Croquis du Bassin – Pêches en tous genres

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Les gens du Bassin travaillent dur pour exploiter leur petite mer et bien sûr, la grande. Parler de leur difficile labeur, c’est aussitôt chasser la nostalgie que le passé pourrait inspirer. Depuis très, très, longtemps, la pêche a permis aux « bassinaïres » de vivre, sinon, souvent, de survivre. Et ce Bassin, très poissonneux, tout comme leurs besoins, les a poussés à inventer un grand nombre de genres de pêches que, déjà, en 1727, Le Masson du Parc, l’envoyé de Louis XV, avait répertoriées. Et parmi elles, sans doute la plus étonnante : la pêche… aux canards, autrement dit le « tatch ». Sans soute le Bassin n’a-t-il pas le monopole de cette activité puisque Littré nous apprend que, dans le Calvados, les Normands utilisent un filet, qu’ils appellent « havenet », pour prendre des oiseaux, quand il fait nuit. Ce qui, cependant, ne nous dispense pas du tout de parler de notre pêche aux canards.

Elle était d’autant plus indispensable que, si le droit de chasse était interdit aux manants, le droit de pêche, fort heureusement, ne l’était pas complètement… Encore que tout dépendait de la bonne grâce ou des besoins financiers du seigneur. C’est ainsi qu’en 1584, le seigneur de Lège, Ogier de Gourgues, autorise quelques habitants des Jacquets à pratiquer cette « chasse ». En 1628, le duc d’Épernon donne ce même droit à des habitants de Lège. Moyennant, évidemment, dans les deux cas, des prestations financières et des prélèvements annuels d’une partie du gibier ramassé. Plus tard, après la Révolution la « chasse-pêche » fut permise à tout inscrit maritime qui bénéficiait d’un droit d’occupation du sol propice à cette activité.

Comment donc fonctionnait cette curieuse activité que l’on a d’ailleurs pu voir ici en action jusque vers 1960 ? On la pratiquait durant cinq mois d’hiver, à partir de la Toussaint. Il fallait, depuis une pinasse ou un bac, enfoncer dans le « crassat » de hauts pignots, atteignant les huit mètres, en les plaçant tous les dix mètres environ. Sur ces poteaux, on accrochait des séries de filets de dix mètres chacune, de façon à obtenir une ligne de cinq cents mètres de long, creusée par des poches et  renforcée tous les trente mètres par un astucieux système de barres et de filets qui consolident l’ensemble et maintiennent les poches ouvertes. Le tout était disposé dans le sens nord-sud, celui opposé au vent d’hiver dominant. Le plus délicat de l’opération consistait à régler le filet de façon à ce qu’il affleure l’eau pour que le gibier ne se glisse pas en dessous. Mais il fallait aussi que l’engin ne descende pas trop bas, afin de ne pas remplir ses poches par des herbes aquatiques portées par le courant. Après, tout est simple : durant la nuit noire, les canards qui rasent l’eau s’estourbissent dans le filet et tombent dans sa poche dont ils ne peuvent se dépêtrer. La prise est souvent si fructueuse que Le Masson du Parc écrit : « on fait ainsi une pêche fort considérable. » En 1836, même observation du capitaine Allègre qui note : « on prend une si immense quantité de canards qu’ils sont portés au marché de Bordeaux à pleines charrettes ».

Étonnamment, on a aussi pratiqué et depuis des temps très anciens, cette pêche au milieu des  dunes, dans les « lettes », leurs parties basses, inondées en hiver. De semblables filets attendaient les canards quittant la mer par temps froids pour gagner les eaux plus chaudes et plus accueillantes des lacs.

Parmi les pêches utilisant des méthodes simples et originales, on connaît aussi la « pêche au balai ». Elle ramasse beaucoup de crevettes et  consiste à immerger dans les herbiers des fagots de genêts secs, accrochés à un filin maintenu au fond. Une bouée, en surface, signale l’installation. À la marée suivante, le pêcheur remonte ses balais, les secoue dans le bateau et récupère quantités de crevettes qui, les malheureuses, avaient cru trouver la sécurité dans les bouquets de branches sèches.

Autre pêche, encore plus simpliste : le « tchique-tchaque » ou « tchic et tchac ». Les puristes choisiront. C’est une pêche loterie. Armé d’une foëne à sept aiguillons, on remonte à pied un estey au fond sableux et, un coup à droite, un coup à gauche, on tape dans le sable. Le calcul des probabilités finit par payer puisqu’il n’est pas rare que l’on empale une belle sole, parfois un congre ou même un gros « mourguin ». Cette pêche peut se faire aussi par nuit de pleine lune, le poisson se montrant moins méfiant que sous le soleil. Mais attention : ce genre d’expédition ne peut se pratiquer qu’avec un habitué des lieux, capable de se diriger dans des esteys les yeux fermés, alors que les coups de fourche soulèvent de fugaces étincelles.

À propos de nuit, sachez aussi que, sur le Bassin, on a longtemps pratiqué le « halhàs », que l’on appelle le  « lamparo » en Méditerranée. Il n’est autre que la pêche au flambeau, le dit flambeau étant une espèce de long récipient fixé à l’arrière de la pinasse et contenant du bois très fin imbibé de résine enflammée. Certes, l’appareil fume beaucoup mais il émet une lumière assez vite pour attirer le poisson. Sur la pinassotte, se tient prêt le manieur de foëne, choisi pour la rapidité de son coup d’œil. Qu’une légère lueur se manifeste dans le pâle halot, il propulse sa foëne-harpon  à deux mains sur sa proie qu’il relève, triomphant.

Enfin, il existe la forme la plus simple de pêche, celle qui se fait à pied, sans autre ustensile qu’un grattoir et qu’un panier, sur les terres découvertes où il est assez souvent prudent d’avancer en ayant chaussé des « mastouns », ces rustiques raquettes de bois, lourdes mais fort efficaces. On peut ainsi cueillir des bigorneaux gisant sur le sable ou bien, en observant la forme ou la disposition de trous dans le sol marin, on gratte pour saisir coques, fines palourdes ou « coutoyes » , coriaces « clanques » ou longs couteaux – le seul animal de la création  assez stupide pour se faire prendre avec une pincée de sel.

      Avant que n’apparaisse le système des poches, il fallait ratisser les huîtres dans les parcs et parfois même les ramasser à la main, un travail harassant pour des femmes cassées en deux, les pieds dans la vase boueuse pendant des heures. Paul Kauffmann, un journaliste-dessinateur raconte en 1892 : « Rien d’amusant et de pittoresque comme cette ligne de tirailleurs formée généralement par des femmes. La pêche commence à l’une des extrémités de la claire et cesse avec ensemble de l’autre côté, pour recommencer sur un point différent. » Il a de l’humour, le Kauffmann, qui trouve ce labeur « amusant » ! Pas de nostalgie, pas de nostalgie vous disais-je …

Jean Dubroca.

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