En 1923, on se demande bien si Arcachon ne va pas rebondir sur son passé de ville de cure. C’est qu’on vient d’y découvrir, dans le parc des Abatilles, une source d’eau minérale ! Guy de Pierrefeux, cité par Jacques Clémens, raconte que c’est par hasard que la découverte a eu lieu. En cette année 1923, sous la conduite de l’ingénieur Louis Le Marié, la Société des Hydrocarbures recherche du pétrole dans le secteur. L’avenir montrera qu’elle n’a pas tort de prospecter le sous-sol arcachonnais où l’on pompe aujourd’hui de l’or noir. Mais les moyens technique de l’époque étant moins puissants que ceux actuels, lorsque la sonde parvient à moins 465 mètres, il en jaillit, jusqu’à huit mètres de hauteur, un geyser d’eau, chaude à vingt-cinq degrés, au débit de 69 000 litres par heure, l’un des plus puissants de France. L’eau a franchi une couche de calcaire marneux qui la préserve des infiltrations nocives. On l’analyse.
Faiblement minéralisée, on observe aussi qu’elle est radioactive, « Comme les eaux du Mont d’Ore », commente Guy de Pierrefeux et surtout, on note qu’elle montre une pureté parfaite. Des médecins ajoutent que cette eau peut s’avérer très bonne pour nettoyer le corps de ses déchets dont elle favorise l’élimination. Ils relèvent aussi qu’elle abaisse la tension artérielle. Le docteur Boudry écrit en particulier : « C’est essentiellement une eau de lavage (…) qui décalamine le moteur humain, provoque une profonde diurèse et assure le bon fonctionnement du filtre rénal ». Devant toutes ces vertus thermales, un industriel bordelais, Gabriel Maydieu, va travailler pour organiser la distribution de cette eau inespérée. On baptise la source Sainte- Anne en se souvenant qu’Anne a longtemps été l’une des patronnes d’Arcachon, avant que le cardinal Donnet ne la détrône. On dit aussi que la famille Maydieu voue un culte particulier à cette sainte bretonne, dont elle possède une statue.
Il est donc décidé de construire, toujours sous la direction de Louis Le Marié, un puits artésien formé de quatre colonnes concentriques étanches pour éviter toute pollution à la rencontre des couches supérieures du sous-sol. On décide aussi de bâtir un véritable centre thermal autour de la source. Une jolie buvette à la charpente visible, soutenue par d’élégantes colonnes est éclairée par un arc en ciel de vitraux. L’eau dégringole par des becs qui dépassent d’un socle en mosaïque. C’est joyeux et accueillant, au milieu d’un parc boisé et fleuri. A côté, dans un style néo-basque, on construit un établissement thermal. Il comprend tout ce qu’il faut pour fortifier le corps : douches et bains chauds ou massages divers. Un peu plus loin, on peut jouer au tennis sur plusieurs courts et même pratiquer l’équitation dans un centre inclus. Des salons de thé, un restaurant et des magasins complètent un ensemble qui veut accueillir les élégances arcachonnaises.
Pourquoi l’affaire ne se développe-t-elle pas ? On est alors en pleine querelle plus ou moins feutrée opposant les partisans d’Arcachon ville de santé à ceux qui veulent en faire une station balnéaire. Le maire, Ramon Bon, plutôt partisan des premiers et critiqué pour cela, ne va pas tenter le diable ! Néanmoins, il perd les élections de 1929 mais la cure arcachonnaise ne décollera jamais vraiment. Par contre, dans les décennies précédant la seconde Guerre mondiale, la Source Sainte-Anne commercialise bien son eau à l’extérieur, en bouteilles de verre ou en bonbonnes. En 1960, les maires de Vittel et d’Arcachon patronnent la prise de contrôle de la Source thermale des Abatilles par la Société des eaux de Vittel. Cette dernière, dont le produit a des qualités voisines du nôtre, ne favorise pas la reconnaissance de la source arcachonnaise par la Sécurité sociale, ce qui arrête tout développement des cures aux Abatilles. Elles cessent définitivement en 1970, bien que, l’été, la buvette fonctionne toujours.
Mais les efforts publicitaires ne manquent pas pour faire connaître l’eau en bouteilles. Sa source est « La plus profonde de France », en 1985. Elle devient « L’eau d’Aquitaine » en 1992 ; en 1998, elle incite « A boire pur » et elle se revendique « comme la meilleure eau pour les bébés », dont la frimousse de l’un d’eux orne l’étiquette. Elle est aussi, suivant les époques, « Cristal Abatilles, l’étoile des eaux de table », ou bien : « La sauvegarde des reins ». Aujourd’hui, propriété du groupe Nestlé, elle clame « J’Abatilles », dans un néologisme audacieux. Modernisée sans cesse, l’usine d’embouteillage produit maintenant dix-sept millions de bouteilles par an, essentiellement vendues dans la région Aquitaine. Ce qui n’empêche pas d’invétérés Arcachonnais d’en boire au bout du monde … Cette source Sainte Anne, bien qu’elle n’ait pas donné le jour à une station thermale, reste vraiment une belle aventure arcachonnaise, qui n’en manque pourtant pas. Mais ce sont d’autres histoires.
À suivre…
Jean Dubroca