont très bien dressés », écrit le “Mémorial bordelais”, toujours en 1841 et il ajoute : « ils permettent aux personnes qui le désirent d’explorer les immenses forêts de dunes qui servent de barrière à l’océan ». Et puis, très vite, viennent, des distractions beaucoup moins familiales.
Voici qu’en 1849, l’hôtel Gaillard se trouve flanqué d’un casino qui n’a rien de monumental. Cependant, sa coupole octogonale à toiture pointue, perchée sur un rez-de-chaussée carré, entouré de l’indispensable galerie à l’arcachonnaise, attire un nombreux public. Pour le “Mémorial bordelais” du 20 juillet 1850, « tout le Bordeaux à la mode inaugure ce casino. Salon de lecture, salles de bal et de rafraîchissement, rien ne manque ». Surtout pas un salon de jeux. Et Jacques Ragot de s’amuser devant ce nouveau paradoxe arcachonnais, en citant Thomas Illyricus qui, en route pour Menton, après son sanctifiant séjour à Bernet, avait exigé, à Cahors, « que toutes les cartes à jeux qui se trouvaient dans les maisons ou dans les boutiques, soient apportées à la maison commune et brûlées ». Le père spirituel d’Arcachon doit, en cette année 1845, se retourner dans sa tombe.
Et cela d’autant plus vivement que, le 15 août 1850, le casino a « naturalisé la polka sur la plage jadis solitaire d’Arcachon ». Puis, le même chroniqueur de se demander, devant la foule élégante qui emplit le casino, « quel mobile pousse les jolies baigneuses à abandonner la douceur de la promenade du soir et à braver la chaleur du lieu ? ». Sa réponse sauve la morale publique : « elles venaient, ces aimables fugitives, entendre des artistes que les salons affectionnent et porter leur offrande à la chapelle d’Arcachon, lorsque ces artistes ont fait la quête ». En liant ainsi doux plaisirs et bonne conscience, on ne s’ennuyait donc pas dans ce quartier de La Teste des années 1840.
À suivre…
Jean Dubroca