Tradition : chaque nouveau matin des fêtes du port testerin doit commencer par le “Déjeuner aux tripes”. Mais pas n’importe lesquelles, ces tripes. Celles qu’on servait autrefois dans les Landes et les régions assimilées, lors des matins de noce ou de fête, pour les parents et les amis qui venaient de loin participer aux festivités. Il fallait bien qu’ils se requinquent après un voyage en “bros”, la charrette à deux mules, un déplacement en costume du dimanche, commencé au lever du jour, afin d’arriver en début de matinée, avant la messe. La dégustation des tripes, c’est aussi l’un des grands moments de la matinée des guetteurs de palombes qui interrompent tout pour vivre cet instant. D’ailleurs, ce renoncement momentané à la chasse en émeut plus d’un dans la tablée portuaire.
Ces tripes, dites landaises, ou tripotes, font donc partie du patrimoine. Recette : à des tripes de veau coupées en morceaux, on ajoute un bon pied de veau désossé. On fait mijoter le tout avec du vin blanc sec, un peu d’eau, de l’oignon, parfois de la chair à saucisse et de l’échalote. On lie avec du sang de veau et de l’assaisonnement aillé. Voilà donc ces tripes du petit déjeuner testerin, indispensable pour doper les bénévoles qui se sont couchés juste avant l’aube, après avoir rôti sous les tôle ondulées des cuisines improvisées.
“-Et en plus, rien que la réverbération, ça te fatigue déjà !”.
C’est qu’il fallut en servir des milliers de repas et ouvrir encore plus de d’huîtres que de bouteilles d’un entre-deux mers rafraîchi à point. Ce qui a fait dire à mon voisin, un notaire arcachonnais, venu en visite et qui avait bien chaud sous la toile de tente :
-“Au moins, on va transpirer du frais”.
En dégustant le plat royal, la tripote du petit matin, les anecdotes fusent. On se décrit les gros yeux éperdus du plaisancier planté durant toute une marée basse au beau milieu du port et qui n’osait pas débarquer de peur d’être englouti dans des vases dévoreuses de navigateurs inconnus. On se rappelle aussi certaines scènes de vieux parqueurs à la vue devenue un peu basse, quand la mésaventure de l’échouage leur arrivait aussi. Mais l’affaire alors s’agrémentait des engueulades de la femme restée sur le quai.
-“Ce grand feignant, il est plus même foutu de viser droit ! ”.
Les confidences continuent :
“- Maurice, prête-moi ta boussole, j’ai la visite de sécurité de la marine à dix heures.”
Et la boussole de Maurice navigue alors d’un bateau à l’autre, précédant à peine M. l’Attaché maritime, en son uniforme de capitaine de corvette. Et Maurice de se plaindre : “Le dernier, il me rapportait même pas ma boussole, il fallait que je coure me la chercher au bout du port !” Heureusement d’ailleurs car les jours de grand brouillard, certains reconnaissent qu’ils suivent Maurice, le seul équipé d’autre chose que de son instinct de bassinaïre.
Mais au bout de la traversée :
-“Hé bé, Maurice, t’allais pas à Bourrut ?”.
– Hé bé non, aujourd’hui j’allais à la Réousse, je te l’avais pas dit ?
– A La Réousse! T’allais à La Réousse ! Mais Diou Biban, moi j’allais pas à la Réousse, j’allais à Bourrut !”
Comme qui dirait Cazaux par rapport à La Teste. Mais comme un marin ne perd jamais la face, on remarque aussi que les terriens ne sont pas des plus dégourdis. La preuve : ces pompiers qui devaient être de Biganos, mais ce n’est pas sûr et qui ont couru toute la matinée après la lourde fumée d’une des dernières locomotives à vapeur appelée en renfort devant une panne d’électricité :
– “Un peu plus, dis-donc, les pompiers de Biganos, on se les retrouvait devant le Grand Théâtre! ”
Voilà ce que c’est qu’un casse-croûte aux tripes landaises sur le port de La Teste. C’est bien mieux que de l’or ! A demain. On parlera de train et de gare.
Jean Dubroca