On se doutait bien que tout cela finirait dans le sang ! Voici pourquoi. « C’est votre femme qui vous entretient ! » : voilà le genre d’amabilité que Pierre Dignac décoche à son adversaire, James Veyrier-Montagnères, lors d’une réunion publique à Arcachon, le 25 juillet 1904. Ils sont tous deux candidats aux élections cantonales. Aussitôt, Veyrier-Montagnères saute à la gorge du fringant maire de La Teste. La salle hurle. La foule arcachonnaise grimpe sur la tribune pour protéger son premier magistrat. On appelle la police qui doit entourer la sortie de Pierre Dignac. Presque une fuite, sous les quolibets et les injures, nourris de la rivalité des deux hommes. Elle s’est déjà exprimée dans une affiche que Dignac juge diffamatoire. Le 23 juillet, il a envoyé ses témoins à M. Veyrier-Montagnères. Le 27, son collègue arcachonnais n’a pas encore répondu et Dignac persifle : « M. Veyrier-Montagnères se dérobe devant les électeurs. Il se dérobe devant une épée. Il est jugé ! ». Les électeurs testerins, en tous cas, aux élections du 31, ne lui accordent que 44 voix contre 1 434 à Dignac. Ce dernier devient largement conseiller général, avec un total de 2 714 voix. Malgré ses 1327 voix arcachonnaises, Veyrier-Montagnères n’obtient que 1881 suffrages et abandonne son siège.
Le lendemain, le dimanche, Dignac, désireux d’effacer son avanie du 25, vient à Arcachon fêter sa victoire chez son ami Busquet. Sa présence est vite connue et considérée comme une véritable provocation. Après le déjeuner, Dignac parade dans le boulevard de la Plage. Les supporters de Veyrier-Montagnères se lancent aux trousses du Testerin honni. Il se réfugie dans une salle du café Répetto. La foule vengeresse assiège l’établissement dont le cadre arabo-arcachonnais-andalou n’a jamais vu pareille émeute.
À La Teste, le tocsin sonne. Les habitants s’arment de gourdins, de fourches et de foënes et, depuis le port, courent vers la ville rivale. À Arcachon, l’adjoint Fages, accouru sur le front, calme les assiégeants, fait sortir Dignac, l’embarque rapidement dans une voiture et le protège du mieux qu’il le peut. En chemin, ils croisent la cohorte testerine. Dignac se montre, apaise ses troupes et tout le monde rentre au bercail, certains regrettant de ne pouvoir en découdre sur le boulevard de la Plage, pour effacer bien des années d’humiliations diverses. Mais on ne peut en rester là.
Le 11 mars, Dignac et Veyrier-Montagnères s’affrontent au pistolet sur un pré bordelais. Au commandement, seul l’Arcachonnais tire, blessant légèrement Dignac en haut de la cuisse. D’après sa fille, « Dignac, excellent tireur, a épargné la vie du maire d’Arcachon ». Lequel ne perd pas de temps pour convoquer son conseil qui vote un texte constatant « Le réveil brutal de la jalousie testerine contre Arcachon, troisième ville du département (…) dont les intérêts n’ont rien de commun avec ceux des autres villes du canton dont elle paye les deux tiers de l’impôt total ».
La solution est vite trouvée : « Il faut demander la constitution d’Arcachon en canton séparé de La Teste ». On consulte les élus. La Teste et Gujan votent contre mais Le Teich accepte. On peut se demander pourquoi. Au Conseil général, Pierre Dignac démontre qu’il a toujours défendu les intérêts d’Arcachon depuis deux ans mais il se rallie à l’avis de la commission. Si bien que, au bout de la chaîne démocratique, le président Fallières décrète qu’Arcachon devient canton distinct de La Teste, le 14 avril 1906. Une année 1906 encore fort troublée à Arcachon. D’abord parce que, le 21 septembre, le Grand Hôtel brûle de haut en bas, faute de pression d’eau. Ensuite, parce qu’une compagnie d’infanterie, vingt-cinq gendarmes à pied et autant à cheval, est massée dans la ville, le 19 février.
Il s’agit d’effectuer les inventaires religieux, indispensables à la séparation de l’Église et de l’État. La semaine précédente des fidèles ont bruyamment résisté à l’opération dans Notre-Dame et en ont chassé les autorités. Cette fois, le grand concours de force ne trouve face à lui que le curé Metreau, futur évêque, entouré de cent paroissiens. Tous protestent contre l’opération qui, cependant s’achève sans heurts, bien que deux résistants soient condamnés à huit jours de prison pour avoir crié aux policiers « A bas les voleurs ! ». Une rude période, que ces années-là ! Mais on a échappé au pire. Car si Dignac avait tué Veyrier-Montagnéres, il aurait privé Arcachon de l’un de ses meilleurs maires. C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca