Septembre – Suite

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Petite causerie vespérale de septembre (suite)

Je vantais, pas plus tard qu’hier, les vertus du mois de septembre à Arcachon. Une seule chronique ne suffisant pas à les exprimer, je remets mon ouvrage sur le métier.

Disons tout d’abord quelques mots concernant le nom « septembre », c.-à-d. le septième mois de l’année… qui est aussi le neuvième du calendrier*. Il faut dire que « September » nous vient directement du calendrier romain instauré vers 450 av. J.-C., auquel Jules César mit fin en 45 avant le même. A cette époque l’année débutait en mars (Martius) et se terminait en février (Februarius).

On voit par-là que l’Homme est suffisamment conservateur pour s’affranchir de la logique et continuer à nommer septième (dans toutes les langues latines) un mois qui est en réalité le neuvième, deux mille ans après la réforme julienne. Ceux qui se sont obstinés des années durant à vouloir convertir les euros en francs, voire en anciens francs, bien qu’ils soient de petits joueurs devant cette pérennité du calendrier romain, possèdent cette caractéristique intrinsèque du genre humain : une sainte horreur du changement. C’est dire les mérites, ou tout au moins la témérité, des progressistes.

Cette ancienne relativité du temps rejoint des préoccupations actuelles puisque septembre est désormais le mois des vendanges dans notre région — c’était, lorsque j’étais enfant, celui de leur préparation, celles-ci débutant alors en octobre. C’est aussi le moment où l’on pêche ici les « vendangeurs », ces petits rougets barbets au goût délicieux, cousins du rouget classique mais dans une variante un peu plus savoureuse et costaude – certains diront que c’est du brutal (des petites natures). Vendangeurs, parce qu’évidemment on les pêche dans le bassin, depuis des temps immémoriaux, à l’époque des vendanges.

Les vendanges étaient autrefois l’occasion d’une agitation laborieuse, commerciale et festive que les jeunes générations ne peuvent pas imaginer. C’était également toute une économie locale aujourd’hui disparue. Moi qui suis petit-fils de paysan vigneron girondin – on ne disait alors ni agriculteur, ni viticulteur – peut m’en souvenir.

Les vignerons préparaient leurs chais afin de recevoir la récolte, mais aussi s’affairaient pour accueillir les vendangeurs… et en l’occurrence pas les poissons. Il fallait s’occuper de leur hébergement mais également de l’avitaillement nécessaire à leur appétit creusé par des journées à manier le sécateur ou à porter la hotte. Ces préparatifs nécessitaient souvent le voyage à Bordeaux, pour s’approvisionner dans les nombreux commerces de demi-gros des quartiers des Capucins, Saint-Michel et Saint-Pierre proposant des conserves dans des tailles XXL, des pilchards, des haricots cuisinés et toutes sortes de produits qui n’existent plus dans ces conditionnements, réalisés spécifiquement par les conserveurs locaux pour les vendanges, moissons et autres évènements aussi saisonniers qu’agricoles, rassemblant une nombreuse main-d’œuvre. Ces quartiers bordelais, autrefois riches de commerces variés, étaient alors en effervescence.

L’hébergement nécessitait également des « petites mains », essentiellement féminines, afin de préparer draps et couvertures propres pour les lits parfois installés en dortoir dans des greniers qu’il fallait « gringonner » (avec des balais faits de « gringon ») du sol au plafond. Les vendangeurs arrivaient alors, italiens, espagnols, parfois des « gitans » et puis des voisins, la famille et cela durait souvent deux ou trois semaines avant que de faire la « gerbaude » (terme emprunté à la tradition des moissons) qui voyait la maîtresse de maison se surpassait dans l’art culinaire et le vigneron sortir des bouteilles de « derrière les fagots », fagots qui avaient eux-mêmes permis de cuire quelques belles entrecôtes.

Mais aujourd’hui dans ma campagne de l’Entre-deux-Mers, les vignes ne sont plus vendangées. Il y a quelques années encore, certes on ne voyait plus depuis longtemps les vendangeurs, mais au moins entendait-on les machines qui tournaient jours et nuits. Désormais les vignes sont arrachées, pour « toucher » les primes, ou à l’abandon. Il ne se passe donc plus rien. J’ai beau me dire que c’est indubitablement mieux pour la biodiversité, que les viticulteurs girondins n’étaient pour la plupart que des empoisonneurs, je suis tout de même empreint d’une grande tristesse, certainement par un atavisme vigneronesque ancestral.

Résumons-nous : le progrès fait rage et les décalages chronologiques nous invitent à relire L’Intuition de l’instant de Gaston Bachelard.

Souhaitons qu’au moins les petits vendangeurs du bassin soient fidèles au rendez-vous. Ou, réchauffement climatique oblige, aussi en avance que les vendanges en Gironde, puisqu’autrefois on attendait octobre (le huitième mois) pour les consommer.

(*) De manière semblable et comme tout le monde le sait, les huitième, neuvième et dixième mois du calendrier romain, octobre, novembre et décembre sont, depuis la réforme julienne, respectivement les dixième, onzième et douzième mois de l’année.

Thierry PERREAUD

Aimé

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