Chronique n° 033 – Arcachon naît dans la pauvreté

    Imprimer cet article Imprimer cet article

Au milieu des landes, marécageuses l’hiver, ou brûlées l’été, la prospère petite mer de Buch apparaît comme un miracle; a écrit Charles Daney. Un miracle en entraînant un autre, celui-là se produit à la pointe de Bernet, un lieu qui correspond à peu près à l’alignement ouest de l’actuel Pereire. Un site bien placé, quasiment à l’entrée du port naturel et que le Captal, en 1468, a mis hors des droits d’usage. C’est là qu’on règle les comptes : à la pointe de Bernet, le seigneur, par l’intermédiaire de ses gens, reçoit jusqu’en 1742, le second poisson après le plus gros. Y échapper, coûte, sans discussion possible, la confiscation du bateau, des filets et du poisson. Un lieu si important que dès 1625, le captal charge un nommé Jean de Palu de le surveiller, moyennant cinq sols pour chaque homme qu’il y attrape et cinq autres sols pour tout objet qu’il y trouve. C’est précisément là que naît Arcachon.

Au tout début de l’histoire, il y a un moine franciscain, nommé Thomas Illyricus, car natif en 1485 de Vrana, en Illyrie (la Croatie d’aujourd’hui). Ensuite, sa famille gagne Osimo près d’Ancône, en Italie. Là, il garde des pourceaux, ce qui n’a rien d’étonnant pour un jeune paysan à l’époque. Il peut assez méditer et étudier dans les champs pour prendre l’habit de Saint Antoine. Dès 1510, son supérieur remarque ses qualités intellectuelles et son ordre en fait un frère prêcheur. Jusqu’en 1520, on le retrouve insatiable, prêchant de Saint Jacques de Compostelle à Gênes, de Rhodes à Jérusalem. En 1516, le voilà à Grenoble et en 1518, à Montauban. Grand, osseux, très pâle et pourvu d’une longue barbe, il passe par Toulouse où dix mille étudiants se régalent en l’écoutant critiquer vertement « la corruption dans les États de la chrétienté et dans les Ordres de l’Eglise ». Il tonne avec véhémence contre « les indignes prélats qui se remplissent le ventre et assemblent de l’argent aux dépens du sacrifice ». Il parle comme Luther, dit-on. Ce Luther dont le pape Léon X vient de condamner des œuvres et qu’il excommuniera en 1521 pour avoir brûlé la Bulle le concernant.

Aussi, lorsque Thomas arrive à Bordeaux en 1519 et qu’il y rencontre le supérieur de son Ordre, ce dernier estime que son frère sent le soufre. Il lui conseille vivement « d’aller faire retraite ». Le diable se fait donc ermite, selon l’heureuse formule utilisée dans un ouvrage collectif sur la Grande Dune. Il arrive donc, écrit-il à ses chers étudiants toulousains, « dans ce lieu affreusement sauvage appelé Arcachon ». Il le décrit comme « un coin de terre déserte, caché dans des cavernes retirées, en compagnie des bêtes, sur un peu de sable qu’on lui dispute ». C’est là, sur cette pointe de Bernet, que se produit le miracle d’où jaillira Arcachon.

La légende montre Thomas, témoin d’une violente tempête qu’il calme, sauvant un navire du naufrage, d’autres disent deux, en brandissant une statuette de la Vierge. Celle qu’il a découverte sur la plage. Il bâtit un oratoire en bois pour l’héberger. Arcachon passe ainsi du virtuel au spirituel et de l’écrit au réel. Un an, après Thomas, dont la bonne réputation s’est répandue à quinze lieues à la ronde, devient gardien du couvent de son ordre à Menton. Bien qu’ayant, par la vierge interposée, échappé aux tentations du protestantisme, sa hiérarchie a sans doute voulu le sauver des griffes de l’Inquisition qui se répand. Peut-être aussi n’a-t-elle pas voulu laisser un tel brûlot intellectuel devenir une idole en Aquitaine ? Thomas Illyricus mourra de la peste à Menton en 1529. C’est tout de même un paradoxe qu’Arcachon, la ville riche et bien-pensante, porte, dès ses premiers jours, les traces indélébiles d’un rebelle appartenant à un ordre mendiant. Ce n’est cependant que le premier des paradoxes que connaîtra la cité. Mais c’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

 

Ce champ est nécessaire.

Aimé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *