Les premières cartes marines à dates certaines sont du Génois Pietro Vesconte – encore un Génois ! – et portent les dates de 1311, 1313, 1318, etc. Elles doivent leur fortune au tracé, relativement précis, des côtes de l’Europe occidentale, que les portulans, depuis un siècle en usage dans la Méditerranée, ne portent pas encore.
Au déclin du XIIIe siècle, il se produit, dans la politique européenne, une violente secousse qui met les marins génois en contact avec les flottes du nord ; je veux parler du blocus continental de l’Angleterre sous Philippe le Bel, en 1295. C’est aux amiraux génois Marchese, Zaccaria, Grimaldi que le roi de France confie le soin d’organiser sa marine de guerre et de diriger les opérations navales contre les Anglais d’abord, contre les Flamands ensuite (c’est aussi le début des convois de Venise vers les Flandres). Pour des officiers familiers avec les cartes marines, (l’un d’eux, Grimaldi, en rafle 3 à bord d’un navire Sicilien,) lever le profil des côtes qu’ils sont chargés de défendre ou d’attaquer est une nécessité. Il est curieux de constater que les cartes de Vesconte semblent être le commentaire de leurs campagnes… Très dense et très précise aux abords de Calais, que les divisions Zaccaria en 1293 et Grimaldi en 1302 ont pris comme base d’opérations, la nomenclature est clairsemée le long du littoral ouest de la Manche et indique surtout les îlots ou amers, qu’on peut relever en cours de route d’une escadre.
La Bretagne, alors indépendante, échappe en effet au contrôle des amiraux de Philippe le Bel. Le long du littoral de l’Océan, au contraire, où croisent Marchese et Zaccaria, la toponymie reprend sa richesse d’information, il en est de même pour les côtes qui sont le théâtre des opérations navales de 1295-1304, les Flandres et l’Angleterre, de Bristol jusqu’à Berwick. Et ici, on relève un indice caractéristique que le cartographe Génois écrit en français ; il donne à la capitale de l’Angleterre son nom français, Londres, et non pas Londra, comme portent la carte Pisane et l’atlas Luxoro.
En 1313, le plus ancien atlas maritime conservé figure la Méditerranée centrale ; la côte atlantique de l’Europe prend un contour reconnaissable pour l’Espagne, Portugal,
Golfe de Gascogne, pointe d’Armorique, côte sud de la Bretagne insulaire, l’Angleterre. Les relèvements réciproques pris sur les routes principales sont à quelques degrés près de celle que nous connaissons.
L’échelle des pages individuelles de l’atlas 1313 empêche une mesure très précise sur tout réticule putatif que nous pourrions souhaiter annexer. Cependant, il peut indiquer l’intention et les erreurs possibles, telles que la côte ouest de la péninsule ibérique de la ligne 37 N à Cape Saint-Vincent, puis à la ligne 43 N de Cape Finisterre où la mesure de la distance par des unités de barre d’échelle semble être 72 unités. Cependant, si nous construisons les lignes longitudinales de Cape Saint-Vincent, 9W, à Majorque, 3E, qui s’alignent correctement sur la côte nord-est de l’Espagne, alors s’il s’agissait d’un tracé de miliaria (mille romain, soit environ 1 460 mètres), les latitudes devraient être de 90 et les longitudes de 72 miliaria. Ils ne le sont pas, et en fait, il est assez simple de penser que Petrus Vesconte a utilisé une numérotation en mille romain pour la latitude et la longitude. C’est 75/60 pour la péninsule ibérique et puis soudainement il est changé en 90/72, approximativement à la longitude 2E et de là au continent italien qui figure partiellement sur cette page de l’atlas. Cela est confirmé par le fait que la côte sud de l’Italie a été dessinée comme 250 miliaria de longueur géographique. Les distances entre le cap Santa Maria di Leuca et Ancône et Trieste sont acceptables lorsque des mesures de miliaria sont utilisées.
Ce changement de mesure provoque bien sûr une grande distorsion lorsque la mesure latitudinale passe soudainement de 75 à 90 unités et dépend donc de la ligne de base choisie, la seule ligne normale étant la latitude 36 N, cela ne peut signifier que la côte nord, celle si la France vers Gênes se déplace vers le nord et toute autre partie du graphique se déformera en conséquence. Cela entraînera le littoral nord-africain vers le nord et induira le format tordu dans le graphique, d’autant plus que la distance de la côte sud de la France à Gênes est suspecte. D’une manière générale, les caractéristiques de cet Atlas nous incite à le voir plus volontiers rangé sur les rayons d’une bibliothèque que manipulé par les navigateurs.
Vesconte et ses contemporains pourraient figurer parmi les premiers cartographes à avoir exercé leur art comme une véritable profession à plein temps. Vesconte fait la distinction entre l’atlas dont il nomme les feuilles « tables » – à l’origine fixées sur des ais[1] de bois -, et la carte isolée qu’il appelle carte, « carta ». Alors que la « Carte pisane » est orientée sur le nord magnétique, la feuille de l’atlas de Vesconte est orientée à l’est. De plus, l’échelle de ce recueil n’est pas constante. Dans le portulan de Vesconte, on voit très bien les lignes des vents avec leurs centres qui forment un polygone régulier à 16 sommets (hexadécagone) clairement centré sur le parchemin. Ces différences montrent que les atlas sont d’une plus grande flexibilité que les cartes marines. En outre, ils permettent d’introduire des éléments non cartographiques : textes cosmologiques ou astrologiques, calendriers lunaires qui servaient au calcul des marées, systèmes du monde… Vesconte nomme clairement Bayonne du nom de Baona de Gascona « Bayonne de Gascogne » pour la différencier de Baiona, un port galicien situé au sud de Vigo.
Cette connaissance des mers du Ponant vaut à Vesconte la clientèle des Vénitiens, lorsque Sanudo veut enrichir de cartes son Liber secretorum fidelium crucis et lorsque la République de Saint-Marc organise en 1317 les convois annuels de Flandre, il achève à Venise, en 1318, un atlas qui existe encore.
À partir du moment où les galéasses vénitiennes vont à Bruges et à Londres, la cartographie s’enrichit d’un nouvel élément :
la côte est de l’Irlande, figurée dans l’atlas Luxoro, qu’on date approximativement de 1325. Peut-être est-elle relevée par les marins des galères vénitiennes que les Anglais attaquent à Southampton en 1323 et qui doivent chercher ailleurs une relâche et des vivres…
https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1903_num_64_1_452326
http://hubert.michea.pagesperso-orange.fr/Pages/cartographienautique.htm
http://expositions.bnf.fr/ciel/catalan/portulan/page2.htm
http://www.gasconha.com/spip.php?article187
https://www.cartographyunchained.com/chpv1/
http://plus.lefigaro.fr/note/au-fil-du-temps1375-20130807-2410641
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550070918/f9.item
[1] – Le mot ais, du latin axis, en ancien français, désigne une planche, quel qu’en soit l’usage ; dans un atelier d’imprimerie, un ais était une planche de bois servant de support pour des usages divers.