Le site de Pontnau à Biganos

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Pour rejoindre le village d’Argenteyres, l’ancien chemin de La-Teste à Bordeaux ne passe pas à Facture mais à proximité du pont nau (pöun nëou, pont neuf, en gascon ; lieu-dit aussi orthographié Pont-Neau, Pontnau).

D’après Jacques Ragot, ce serait un « factur », le facteur (de la poste) qui habitait près de la nouvelle gare quand la ligne Bordeaux-Arcachon a été créée qui aurait donné son nom au hameau ; or, Facture est déjà attesté sur la Carte de Cassini. Un certain Pierre Laroche, dit Facture[1], brassier, s’est marié en 1733 ; sa petite-fille, Jeanne Laroche (1782-1853), épouse Jérôme Dumora (1778-1848) en 1797. Factur, mais surtout ses descendants, comme nous le verrons, habitaient, semble-t-il le moulin de Pont-Neau.

Le Prieuré de Comprian possède 7 hectares de pins, à l’est de Facture entre le ruisseau du Lacanau et la route de Bordeaux.

Si les bosquets de chênes et de pins situés le long des cours d’eau étaient souvent des massifs naturels, nombre d’autres forêts sont issues de plantations ; il en est ainsi de la forêt du Ponneau, à Facture, semée par le marquis de Civrac vers 1768.

Au début du XIXe siècle, le maréchal Pérignon a l’usufruit de la forêt de Facture au titre de sa sénatorerie[2].

La configuration du site de Pontnau est tout à fait singulière. La route de Biganos à Mios coupe le site en deux. Elle forme barrage. Sur le côté nord du bief un étang endigué fait toujours la joie des pêcheurs à la ligne. Ce plan d’eau alimente le moulin par une canalisation souterraine qui traverse la route. Puis la forge est construite à quelque cent mètres en aval sur le canal de dérivation. En fait, moulin et forges occupent un même site. Les travaux de réaménagement de la route en 2002 permettent de sauvegarder quelques vestiges des anciens bâtiments de la forge.

Au XVIIIe siècle, l’affaissement des terrains de La Mothe se poursuit, ce qui provoque la disparition du village ; l’ancienne route de Bordeaux à La Teste – “ la levade des Romains ” – disparaît sous le flot des débordements de l’Eyre. Un chemin de substitution est aménagé ; il contourne Biganos et passe tout près de Pontnau. Il disparaît depuis la restauration de la route de La Teste au XIXe siècle. Tout l’ancien site en aval de Pontnau est actuellement perdu sous les broussailles et une végétation impénétrable.

Tous les terrains voisins de ce cours aval du Lacanau sont inondables, ce sont des marécages, des prairies d’été, des taillis parfois. Afin d’améliorer le rendement des chutes qui alimentent les installations, il est décidé de rehausser le niveau des digues qui longent ruisseau et dérivation. En conséquence, le niveau moyen de ces cours d’eau est relevé et les inondations aggravées dans tous les terrains voisins. La gestion du moulin puis de la forge a été, au cours des années 1850/1870, à l’origine d’innombrables conflits de voisinage avec les autres propriétaires riverains, entre Pontnau et Arnère.

Sauf l’exception d’Arnère et Pontnau qui sont propriétés seigneuriales avant la Révolution, les moulins de Lacanau sont propriétés privées. Ils sont un témoignage de fortune, de notoriété, de prestige. Leur entretien est onéreux ; ils sont d’un rapport médiocre car ils sont intermittents et coûtent cher.

L’ouverture du chemin de fer Bordeaux-La Teste, l’assainissement de la lande, la création de routes carrossables, la disparition des terres en culture au profit de la forêt de pins sont les causes principales de la disparition des moulins, ceux du Lacanau et de tous les autres de la région ; vers 1930, tous les moulins du Lacanau ont disparu.

Précisons, afin de clarifier l’exposé qui suit, quels sont, avant la Révolution, les trois personnages qui sont concernés par la gestion des moulins en général et celui de Pontnau, en particulier :

– Le propriétaire, celui qui a construit le moulin ou l’a acheté ; il en tire quelques profits et peut en disposer.

– Le meunier du moulin : celui qui a la compétence pour assurer l’exploitation ; il prend les frais en charge (sauf parfois les très grosses réparations) ; c’est un fermier, un locataire qui paye un fermage au propriétaire.

– Le seigneur foncier qui perçoit du propriétaire une rente foncière annuelle et perpétuelle et diverses charges financières comme tous les tenanciers.

À Pontnau, le seigneur foncier est celui de la Terre de Certes (Biganos, La Mothe, Mios, Le Teich). Pour la période qui nous intéresse ici – la seule pour laquelle on peut trouver quelques textes –, ces seigneurs fonciers sont les familles Lorraine-Mayenne, puis les Durfort-Civrac.

À la Révolution, les rentes foncières deviennent impôt foncier en faveur des communes.

Au temps de la Duchesse de Mayenne, c’est le début de l’histoire de Pontnau.

Le 2 décembre 1593, la Dame de Certes[3] consent à Pierre Damanieu, le capitaine de son château de Certes  depuis quatre ans, une baillette[4] à fief du moulin de Pontnau[5], baillette étendue à Pierre Laville, notaire à Biganos, cinq ans plus tard.

Ce texte a disparu des minutes de Me Pierre Laville, notaire de Bordeaux, mais lors de l’échange qui a lieu en 1851 dans la famille Dumora, il est remis à Jean Dumora. Il est encore cité lors de l’adjudication de Pontnau en 1857.

En 1594, Pierre Baleste, procureur d’office de Certes, et gendre de Pierre Damanieu depuis 1584, est propriétaire d’Arnère dont, semble-t-il, il a hérité de son oncle Pierre Villetorte, ancien capitaine de Certes. Le 28 mars 1594, Pierre Baleste vend ce moulin à deux personnages :

– Jean de Castétja, “ noble homme, escuyer, Seigneur de Ruat, de Lafitte [Tagon], Artiguemale ”

– et Jean Castaing dit Le Broy, habitant de Balanos.

La vente est consentie pour le prix de 475 ducats dont 150 seulement payés comptant. La rente foncière due au seigneur de Certes est de dix boisseaux de froment1.

En 1598, il apparaît que les nouveaux propriétaires sont en difficultés pour tenir leurs engagements financiers, tant pour Arnère que pour Pontnau. Ce qui, faute d’explication, nous paraît étonnant car le Broy est loin d’être insolvable. Ce qui va se passer n’est peut-être qu’une manœuvre, ainsi qu’on va le voir.

Jean Darnal, l’Intendant de la Duchesse, les assigne à la Chambre des Requêtes du Palais du Parlement pour faire vendre le moulin d’Arnère et faire jouer le droit seigneurial de prélation qui lui permet de récupérer un bien privé à l’occasion d’une cession, puis de le concéder à de nouveaux titulaires d’un bail à fief. Le capitaine Pierre Damanieu, associé à son ami Pierre Laville, notaire de Biganos, proposent de se substituer à Ruat et Castaing, et offrent de payer à la Duchesse les droits qui restent dus ainsi que les 595 livres. Ils reconnaissaient aussi les dix boisseaux de blé de rente perpétuelle payable au château de Certes chaque fête de Toussaint. En plus, Darnal confirme la baillette du moulin de Pontnau, lui aussi chargé d’une rente annuelle. Cette nouvelle baillette est passée à Bordeaux, dans la maison Darnal2.

La charge des rentes seigneuriales étant pesante, la rentabilité du moulin d’Arnère s’avère médiocre. Pierre Damanieu et Peyronne Baleste, la veuve de Pierre Laville, mettent à profit la confiance dont ils jouissent auprès de Darnal et des Mayenne pour solliciter une modération de la rente de dix boisseaux de blé. Darnal se rend à Paris plaider la cause de Damanieu. Le 25 juin 1608, le duc et la duchesse de Mayenne consentent à réduire la rente de dix boisseaux à cinq écus et cinq chapons de rente annuelle3, moyennant 300 livres qui payées comptant par Darnal pour le compte de ses mandants. S’agissant d’une sorte d’avenant à un bail à fief, il remet aussi, selon l’usage, une once d’ambre gris. Cet acte est confirmé à Bordeaux par Pierre Damanieu le 25 août 16084. Cette faveur sert peu : dans le cours de ce XVIIe siècle, le moulin d’Arnère cesse ses activités.

Pendant une longue période de plus d’un siècle, aucun fait marquant n’est connu de l’histoire de Pontnau et Arnère. Toutefois les descendants de Pierre Damanieu et de Pierre Laville restent fidèlement associés dans la propriété indivise des moulins. Voici ces descendances :

Pour les Damanieu : Pierre Damanieu, capitaine de Certes ; son fils unique, Pierre Damanieu de Ruat ; son fils aîné, Jean Damanieu de Ruat ; Jean-Baptiste Amanieu de Ruat, conseiller au Parlement, captal de Buch.

En ligne directe des Laville sont Pierre Laville, notaire de Biganos ; Gaillard Laville, également notaire à Biganos ; Jean Laville, baron d’Arès ; Pierre Laville, second baron d’Arès (décédé en 1697) ; Jean-Baptiste Laville dit “ le Baron d’Arès ”, qui liquide les héritages de Biganos.

Malgré l’attachement des deux familles à leurs patrimoines de Pontnau et Arnère, une liquidation partielle intervient au début de l’année 1712 : la propriété indivise des moulins passe de deux à trois associés. Ruat et le Baron d’Arès conservent un tiers chacun et un troisième partenaire, Étienne Lafitte, ancien meunier, détient le troisième tiers. Beaucoup plus près des réalités locales, ce dernier loue le moulin de Pontnau le 29 janvier 1712 à deux meuniers de Biganos : François Matta et Bernard Latestère, pour cinq années et le prix de 63 boisseaux de seigle, dont 21 livrés au château de Ruat, 21 à la maison noble de Gaillardon à Biganos5.

Un peu plus tard, le baron d’Arès vend son tiers à Jean-Baptiste Amanieu de Ruat pour le prix de 1 500 livres, par acte passé devant Me Barberon le 24 septembre 1712.

Étienne Lafitte décédé, son tiers est partagé entre ses deux filles. Le 26 octobre 1716, Jeanne Lafitte de Biganos vend son 1/6e à Ruat pour le prix de 750 livres. Faut-il noter qu’il n’est plus question du moulin d’Arnère disparu depuis longtemps.

Henriette de Durfort-Civrac, comtesse de Bellisle et propriétaire de la Terre et Seigneurie de Certes, et Jean-Baptiste Amanieu de Ruat, Baron d’Audenge, captal de Buch et membre du Parlement de Bordeaux, entretiennent de mauvais rapports. La cause principale des animosités entre ces personnages est d’abord l’imbrication des patrimoines des deux familles, mais surtout personne n’a oublié le bombardement du Château des Civrac à Certes, lors de la liquidation des troubles de la Fronde, par le Capitaine de Buch Pierre Damanieu de Ruat, qui devait être… assassiné par le fils du Marquis de Civrac. La dame de Certes, seigneur foncier de Biganos, Mios, La Mothe, Le Teich, perçoit ainsi des rentes ou redevances foncières sur les moulins de Pontnau, Arnère et beaucoup d’autres biens fonciers appartenant au Captal et situés dans sa seigneurie.

Henriette de Durfort-Civrac, issue d’une illustre famille, épouse du petit-fils du célèbre Nicolas Fouquet, considère de très haut son voisin Ruat, de fraîche noblesse et issu du milieu des modestes marchands de bœufs du Teich (Jean Castaing le Broy) et d’Audenge, enrichis dans le négoce. Enfin, la dame de Certes, d’un tempérament difficile, vit séparée de son époux qu’elle ignore dans son testament ; elle est procédurière au plus haut point et déploie tous ses talents quelques années plus tard à ce sujet. Sa première procédure contre Ruat se déroule au Parlement de Bordeaux de 1720 à 1722. La dame de Certes apprenant que Ruat lui doit 29 années des “ prétendus arrérages de rentes sur les moulins de Pontnau et Arnère ”, elle l’assigne devant la Chambre des Requêtes du Parlement. Un jugement est rendu le 10 septembre 1721 ; il y a appel et Ruat est lourdement condamné le 2 septembre 1722 : il doit payer les 29 années de rentes sur les deux moulins, bien qu’Arnère soit hors service, soit 15 livres et deux chapons par année et pour chaque moulin. Il est aussi condamné à « rétablir le moulin d’Arnère ».

Ce procès n’assagit pas les adversaires Civrac et Ruat ; bien au contraire. La dame de Certes est saisie d’une véritable frénésie procédurière. Sous tous les prétextes, elle ouvre une quinzaine de procédures devant les Parlements de Bordeaux ou de Paris. Après son décès, son oncle et héritier, le marquis Eymeri de Durfort-Civrac et Jean-Baptiste Amanieu de Ruat qui ont pris âge et sagesse décident de mettre un terme à tous leurs désaccords. Une transaction historique est signée à Bordeaux, chez le notaire Lacoste, le 30 décembre 1732. Entre autres décisions, il est convenu de regrouper les fiefs et domaines dispersés jusque là en deux ensembles séparés par l’Eyre. En conséquence, Civrac abandonne toute la paroisse du Teich et partie de La Mothe jusqu’à l’Eyre. Ruat transfère à Civrac toute la Baronnie d’Audenge, Tagon et le domaine familial de “ La Ruscade ”, dans le village de Certes et “ le moulin de Pontnau ”. Toutefois, Ruat conserve les métairies et terres de Caudos et Balanos et le bois de Lescarret, tous dans Mios. À la réflexion, in extremis, on rajoute un nouveau paragraphe au contrat qui maintient Pontnau dans le patrimoine de Ruat, contrairement à ce qui est écrit dans un paragraphe précédent. Beaucoup plus singulier et révélateur de la bonne volonté réciproque, est le problème de la Ruscade ; Ruat ne peut céder “ La Ruscade ” qui n’est pas à lui mais à ses cousins Portepain de Lasalle du Ciron. Étourderie, tentative d’abus de droit ? Peut-être, mais l’accord global suppose une équivalence des valeurs entre les biens échangés. On ne remit plus en question ni “ La Ruscade ”, ni Pontnau. Comme prévu, les échangistes désignent deux experts chargés de délimiter et borner les nouveaux héritages. Ils passent sur place tout le mois de juin 1744. Arrivés à Pontnau, ils rencontrent une difficulté majeure : quels sont les terrains dépendants du moulin ? On en discute plusieurs jours ; on parle de bornes, on ne les connait pas. Le fermier du moulin affirme qu’il a toujours utilisé les terrains voisins pour ses pâturages et coupé le bois dans les taillis. On ne conclut rien, tout au moins à ce moment. Malgré ces incertitudes, le moulin de Pontnau demeure dans le patrimoine de la famille Amanieu de Ruat, mais toujours dans la mouvance des seigneurs de Certes.

[1] – Geneanet, site de Paul René Rablade.

[2]Tableaux pittoresques de La-Teste, des Landes et des environs du B. d’Arcachon …, par de B…, habitant des Landes, 1832.

Dominique-Catherine, marquis de Pérignon, sénateur titulaire de la sénatorerie de Bordeaux (pourvu le 28 septembre 1803 avec un revenu annuel de 25 000 francs), pair et maréchal de France, est né à Grenade (arrondissement de Toulouse) le 31 mai 1754.

Par le sénatus-consulte du 22 nivôse an 11, il a été créé une sénatorerie par arrondissement de tribunal d’appel. Chaque sénatorerie est dotée d’une maison et d’un revenu annuel, en domaines nationaux, de 20 à 25 000 francs. Les sénatoreries sont possédées à vie ; les sénateurs qui en sont pourvus, sont tenus d’y résider au moins trois mois chaque année. Les sénatoreries sont de grandes propriétés distribuées par Napoléon Bonaparte aux sénateurs en échange implicite de leur docilité vis-à-vis de son régime.

[3] – La Dame de Certes est alors Henriette de Savoye, épouse de Charles de Lorraine, duc de Mayenne.

[4] – Ce texte a disparu des minutes de Me Pierre Laville, notaire de Bordeaux, mais, lors de l’échange qui eut lieu en 1851 dans la famille Dumora, il fut remis à Jean Dumora. Il est encore cité lors de l’adjudication de Pontnau en 1857.

[5] – Biganos possède 8 moulins à eau :

– la Moulasse ou Pas-de-l’Âne, au Quartier Bas, réaménagé vers 1860 ;

– Troings (ou Trouïngns) ;

– Cassadotte, qui fut construit en 1803, et agrandi, en 1834, par la construction d’un magasin industriel appelé également chambre d’avoine, et d’un logement patronal. En 1842, on note 3 paires de meules. En 1932, le moulin est équipé de deux turbines hydrauliques qui remplacent les roues horizontales, toutefois conservées, comme les deux paires de meules ; l’atelier est surélevé, et une bluterie installée ; le magasin industriel est agrandi. Propriété de la famille Daunesse, le moulin cesse son activité en 1972 : à cette époque, il ne servait déjà plus qu’au broyage du grain pour les bêtes. Racheté par MM. Carré et Ricaud qui se lancent dans l’élevage de la truite, et se tournent rapidement dans la reproduction de l’esturgeon et la production de caviar ;

– Le Phis ;

– Pont-Neau ;

– Arnère ;

– Poulic tout près d’Arnère ;

– Tagon, sur le Tagon.

Pont-Neau et Arnère sont sur des dérivations qui alimentent le ruisseau de l’Eyga.

Les statistiques de la Gironde (1874) donnent comme meuniers : Courhin (probablement Courbin), au moulin du Fils ; J. Espagnet, aux moulins de Cassadotte et Trounges ; Favreau, au moulin de Tagon ; Nebout au moulin de Nebout ; Saboua, au moulin de la Moulasse.

Statistique générale, topographique, scientifique, administrative, industrielle, commerciale, agricole, historique, archéologique et biographique du département de la Gironde, Édouard Féret, 1874.

Ce champ est nécessaire.

Raphaël

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