Les plus curieux voyages du XIVe siècle seraient assurément ceux des frères Zeni, Antonio et Niccolò, s’il était vrai que ces deux Vénitiens eussent découvert ou retrouvé, après les Scandinaves du Xe siècle, l’Amérique septentrionale. Or, MM. Foscarini et Formaleoni, auteurs vénitiens, et plusieurs savants danois, y compris Malte-Brun, tiennent pour avéré qu’en 1380, Niccolò Zeno, ayant équipé à ses frais un navire, faisant voile vers l’Angleterre, est jeté par une tempête sur les côtes de l’île de Frisland. Quelle est cette île ? C’est le Groénland pour les uns, l’archipel de Féroë selon d’autres. Quel que soit ce lieu, Niccolò Zeno y reçoit un accueil extrêmement favorable dont il informe par lettre son frère Antonio. Celui-ci s’embarque incontinent, rejoint Niccolò, et, après des navigations nouvelles, ils s’établissent dans l’Estotiland, où ils meurent l’un et l’autre ; or, l’Estotiland, c’est le Windland que les Norvégiens ont abordé jadis ; c’est la terre de Labrador ou bien c’est l’île de Terre-Neuve ; c’est enfin le nouveau monde. Il est vrai qu’aucun auteur du XIVe siècle ni du XVe ne fait mention de ces voyages ; il est vrai aussi qu’au commencement du XVIe, quand les découvertes de Colomb et de ses successeurs occupent tous les esprits, personne ne s’avise de parler des frères Zeni, de publier leurs relations et leurs cartes. Personne ne sait leur nom, n’a entendu parler de leur établissement dans l’Estotiland. Mais, en 1558, plus de 150 ans après leur mort, un de leurs descendants, Niccolò Zeno, dit le jeune, et distingué par ce prénom, celui de 1380, fait imprimer un récit des voyages de Niccolò l’ancien et d’Antonio, avec quelques passages des lettres qu’Antonio adresse périodiquement à un troisième frère, Carlo. Car il y a apparemment, de 1380 à 1390, de fréquentes occasions d’écrire de l’Estotiland à Venise, et l’on ne manque d’aucun moyen d’entretenir une correspondance régulière de l’un de ces pays à l’autre. Malheureusement, Niccolò le jeune s’étant amusé dans son enfance, ainsi qu’il nous le confesse lui-même, à jeter dans le feu et cette correspondance et le livre où Antonio raconte fort au long ses navigations et ses aventures, on ne put arracher aux cendres que peu de fragments de ces précieux papiers. Ce fut un très grand dommage, et voilà pourquoi nous sommes privés d’une histoire détaillée de cette mémorable découverte. Mais enfin avec les fragments des lettres d’Antonio, avec les fragments d’une carte vieille et pourrie (vecchia e marcia), à l’aide aussi des traditions, des souvenirs conservés dans la famille, Niccolò le jeune publie en 1558 une relation à laquelle on nous assure que nous devons une pleine et entière confiance. Nous y apprenons que Kichmni, roi de l’Engroneland ou Groênland, converse en latin avec les Vénitiens, et qu’il y a dans ce pays un couvent de dominicains, ordre établi au XIIIe siècle, plus de 200 ans après l’expédition des Scandinaves, et à une époque où les communications avec le Grotinland sont interrompues. Nous apprenons encore que ces religieux font cuire leur pain au moyen d’une eau chaude qui passe par leur cuisine. Nous apprenons aussi qu’il se trouve beaucoup de livres latins dans la bibliothèque du roi d’Estotiland ; et voilà, messieurs, comment il nous est démontré que l’Amérique fut découverte au XIVe siècle par des Vénitiens, tout comme elle l’avait été dès le Xe ou le XIe par des Scandinaves, comme elle l’a été encore, soit un peu plus tard, soit un peu auparavant, par des Arabes. De plus, on conjecture que Christophe Colomb eut vent de ces voyages, surtout de celui des frères Zeni ; et en faisant cette remarque, on a soin d’ajouter qu’on ne dit pas cela pour rabaisser en aucune manière la gloire de ce grand homme ; ni pour la relever ! Vous jugerez, messieurs du degré de confiance que peut mériter la relation publiée en 1558 par Niccolò Zeno le jeune ; mais en vérité, si de pareilles productions suffisent pour établir dans l’histoire des faits antérieurs de deux siècles à celui où elles paraissent, des faits dont aucune trace n’a été aperçue durant près de deux cents ans, des faits aussi importants que la découverte d’un nouvel hémisphère du globe terrestre, il est, je crois, inutile de chercher des règles de critique historique ; et il faut laisser les annales du monde se composer à l’aventure de traditions publiques ou privées, vulgaires ou domestiques, d’hypothèses hardies ou puériles, d’impostures ingénieuses ou mal concertées.
Niccolò Zeno (1515-1565), homme politique, membre du Conseil des Dix, historien, descendant des navigateurs (en 1390) Niccolò et Antono Zeno, en publie donc les œuvres pour la première fois en 1558. C’est à cette relation que Cervantès a sans doute emprunté, en particulier, son évocation du monastère de Saint-Thomas au Groenland dans « Los trabajos de Persiles y Sigismunda, historia setentrional »
Son Atlas nautique manuscrit en 7 cartes, en double page sur vélin, qui sont à l’origine collées recto contre verso, mais aujourd’hui détachées et en médiocre état de conservation. La mappemonde en deux hémisphères, où tous les continents sont représentés unis ensembles ; au nord un pont continental relie « tera de lavoratore, Grolanda, Norvégia, Suecia et Gocia. Le long des côtes de l’Asie méridionale on remarque la péninsule indienne (India) suivie à l’est par une péninsule sans nom, au sud de laquelle on voit les îles de « sumatra » et de « Bor[…] » avec la légende : « y taprobana a moderni sumatra con sue isole 1378 ». Au sud, les îles « sumatra, iava minor » et « Gillolo ». À l’est, l’Asie est soudée à l’Amérique du Nord. L’Amérique méridionale est représentée étroite et allongée et s’arrête au sud avec la « Terra de Fuogo » et « Sterto de magaglianes » qui la sépare d’une petite terre australe.
Archixian
Le système de construction des six cartes nautiques se base sur une rose des vents centrale et seize roses périphériques. Les cartes 3 à 7 étalent une rose monumentale à 32 rhumbs. Dans toutes les cartes, le planisphère excepté, le long des quatre côtés sont placées les échelles de latitude et de longitude. À droite, au-delà de l’échelle de la latitude, toute la marge est occupée par l’échelle graphique de réduction.
Les huit vents principaux sont marqués par des symboles ou par leurs initiales respectives : une fleur de lis pour « Settentrione », G pour « Greco », une croix pour « Levante », S pour « Scirocco »…
La « fausse carte » des frères Zeno fut considérée comme digne de foi pendant longtemps et elle fut utilisée par des grands cartographes comme Ortelius pour la composition de la planche de l’Atlantique septentrional du « Theatrum Orbis Terrarum » de 1570 et par Mercator pour son planisphère »…ad usum navigantium… » de 1569.
Cours d’études historiques, Pierre-Claude-François Daunou, 1842
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40773206g
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550026159/f10.item