Dès 1483, un routier des côtes atlantiques, illustré de profils des littoraux, est rédigé par un marin du Bas-Poitou, Pierre Garcie Ferrande.
Pierre Garcie est né en 1441, et mort après le 15 février 1503, date de son testament à Saint-Gilles-sur-Vie (actuellement Saint-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée). D’origine espagnole (ou portugaise), fuyant les persécutions envers les juifs (inquisition espagnole), son père Jean Ferrande émigre en Normandie vers 1417 et épouse une certaine Jeanne Olivier de Rouen. Les époux s’installent à Saint-Gilles-sur-Vie, où ils sont mentionnés dans les archives locales à partir de 1421. Pierre Garcie apprend son métier avec son père, mais il ne se borne pas au seul cabotage puisqu’il fait des voyages jusqu’en Palestine, sur toutes les côtes Européennes du port d’attache de Saint-Gilles. Il est fait état de sa présence, en 1463, comme membre de l’équipage de La Caravelle de Saint-Gilles-sur-Vie, armée en guerre, lors de l’interception au large de Guérande d’une flottille de cinq navires anglais : il est appelé « maître de barque » alors qu’il a 22 ans. Pierre Garcie, considéré comme le premier hydrographe français, navigue pour le commerce maritime sur les côtes océanes, plus loin encore dans la Manche, la Mer du Nord et jusqu’en Mer Baltique, où les villes hanséatiques font grand commerce de sel.
La mère de Pierre Garcie Ferrande est probablement liée à la famille de l’imprimeur de Rouen Pierre Olivier : les liens avec la Normandie demeurent puisque dix-sept éditions du routier sont imprimées à Rouen entre 1502 et 1632. Par les mentions portées dans différentes éditions du texte, nous savons qu’une première version manuscrite du routier est achevée entre 1483 et 1487, tandis que la première édition est imprimée à Rouen en 1502. Il s’agit d’un livret de 64 pages, décrivant les côtes depuis la Manche jusqu’au Portugal, avec une extension décrivant rapidement la traversée de la Méditerranée jusqu’au Proche-Orient. Une deuxième version est éditée en 1520 à Poitiers sous le titre complet « Le grant routtier et pillotage et enseignement pour encrer tant es ports, havres, que aultres lieux de la mer, fait par Pierre Garcie dit Ferrande, tant des parties de France, Bretaigne, Engleterre, Espaigne, Flandres et haultes Alemaignes, avecques les dangers des portz, havres, rivieres et chenalz des parties et regions susdites. Avec ung kalendrier et compost a la fin dudit livre tres necessaire a tous compaignons. Et les jugements d’Oleron[1] touchant du faict des navires ».
Entre 1483, quand Garcie Ferrande finit de rédiger son livre « Le grant routier de la mer« ,
et 1520, date de la première édition avec privilège accordé par le roi François 1er qui nomme l’auteur « l’un des maîtres expérimenté de navire qui soit aujourd’hui le plus coignoissant en navigaige« , Christophe Colomb a découvert l’Amérique, Vasco de Gama a doublé le cap de Bonne-Espérance, Magellan entreprend le tour du monde, et la Renaissance a succédé au Moyen-âge.
Ancêtre de nos modernes « instructions nautiques », transition essentielle entre les portulans et les cartes marines, c’est un des tout premiers, sinon le premier recueil technique indiquant les routes maritimes à suivre, les distances, les écueils, les havres et abris, pour guider les marins à bon port.
Pierre Garcie ne signale qu’Arcachon[2] le long de la côte landaise inhospitalière et dangereuse. On peut lire dans le Bulletin de la Société de géographie commerciale de Bordeaux paru le 17 février 1902 à propos de la mention faite dans le Grand routier « Et tu passeras prez de deux bancz qui sont au nort d’Arcasson » qu’il est très difficile d’identifier ces bancs, en raison des modifications du littoral landais. La mention suivante du pilote Garde (1483) en est le corollaire : « Tu iras près de deux bancs qui sont au nord d’Arcasson. » Or, si on consulte les cartes anciennes, Arcachon se trouvait au fond d’une baie, séparée de la haute mer par un groupe de trois îles disposées en triangle.
Comprenant deux-cents pages, cette version ajoute à la première de nombreux détails, compilés par le libraire, parfois dans un certain désordre, pour chaque étape de navigation, et inclut cinquante-neuf illustrations en gravure sur bois, représentant des amers, c’est-à-dire des points de repères sur la côte visibles depuis le navire. Elle comporte également d’autres textes relevant de la culture maritime du temps, que l’auteur adresse à son filleul Pierre Imbert, à qui il a appris à naviguer : un traité d’utilisation du nocturlabe[3], un comput permettant de déterminer les phases de la lune et les marées (avec des extraits rimés pour une meilleure mémorisation), et les Rôles d’Oléron, un règlement de droit maritime datant du XIIe siècle.
Pilote expérimenté, humaniste soucieux d’avertir les navigateurs des dangers, il tente même de les prémunir contre les fortunes de mer, si fréquentes à l’époque. Il accompagne aussi de croquis les points les plus marquants sur lesquels il souhaite attirer l’attention, comme c’est le cas pour la côte de Saint-Gilles, qu’il connait sur le bout des doigts, ainsi présentée « Tu iras quérir Saint-Gilles et une isle qui est devant, lequel on appelle Perrourse (pilhours, qui devrait son nom du fait qu’elle se situe pile devant la grande ourse, selon le Dr Baudouin), auprès de laquelle il y a une pointe de terre noire qui est telle que tu n’en verras point de telle depuis les Barges (au large des Sables d’Olonne) jusques en Noirmoustier. Et est icelle pointe appelée la Terre de Rié…. Sache que de Perrourse, si tu vas sur l’Ouest, tu iras quérir l’Isle Dieux, les sablières, là où l’on met l’ancre et y’a bon rade et sûr. Et de l’Isle Dieux, va au Sud-Est, tu iras quérir la barge d’Olonne. »
Enfin, associé à des instructions nautiques sur les marées et le calendrier, le texte de Garcie Ferrande fait partie d’un recueil assemblé en 1522 à la demande d’Antoine de Conflans par le clerc Jean Salmon. Cette version manuscrite du routier est presque identique à l’édition de 1502, mais avec quelques détails en moins. Il pourrait donc s’agir d’une copie du routier original de 1483-1487. Antoine de Conflans, qui fit copier le recueil, est célèbre pour avoir participé à une des expéditions de Verrazzano vers l’Amérique (1523), et a lui-même offert un traité de navigation à François Ier en 1515 ou 1516, mais sans rapport ni avec le portulan ni avec le routier de Garcie Ferrande. Par ailleurs, le libraire Enguilbert de Manerf à Poitiers reçut du roi François Ier un privilège de deux ans pour l’édition et la commercialisation exclusive du livre de Pierre Garcie Ferrande à partir de 1520. L’auteur est présenté en ces termes élogieux comme « l’ung des experimentez maistre des navires qui sont au jourduy, et le plus cognoissant en navigaige ». L’intérêt du livre pour les activités maritimes est justifié en ces termes : « Par lequel livre l’on pourra facillement congnoistre le plain et seur navigaige et evicter les paulx, rochiers, routtes, et autres inconveniens tant des parties de France Bretaigne Angleterre Espaigne Flandres que haulte Almaignes. Avec les dangiers des portz havres rivieres chenaulx des parties et régions dessusdites. Ce qui est bien necessaire savoir a tous marchans et gens de guerre qui hantent la mer ». Le livre se présente donc avant tout comme un manuel destiné aux navigateurs, et non comme un ouvrage luxueux de bibliothèque. Il connait un grand succès puisqu’il est réédité de nombreuses fois, et traduit et imprimé également en anglais sous le titre The Rutter of the Sea, dans sa version de 1520 accompagnée d’illustrations gravées donnant les profils de côtes. Le routier combine une description des côtes en français, donnant les distances, les angles d’approche et des repères visuels, et de petits croquis imprimés à partir de gravures sur bois, représentant les profils de côte et les amers. Le rôle de la description et des illustrations est expliqué dans l’édition de 1520 dans une longue introduction à la première personne du singulier, absente des versions antérieures du texte. L’auteur y explique qu’il a composé son livre : « avecques les opinions de tous les maistres expers du noble, tres subtil, habille, courtoys, azardeux, et dangereux art et mestier de la mer, tant que des pillottes de la noble ville de honnefleur, que des villes de Cant, Brest, Croisic, Sainct Gille sur Vie, Olonne, Rochelle et tout Brouage ». Les illustrations sont mentionnées dans la suite de l’introduction comme une réalisation de l’auteur lui-même, en tous cas en ce qui concerne les côtes d’Espagne, qu’il semble avoir particulièrement fréquentées : « Aussi la demonstration de l’aterrage des régions et coustes d’espaigne qui est chose tres dangereuse a ceulx qui n’y ont hante par plusieurs fois. Et pour icelle terre congnoistre, ay trasse, tire et figure par figures semblables les caps, poinctes et montaignes les plus apparoissantes et congnoissables de ladite coste d’espaigne avecques les lieues et distances desdites choses ». Les illustrations constituent une addition valorisant l’édition de 1520. Le texte du privilège royal accordé au libraire de Poitiers Enguilbert de Marnef précise que ce dernier a non seulement rassemblé les textes mais fait exécuter les coûteux bois gravés (les « histoires »).
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550106025.image
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5574404d/f4.image.r=%22routier%20de%20la%20mer%22
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k316673w.r=Gracie?rk=85837;2
http://stgil.e-monsite.com/pages/garcie-ferrande.html
[1] – En queue du texte se trouve retranscrit une version des Roolles et Jugemens d’Oleron, première trace écrite en 1266 du tout premier code maritime international, inventé sur les rives d’une province à l’époque probablement de sa sujétion aux Plantagenêt.
[2] – Le Grant routier de la mer note Arcasson, orthographié Archison dans la carte Catalane de 1375, Archisonne par Freduci d’Ancoue, Arcasone sur un portulan du XVe siècle, Arcaxon par les commentateurs de Ptolémée, etc. ; Alcassone dans le Petit Routier.
[3] – Un nocturlabe ou nocturnal – est un ancien instrument utilisé pour déterminer l’écoulement du temps en fonction de la position d’une étoile dans le ciel nocturne. Parfois appelé nocturnum Horologium, cet instrument a un fonctionnement proche du cadran solaire.
Je recherche la référence d’une publication qui traite du routier, cité dans une note incomplète à nos yeux. Il s’agirait d’un ouvrage ou article édité par « Moal, Rennes au PUR » ! Connaissez-vous ? Si tel était le cas, merci de me fournir ce complément d’information.
À vous lire avec nos remerciements anticipés