1502 – Alberto Cantino – Arcaxam

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Le 8 juillet 1497, Vasco de Gama quitte Lisbonne à la tête d’une flotte de quatre vaisseaux : Manuel Ier l’a chargé de nouer des relations commerciales et politiques avec le seigneur de Calicut – l’actuelle Kozhikode, sur la côte de Malabar, en Inde -, l’une des plaques tournantes du commerce des épices, et notamment du poivre, dans l’océan Indien. Très tôt, les Portugais ont conscience de l’intérêt que suscitent leurs découvertes. Pour cela, Manuel Ier prend des mesures visant à préserver l’avance du Portugal sur les autres puissances européennes : il consigne au secret tout ce qui touche à la navigation à « l’Armazem da Guiné Mina e India », l’administration royale chargée, en autres, de contrôler la production des cartes marines. Interdiction est faite aux cartographes de représenter la côte africaine au-delà de São Tomé et Príncipe (îles en face du Gabon) ; seul le chef cartographe assermenté met à jour les cartes, vérifie les documents rapportés et les distribue aux capitaines agréés par le roi. La présence dans leurs ports d’espions génois, espagnols et florentins est très vite constatée. En 1502, Alberto Cantino, espion d’Hercule Ier d’Este 1431-1505, duc de Ferrare, est envoyé à Lisbonne ; il est officiellement venu acheter des chevaux. Il est important pour lui de revenir avec des informations sur les dernières découvertes des Portugais qui risquent de menacer le monopole de l’Italie sur le marché des épices en Europe. C’est tout autre chose qu’il acquiert : Cantino prétend, grâce au concours d’un cartographe travaillant pour « l’Armazem da Guiné Mina e India », l’administration royale chargée, en autres, de contrôler la production des cartes marines, qu’il a payé le droit de copier une carte avec 12 ducats d’or, une somme considérable pour l’époque,

et qu’il l’a envoyée au duc de Ferrare le 19 novembre 1502. Ce « larcin » donne naissance à une célèbre carte, le planisphère de Cantino qui influence à son tour le travail du génois Caverio lorsqu’il dessinera sa carte en 1506.

Le Planisphère de Cantino, 1502, la plus ancienne carte de navigation portugaise connue, est un manuscrit enluminé sur parchemin 102 x 218 cm ; au dos, il y a cette inscription Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole (carte nautique des îles nouvellement trouvées dans la région de l’Inde : donnée par Alberto Cantino au seigneur duc Hercule). Dévoilant le résultat des voyages de Vasco de Gama aux Indes, de Christophe Colomb en Amérique centrale, de Gaspar Corte-Real à Terre Neuve et de Pedro Álvares Cabral au Brésil ; pour la première fois, nous trouvons la Raya[1], la ligne méridienne est tracée à 370 lieues (1 770 km) à l’ouest des îles du Cap-Vert.

C’est à tort que Terre-Neuve, visité en 1500 et 1501 par Gaspar Corte-Real et son frère Miguel, est représenté à l’est de la Raya pour être considérée terre portugaise. En aparté, le légiste bordelais E. Cleirac indique dans son livre « Us et coutumes de la mer » (1647), que cent ans avant Christophe Colomb, les Basques y chassent déjà la baleine, pratiquent la pêche à la morue ; il précise que ces marins basques auraient même découvert le grand et le petit banc des morues au large de Terre-Neuve, et effectué la reconnaissance des côtes et rivages du golfe du Saint-Laurent. Adolphe Bellet, conseiller du commerce extérieur de la France de la fin du XIXe siècle, affirme quant à lui que les marins basques auraient découvert Terre-Neuve vers 1350, sans y établir pour autant de colonie ni de comptoir commercial, mais en fréquentant régulièrement durant deux siècles les côtes de Terre-Neuve ; M. Bellet déplore cependant qu’aucune trace écrite ne permette à ce jour de confirmer son affirmation.

Le « Planisphère dit de Cantino » est resté pendant environ quatre-vingt-dix ans à la bibliothèque de Ferrare. Le pape Clément VII l’a ensuite fait transférer, en 1598, dans le château ducal de Modène où la carte y passe deux siècles et demi, avant de disparaître mystérieusement lors du soulèvement pour l’unité italienne en juin 1859. La carte est retrouvée en 1868 par le directeur de la bibliothèque Estense, Giuseppe Boni, au fond d’une… charcuterie de la ville de Modène, où il l’a achetée ; depuis, elle est conservée à la Biblioteca universitaria Estense à Modène.

Un ruban indique l’échelle des distances. On en compte six sur la carte. Le planisphère de Cantino est la plus ancienne carte existante où, incontestablement, des latitudes observées par la méthode astronomique ont été incorporées. Bien qu’aucune échelle graphique de latitudes n’y figure explicitement, la représentation de l’équateur, des tropiques et du cercle arctique permet de conclure, malgré de menues erreurs de latitude sur les côtes occidentales et orientales de l’Afrique, que ces lieux sont représentés selon la méthode du point calculé d’après les latitudes et les caps magnétiques observés. Il est également important de trouver ce qui semble être la Floride, officiellement découverte en 1513, à gauche de la carte. L’Indochine apparaît pour la première fois. L’Afrique est entièrement représentée avec plusieurs illustrations : le château portugais de São Jorge da Mina, dans l’actuel Ghana ; une montagne en forme de lion, c’est la Sierra Leone ; les montagnes de la Lune aux sources du Nil ; au nord-ouest on trouve la chaîne de l’Atlas indiquée comme « Montes Claros » ; à droite l’inscription « terre du roi de Nubie, dont le roi est constamment en guerre avec le prêtre Gianni, et est un Maure et un grand ennemi des chrétiens ».

Pour d’autres zones, comme la Méditerranée, la mer Noire et l’Europe du Nord, le vieux modèle des portulans continue à être utilisé, trait commun à tout le reste de la cartographie ibérique du XVIe siècle et au-delà. Cela s’explique par le fait que la représentation de ces zones continue longtemps à être copiée de modèles non-astronomiques.

Le « planisphère de Cantino » est l’un des plus précieux monuments de notre héritage cartographique : il est précieux à l’époque où il est dessiné, parce qu’il inclue les plus récentes informations géographiques, en un temps où la connaissance de la géographie du monde progresse rapidement et constitue un avantage stratégique ; il est précieux aujourd’hui parce qu’il projette un éclairage historique unique sur les missions d’exploration et sur l’évolution technique de la navigation marine et de la cartographie nautique à une période particulièrement intéressante, la fin du XVe et le début du XVIe siècle. Avec cette carte, la représentation ptolémaïque de l’océan Indien est enfin abandonnée, les terres inconnues des Européens sont représentées à leur emplacement géographique correct (Terre-Neuve, Floride, Brésil) et les contours des Amériques sont montrés d’une façon qui laisse penser qu’il s’agit d’un nouveau continent, nettement séparé des Indes.

Cerise sur le gâteau, nous y voyons Arcaxam !

http://expositions.bnf.fr/marine/arret/10-32.htm

http://expositions.bnf.fr/marine/pedago/caverio.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Terre-Neuve

www.cristoforocolombo.com/cristoforo-colombo/articoli-storici/planisfero-cantino-cartografo-anonimo-portoghese-del-1502-biblioteca-universitaria-estense-modena/

Lire le roman Le planisphère d’Alberto Cantino, Gérard Vindt, 1998

http://excerpts.numilog.com/books/9782862608099.pdf

[1] – La Raya, méridien divisant le monde hors d’Europe entre l’espagnol et le portugais, a été créée à la suite du traité signé à Tordesillas en Castille, le 7 juin 1494.

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Raphaël

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