Petite causerie vespérale de septembre (re-suite) : les mois en « r ».
« Gaby, alors quoi ça sert la frite si t’as pas les moules ? » chantait le regretté Alain Bashung, il y a quelques décennies. En cette année 1980 et en pays de Buch, nous ne comprenions pas vraiment ce vers (pas plus d’ailleurs que le reste de la chanson ésotérique du barde alsacien), car nous ignorions alors tout de la tradition nordique des « moules-frites » qu’aucun restaurant boïate ne proposait à son menu. Presqu’un demi-siècle plus tard, les choses ont bien changées.
Tout comme les huîtres, pendant longtemps les moules ne se consommèrent que durant les mois en « r » et accompagnées de vin blanc sec, comme l’Entre-deux-mers (je le recommande) ou le Vouvray — le redoutable et marketé Tariquet n’existait pas encore. C’était donc en septembre qu’on pouvait de nouveau s’en empiffrer, de préférence en marinière puisqu’on n’imaginait pas alors que de farouches peuplades septentrionales les accompagnaient de frites.
Il y avait eu mort d’hommes et Louis XV « him-self » s’en était ému en prononçant un édit royal interdisant leur vente lors des mois les plus chauds de l’année, afin d’éviter de fatales intoxications alimentaires. Ce n’est qu’au XXe siècle, lorsque des moyens de réfrigération furent opérationnels, que l’interdiction fut levée et qu’on put consommer des moules toute l’année.
Tout autre fut le destin des huîtres de nos rivages, car la conservation par le froid ne masquait pas un désagrément : en dehors des mois en « r » l’huître est laiteuse, c.-à-d. chargée de sa semence… et cette dernière rappelle celle de l’homme. On le sait certaines femmes et beaucoup d’hommes n’apprécient pas d’avaler la chose, ce qui limita longtemps la vente des huîtres en été et fit qu’on attendait avec impatience septembre, le premier mois en « r », lettre qui manque si cruellement à mai, juin, juillet et août. Or c’est dans cette dernière période que les touristes étaient présents et on n’en profitait pas assez. Dans ce contexte fut mise au point, à la fin des années 90, l’huître triploïde, une huître « d’estivants » issue de mamans huîtres génétiquement modifiées par l’Ifremer. Ce coquillage est non-genré — c’est dire s’il est moderne — et conséquemment dépourvu de semence, ce en quoi il se différencie de la chose évoquée par la chanson évoquée plus haut : « Ça sert à quoi l’cochonnet si t’as pas les boules ? »
Que représente aujourd’hui la production des triploïdes et combien en consommons-nous ? Il paraitrait qu’une huître sur deux vendues en serait une… mais on n’en sait rien lorsqu’on les achète, puisque les ostréiculteurs se gardent bien de révéler la nature de leurs productions. Rien ne les oblige à cela et la chose est d’ailleurs remarquable à l’heure où l’on connait presque tout de la vie d’un poulet acheté chez Lidl . On voit par-là combien les organisations professionnelles ostréicoles de notre région sont admirables.
Thierry PERREAUD