La forêt, donc, constitue l’un des quatre piliers qui expliquent le développement d’Arcachon. Cette vieille forêt usagère, on la trouve, aujourd’hui encore farouchement gardée, au sud-ouest de La Teste, tout au long du cordon des grandes dunes littorales, jusqu’au lac de Cazaux. Elle lui offre un écrin de pure verdure bleutée qui, globalement, n’a pas changé depuis des siècles, la base aérienne exceptée.
La forêt où naîtra Arcachon ressemblait assez à l’actuel massif testerin. D’ailleurs, on en voit un échantillon, à droite de la voie directe et jusqu’à la voie ferrée, en arrivant à Arcachon. Le parc Pereire aussi, depuis l’allée des Ramiers, pourrait donner une idée idyllique de la forêt primitive et l’on voyait même, dans la ville d’hiver, il y a peu, un énorme pin, dont le chauvinisme aidant, on ferait une borne émouvante, jalonnant cet enracinement dans ce passé sylvestre.
Cependant, la forêt arcachonnaise, le climat moins humide aidant, était un peu différente de la forêt testerine. Pour tout dire, notre forêt était beaucoup plus aimable. On n’y trouvait pas ces fourrés impénétrables, ces halliers touffus, ces zones marécageuses et même ces vallées du loup qu’un visiteur effaré découvrait là-bas vers 1816. Des loups, des loups aux portes d’Arcachon ! La forêt arcachonnaise, elle, se composait de très solides pins. Les chênes, qui formaient autrefois une vaste chênaie, n’existaient plus en nombre au début de XIXe, que sur les hauteurs, comme sur la dune Pontac, plus difficiles d’accès. En bordure des chemins, les usagers avaient utilisé ces chênes depuis fort belle lurette, afin de construire de robustes charpentes de maisons, d’épais bordages ou de respectables carènes de bateaux. Les droits d’usage le leur permettaient.
Cependant, la Petite montagne montrait une végétation très fournie et parfois aux éclats méditerranéens. On y avançait parmi les ajoncs, les aubépines, les arbousiers luisants, les houx centenaires acérés de vert vif et les genêts ponctués d’or. Et puis, au hasard des saisons, on marchait sur des tapis de bruyère, parfois entre des haies de fougères et le long des vrilles de chèvrefeuille, enlacées autour de vieux troncs, comme les courbes d’une colonnette. Et puis, en se baissant un peu, on voyait le bleu vif des véroniques, le jaune brillant des millepertuis ou la fine dentelle des fraisiers de bois.
À l’automne, on bousculait des tapis de champignons tandis, que selon les mois, on entendait jouer les grives musiciennes, siffler le merle noir ou s’enfuir à coups de claquements d’ailes effarouchés, la bécasse mordorée. Étonnez-vous qu’une pareille forêt, qui tient du paradis terrestre, ait engendré une ville faite pour les loisirs, les jeux, l’insouciance, la parade et le plaisir. Et ce n’est pas un hasard si les vents d’ouest l’ont séparée de sa voisine testerine par un monceau de sable. Mais personne alors n’y a vu un présage, un signe du destin, un mouvement de cette fatalité qui allait, un jour, couper le destin commun des deux forêts. Mais c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca