Petite causerie vespérale grognonne et peu propice à l’alacrité
Parmi les commentaires de publications relatives au Bassin (même dans notre groupe !), mais aussi dans la « presse » numérique, il est souvent utilisé des expressions exaspérantes et aussi usées que la corde formant ce qui reste de la semelle de mes espadrilles de l’an dernier.
Il y a tout d’abord le fameux « coin de paradis », voire le « petit coin de paradis » — si besoins… on ne connait pas la taille de la commission réservée à ce petit coin, mais la chose sera assurément propice à gâter l’endroit. Cette formulation suppose que le paradis possèderait des coins, qu’il soit conséquemment, cubique, pyramidal, voire dodécaédrique ou de tout autres formes qu’aiment prendre les polyèdres. Bref, qu’il soit doté de suffisamment de faces et d’arêtes pour accueillir des coins en son sein. On cherchera en vain dans les Saintes Ecritures une telle description géométriquement angulaire du paradis.
On notera par ailleurs que l’expression revient même pour évoquer des secteurs du Bassin n’ayant rien de cunéiforme — seul le Cap Ferret pourrait à la limite prétendre à ce qualificatif.
Il faut également tout de même rappeler que la notion de paradis est attachée au séjour des âmes après la mort. Couac (pardon quoique) intrinsèquement macrobite, l’Arcachonnais n’est cependant pas pressé de passer de l’autre côté du Styx. Afin d’avoir une vision de la vie après la mort, il suffira de se rendre dans le fond de la Petite mer de Buch — je ne fais pas là allusion à la faiblesse de l’activité des communes concernées (ni à l’allure de leurs habitants), mais à l’état catastrophique de l’estran à cet endroit où toute vie a disparu.
J’ose espérer avoir convaincu de la vacuité de cette tournure qui pourra être heureusement remplacé, et avec enthousiasme, par « un paradis sur Terre » pour uniquement désigner ce qu’était la vie d’ici un demi-siècle auparavant.
Puis, en seconde position on trouve parfois la formule horripilante « que du bonheur ! ». Comme si on pouvait être heureux tout le temps, souriant comme un bienheureux et baignant dans la béatitude la plus accomplie ad vitam æternam ! Parce qu’on habite « sur » le Bassin. Mais non ! La vie ce n’est pas cela. Il suffit de se choper un lumbago, d’aller voir cahin-caha et clopin-clopant son ostéopathe, de ressortir en pétant le feu pour constater que quelquefois le bonheur, c’est aussi simplement la fin de la douleur, une journée sans torture pour certains prisonniers politiques, un soir d’élections aux résultats inattendus, ou se débarrasser de l’épine qui encombrait son échine pour Bucéphale (le cheval si méchant d’Alexandre le Grand).
Résumons-nous, le bonheur n’existe que péniblement lorsqu’il ne succède pas au malheur ou au trantran. En revanche, « que du bonheur », c’est par exemple se lever de bonne heure et aller aux champignons ou bien encore prendre le large sur son bateau. Et plein d’autres choses. Mais la formule ne peut s’appliquer au Bassin d’Arcachon qui compte bien des malheurs, ne serait-ce que la perte irrémédiable de ce qu’il fut (culture et traditions, paysages, biodiversité, activités diverses et variées, toutes choses hélas disparues).
Enfin, je relèverai l’expression « c’est mon bureau » employée régulièrement par des professionnels de la mer pour qualifier leur environnement de travail. La formule fut plaisante à ses débuts. Elle est désormais devenue insupportable. L’open space en question est évidemment sans commune mesure avec ce qui est désormais le sort funeste d’une majorité de nos concitoyens, la vie de bureau. Je préférais que l’on dise « voilà mon établi » ou « c’est mon atelier » ou encore « voici mes champs ». Mais je ne suis qu’un vieux birbe attaché inconsidérément aux activités millénaires de notre territoire.
Thierry PERREAUD