Chronique n° 141 – La tradition se perd

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Comme elles manquent, aujourd’hui, les belles polémiques arcachonnaises ! Maintenant, même si l’on s’attaque fermement au moment des élections, les autres disputes locales se règlent à coups de pétitions démocratiques et républicaines ou de jugements du Tribunal administratif. Ce qui manque fort de pittoresque. Venons-en donc à l’une de ces dernières polémiques virulentes. Elle éclate à propos du lotissement du parc Pereire. L’affaire commence vers 1957, au moment où ses propriétaires décident de vendre les quarante et un hectares de cette magnifique forêt dunaire, quasiment sauvage et qui s’ouvre largement sur l’un des plus panoramas du Bassin. Evidemment, ce genre de produit fait saliver nombre de promoteurs ! Et non des moindres, tels des émissaires de l’empereur Bao-Daï, lequel pourrait placer dans l’affaire beaucoup d’argent, plus ou moins clairement acquis au moment de la guerre d’Indochine.

Un Arcachonnais, Michel Doussy, âgé alors de vingt-trois ans et promis à un très brillant avenir dans la profession, est l’unique journaliste de la ville pour le journal régional, plutôt radical-socialiste, “La France”, concurrent du démocrate-chrétien “Sud-Ouest”. Doussy se souvient bien de cette polémique car il devient rédacteur en chef d’Arcachon-Presse, un hebdomadaire très rapidement fondé et financé par Louis Gaume. Le créateur inspiré de Pilat-Plage, partisan, dit Michel Doussy, « d’une conception élitiste du lotissement », a des idées pour Pereire, d’autant plus qu’il y voit un gros concurrent pour ses propres opérations pilataises. Il songe donc à y proposer autre chose. De plus, il n’est pas fâché, à cause d’un contentieux ancien et de la proximité d’élections départementales et législative, de tailler des croupières à Lucien de Gracia qui y est candidat.

Un adversaire coriace, ce puissant maire d’Arcachon, député de la Gironde, après en avoir été sénateur, bien introduit dans les milieux politiques bordelais et parisiens, un habile suzerain du Bassin et qui manifeste de grandes ambitions pour sa ville. Gaume ne manque pas, lui aussi, de nombreuses relations parmi des personnalités, conquises par sa simplicité. Elles s’appellent, par exemple, Pierre Mendès-France, Jean Pierre-Bloch, Antoine Pinay, Vincent Auriol ou Maurice Baumgartner. Mais, souligne Michel Doussy, « Louis Gaume n’est pas du tout un politique ».

En face, soutenant De Gracia, se dresse “Le Journal d’Arcachon”. Son animatrice passionnée, Marie Bartette, défend bec et ongles le choix du maire : un découpage classique de Pereire en lots de tailles variées. Par contre, Louis Gaume, « qui se penche sur son prestigieux passé », dit Michel Doussy, « veut marquer Arcachon ». Il imagine alors pour Pereire, un quartier qui aurait l’ampleur moderne de Pilat, revue et corrigée à la lueur de certaines conceptions nouvelles de stations balnéaires qui commencent à s’appliquer en Méditerranée. Louis Gaume, qui a déjà des visées sur les terrains de Pereire depuis quelques années, estime que le site doit devenir un vaste parc public communal, financé par des reventes d’immeubles, la plupart en hauteur, en retrait de la côte, tandis que sous la forêt, s’étendent des chemins de promenade ou de vastes espaces de loisirs et d’où la voiture est bannie. La guerre éclate donc avec rage entre Louis Gaume et Lucien de Gracia, par journaux interposés.

En ne retenant que les termes les plus aimables, on se traite chaque semaine avec vigueur, de « gros menteurs », de « mythomane délirant, en proie à la folie des grandeurs et tombé sur la tête », de « planteurs de pins rabougris », de « bétonneurs pleins d’arrière-pensées » ou, ce qui est beaucoup plus grave, « de maire concussionnaire ». Aussitôt, ainsi visé, De Gracia intente un procès. Il le gagne. Mais certains de ses attendus, mis en première page par “Arcachon-Presse”, inquiètent certains des propres amis du maire. En avril 1955, il est cependant réélu conseiller général. Finalement, après une crise municipale qui voit, en février 1958, la démission de deux conseillers municipaux, dont Robert Fleury, ainsi que la récusation de William Giraud, gendre de Louis Gaume, les travaux de lotissement de Pereire commencent le 18 mai 1958, alors que Lucien de Gracia retrouve son siège de député, lors des élections de novembre 1958. Plus tard, il fait construire sa maison à Pereire.

Louis Gaume, toutefois, n’oublie pas son échec. En 1962, il est un des plus actifs de ceux qui appuient Franck Cazenave, le fringant et actif industriel, maire centriste de Belin-Béliet, qui pratique partout le baisemain comme personne. Il enlève à De Gracia son siège de député. L’affaire Pereire a donc laissé des traces profondes. Le site de Pereire va cependant évoluer. Lorsqu’en 1978, Robert Fleury, conseiller général depuis 1973, devient maire, il réussit à acquérir pour la commune, avec des fonds provenant principalement du Conseil général, toute la façade maritime du lotissement Pereire. Il y construit la superbe promenade que nous connaissons aujourd’hui. Ainsi, se trouve réalisée, en partie, l’idée de Louis Gaume. On peut toujours s’interroger sur l’aspect qu’aurait pris l’ouest d’Arcachon si son projet avait totalement abouti. Gaume, le visionnaire, avait-il, cette fois, entièrement vu clair ? C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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Aimé

Un commentaire

  1. DANS LA CHRONIQUE N° 141 – LA TRADITION SE PERD

    A la fin de l’article, il est dit :
    « Lorsqu’en 1978, Robert Fleury, conseiller général depuis 1973, devient maire, il réussit à acquérir pour la commune, avec des fonds provenant principalement du Conseil général, toute la façade maritime du lotissement Pereire. Il y construit la superbe promenade que nous connaissons aujourd’hui. Ainsi, se trouve réalisée, en partie, l’idée de Louis Gaume. On peut toujours s’interroger sur l’aspect qu’aurait pris l’ouest d’Arcachon si son projet avait totalement abouti. Gaume, le visionnaire, avait-il, cette fois, entièrement vu clair ? »

    Ceci est inexact car l’achat de la façade maritime a eu lieu par arrêté préfectoral du 21 avril 1975 (après décision du Conseil Municipal en décembre 1974) donc sous Lucien de Gracia et pas sous Fleury.

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