Louis XIV désire avoir un tracé précis des frontières maritimes de son royaume. Les désirs du Roi Soleil étant des ordres, Colbert, charge donc l’ingénieur ordinaire du roi, Claude Masse, de lever des cartes précises des côtes françaises. Masse s’intéresse évidemment au Pays de Buch et à ses alentours. Il les parcourt, juché sur son cheval, traînant une autre bête pour ses bagages et ses instruments, accompagné d’un jeune homme pour faire les alignements, de trois manœuvres pour tirer les chaînes d’arpentage et d’un valet pour rendre les menus services. Entre 1701 et 1716, il sortira de cette équipée, cinq précieuses cartes et de non moins précieux commentaires à caractère scientifique. D’où il ressort « que le long de la côte du Médoc, il n’y a rien de remarquable, pas même un arbre, que des buttes de sable qui changent souvent de figure ».
Masse arrive au Pays de Buch, dont il écrit qu’il a des habitants rustiques, insolents mais qu’il estime fort aisés. La Teste alors, dit Masse, « compte cinq cents feux, héberge de bons marchands et les maisons y sont assez jolies quoique mal rangées ». Mais au-delà des paroisses de la Petite Mer, on s’aventure sur une autre planète. Ces terres, dit Masse, sont couvertes de landes ou de bruyères sur de grandes étendues et ne sont propres qu’à faire paître chèvres, moutons, vaches à demi sauvages et petits chevaux. Il remarque que les eaux croupissent dans les parties basses et que, l’été, elles sont puantes et de mauvaise qualité, ce qui altère la santé des habitants. Ces pauvres malheureux, ajoute-t-il, « sont dignes de compassion et il n’est pas étonnant que leurs femmes et leurs enfants se cachent quand ils voient des hommes avec leurs chapeaux ».
Soixante-dix ans plus tard, en 1776, Guillaume Desbiey, entrepreneur et receveur des Fermes du Roi à La Teste, n’écrit pas autre chose dans le mémoire qu’il présente à l’Académie royale « sur la meilleure manière de tirer parti des landes de Bordeaux, quant à la culture et à la population ». Guillaume Desbiey écrit donc, à la fin du XVIIIe siècle : « ces landes sont de tristes déserts, des solitudes hideuses, des sables brûlants pendant l’été, des marais et des abîmes pendant l’hiver et un pays malsain dans toutes les saisons ». Proposant des solutions techniques pour l’assèchement des landes et leur mise en culture, Desbiey ajoute « dans l’Europe entière, il n’est point un seul pays arrosé par des canaux navigables qui soit inculte ».
Au milieu de ce désert spongieux ou poussiéreux, la Petite Mer de Buch apparaît donc comme un miracle, ainsi que la présente Charles Daney. Miracle, car on y pêche et on y chasse toute l’année, miracle parce qu’on y trouve des terres cultivables où poussent vignes et céréales, miracle parce qu’une riche forêt naturelle fournit une matière première au riche potentiel, miracle, parce que ses structures politiques tout comme sa situation géographique, lui ont toujours donné donnent une certaine indépendance face au pouvoir central. Miracle enfin parce qu’elle attire au XVIIIe siècle des hommes qui s’évertuent à la mettre en valeur : le marquis de Civrac et ses marais salants à Certes, le financier suisse Nézer à Gujan ou l’ingénieur Brémontier qui aide par son entregent à l’extension des premiers boisements.
Mais le plus extraordinaire, dans cette longue aventure humaine, c’est qu’Arcachon va naître aussi d’un miracle. Un vrai miracle, religieux celui-là. Mais c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca