L’idée d’un aérodrome germe en 1906, mais ne se concrétise qu’en 1909 avec le projet de la Ligue Méridionale Aérienne[1] (qui regroupe les membres des aéro-clubs du Sud-Ouest, et des Pyrénées) : les animateurs de la LMA, son président Charles François Baudry[2], le vicomte Charles de Lirac[3] et Villepantour, envisagent la création d’un vaste camp d’aviation sur environ 3000 hectares, près de Croix-d’Hins.
Le programme de la LMA prévoit aussi un laboratoire aérodynamique et l’aménagement d’une station aérologique. … Une savante étude sur le climat girondin, publiée par le directeur de l’Observatoire de Bordeaux, montre que cette région est une de celles où existe le plus grand calme atmosphérique, et encore, à Bordeaux, le vent souffle à la marée montante, tandis que les landes de Croix-d’Hins sont hors de la zone des vents de marée[4].
Comme l’affirme Charles Baudry : sur les landes de la Croix-d’Hins, que l’Europe nous enviera bientôt, se formeront, on peut en être sûr, de nombreux aviateurs et se perfectionneront de nombreux appareils.
Le cahier des charges de la LMA prévoit qu’il faut dans le voisinage d’une voie ferrée ou de tramway, une vaste étendue de terrain plat de 300 hectares environ de superficie sans construction, ni grands arbres. Curieux ! C’est exactement ce que propose un des administrateurs de la LMA, Édouard Saulière[5]. Ce sont tout d’abord 700 hectares qui accueillent[6] des hangars, une maison de téléphone, une tour d’observation.
Le 19 juin 1909, a lieu la première consécration de l’aérodrome par la réunion des principaux aviateurs français que la LMA a convié à venir examiner les terrains… encore à l’état brut. Voici ce qu’en rapporte l’Aérophile du 15 juillet 1909 : la caravane qui va explorer l’aérodrome se forme. Elle comprend des cavaliers, des piqueurs, des sonneurs de trompe, et des échassiers, en costume landais qui donnent la note locale et pittoresque. Une quinzaine de « bros », (véhicules à larges roues) attelés de mules, de bœufs et de chevaux attendent les invités. Les terrains de la Ligue commencent aussitôt après la gare de Croix-d’Hins. …
Au fur et à mesure que la longue théorie des voitures avance, les invités découvrent l’aérodrome proprement dit: immense solitude ayant la forme d’un rectangle irrégulier dont la diagonale atteint près de neuf kilomètres. C’est là l’emplacement de bois brûlés dans les sécheresses de 1893 et 1906. … Le sol est couvert de genêts, d’ajoncs et de bruyères que, dans quelques jours, la Ligue Méridionale Aérienne fera détruire par le feu.
On reconnaît Baudry, Saulière, le vicomte de Curzay, président de la société de la Voile et de l’Automobile d’Arcachon, Gustave Chapon[7], Soreau, membre de l’Institut, Paul Tissandier, président de l’aéro-club du Béarn, Michel Clémenceau, directeur de l’Ariel qui exploite les brevets Wright, Louis Blériot, Esnault-Pelterie, Guffroy, Gastambide[8], etc.
Fin septembre, l’incinération des landes permet de niveler le sol et l’installation des premières pistes de roulement et d’atterrissage.
En novembre, François Peyrey, qui, en plus d’être journaliste, se trouve être aussi le mandataire de l’aéro-club du Sud-Ouest et de la LMA, écrit, dans La Vie au grand air : M. Louis Blériot a installé à Croix-d’Hins, une école d’aviation qui fonctionnera à partir du 1er décembre. Le célèbre aviateur songe même à construire, en bordure de la voie ferrée, une véritable usine[9] d’aéroplanes où travailleront quatre cents ouvriers. Si ce n’est du développement productif, ça y ressemble ; on croit rêver !
Toujours de la veine de Peyrey : la plus grande piste mesurera 33 km 333 afin d’obtenir par le triple périple du terrain qu’elle ceinture, 100 kilomètres de parcours. Aux angles de ces pistes et reliés entre eux par de légères balises, jailliront des pylônes bariolés de couleurs violentes, surmontés de silhouettes. … Au pied des pylônes, les aviateurs en détresse trouveront un magasin de fusées dont les couleurs diverses signaleront, au crépuscule, le point d’arrêt de l’oiseau artificiel fatigué.
Là-bas, près de Pot-au-Pin[10], une grande tour de bois sera comme le phare de l’océan des cimes.
Vers chaque point cardinal, des poteaux lointains, exactement repérés, indiqueront la longueur des promenades aériennes exécutées en dehors des pistes, et que nous suivrons des hautes tribunes, ou de la nacelle d’un ballon captif, gonflé par l’usine d’hydrogène de l’aérodrome, qui gonflera également les autoballons (dirigeables). …
L’inauguration du terrain, prévue le 1er décembre 1909, est ajournée en raison du mauvais temps.
Qu’à cela ne tienne, on s’entraîne !
C’est avec l’aide de son père, Théodore Morin, qui s’intéresse à l’aviation, qu’Auguste Roger[11] Morin achète un Blériot monoplan, équipé du fameux moteur Anzani trois cylindres 25 cv.
Le 24 décembre 1909, l‘aérodrome de Croix-d’Hins a enfin vu un vol d’aéroplane ! Il a suffi de la première accalmie, après l’extraordinaire série de mauvais temps que nous venons de subir un peu partout en France, pour que l’exploit tant attendu puisse enfin se réaliser. L’aviateur qui aura eu l’honneur d’inaugurer l’aérodrome appelé à devenir sans doute par la suite un des plus fameux, n’est point un champion déjà réputé, classé. C’est M. Morin, un jeune homme de vingt cinq-ans, fils de M. Morin, administrateur de notre confrère « le Temps[12]« . M. Morin vint à Bordeaux en même temps que Delagrange, pour l’inauguration du 1er décembre, qui ne put avoir lieu, on le sait à cause du mauvais temps. Il avait même mis à la disposition de ce dernier un appareil Blériot qu’il venait d’acheter à Paris et sur lequel il n’était lui-même jamais monté, n’ayant encore jamais « volé ». C’est sur cet aéroplane entièrement neuf dont M. Delagrange avait simplement fait tourner le moteur au repos, durant quelques instants, ces jours-ci, que M. Morin a reçu, vendredi après-midi, à Croix-d’Hins, le baptême de l’air.
Et voici bientôt le moteur Anzani qui ronfle et fait tourner l’hélice à 1 200 tours. Soudain, l’aéroplane se met à rouler – Roger décolle involontairement au cours d’un essai moteur -. Le voilà déjà à vingt, trente, cinquante mètres de son point de départ, en présence d’une douzaine de spectateurs à peine, dont la plupart sont des chasseurs venus là, certainement, sans se douter de ce qu’ils vont voir… Tout à coup, après avoir parcouru un peu plus de cent mètres, l’aéroplane en pleine vitesse commence à quitter le sol. À vrai dire, M. Morin est un peu ému et moralement désemparé : on le serait à moins… pour une première fois. Il se sent emporté sur la gauche, ce que voyant il donne un trop violent coup de gouvernail de profondeur qui le fait s’élever brusquement à environ dix mètres tout en franchissant pendant ce temps cent autres mètres au-dessus de la lande immense. Surpris par cette envolée imprévue, l’aviateur-néophyte coupe l’allumage au risque d’atterrir trop brusquement. Il atterrit en effet, à environ deux cent cinquante mètres de son point de départ sur la piste même. Il est exactement trois heures quarante cinq. Quand M. Morin descendit de son aéroplane, il fut longuement ovationné par les très rares spectateurs de cette première envolée, désormais historique pour Croix-d’Hins, dont chacun voulut emporter un souvenir sous les espèces d’un autographe, d’un morceau de bois, etc. ; si bien que le jeune aviateur, qui ne revenait pas encore de sa presque involontaire échappée, dut faire pendant un moment son « petit Blériot » pour satisfaire ses admirateurs[13].
On le retrouvera plus tard avec la fine équipe Princeteau, Malherbe, Conneau, Rose[14].
Le lundi 3 janvier 1910, gêné par un épais brouillard et obligé d’atterrir un peu au jugé dans la brume, sans incident majeur mais non sans danger, Léon Delagrange, brevet n° 3 de l’Aéro-Club de France[15], effectue ce que l’on peut considérer comme le premier vol[16] en région bordelaise, sur un monoplan Blériot XI équipé d’un moteur rotatif Gnome 7 cylindres de 50 cv ; Delagrange a remplacé l’Anzani de 25 cv en vue de battre les records de vitesse, faisant passer la vitesse de l’avion de 60 km/h à 84 km/h.
Après ses essais du lundi, jugés infructueux en raison du brouillard, Delagrange repart le lendemain[17] pour tenter de gagner la coupe Michelin[18]. Il sort d’un repas bien arrosé avec des amis au restaurant Belle-Hélène situé dans l’enceinte de l’aérodrome. Vers une heure, le vent qui souffle avec une certaine violence chasse la brume, et le soleil se montre[19]. À 2 h 25, Delagrange fait sortir du hangar son monoplan par ses quatre mécaniciens.
Après avoir, selon son habitude, minutieusement inspecté son appareil, il décide de faire quelques vols d’essais en attendant l’arrivée du public, dont la majeure partie doit être amenée par le train de 2 h 50. La mise au point terminée à 2 h 40, après avoir mis en route et fait tourner son moteur 3 minutes, il roule sur une quarantaine de mètres ; mais il revient à son point de départ après 50 mètres de parcours : un témoin oculaire dira, dans le Matin, que le moteur incomplètement réchauffé ne lui donnait pas pleine satisfaction. Il fait un nouvel essai sur place, et, reprenant le volant en main, s’élève, cette fois, avec une aisance merveilleuse, aux applaudissements de la foule, filant droit devant lui à environ quatre-vingt-cinq kilomètres à l’heure. Delagrange monte à une hauteur de 30 mètres et effectue aussitôt un virage à gauche sur toute l’étendue du terrain. Il dépasse bientôt les limites de l’aérodrome et échappe un instant aux regards de nombreux curieux qui suivent ses évolutions.
Le premier tour accompli, Delagrange en fait un second plus petit, suivant presque la piste tracée sur l’aérodrome, puis amorce un troisième encore plus petit, voulant sans doute diminuer ses évolutions progressivement pour venir atterrir à son point de départ. Comme il prenait ce dernier virage, il donne la sensation qu’il a à lutter fortement contre le vent.
À 84 km/h l’avion est à la limite de résistance des pièces, le Blériot étant conçu pour une vitesse de 60 km/h, et la section des pièces calculée en conséquence. Delagrange vole à proximité et sous le vent de son hangar : le remous engendré par celui-ci amenant des variations rapides dans le travail[20] des pièces, cause, semble-t-il, la rupture du câble de gauchissement, puis aussitôt celle des haubans inférieurs voisins et du longeron de l’aile[21].
Les deux ailes du monoplan paraissent se redresser en l’air, repliées l’une sur l’autre, tandis que l’aéroplane comme un oiseau blessé à mort, s’abat lourdement sur le sol et va cacher sa chute à la foule nombreuse, en tombant derrière le hangar Blériot. Il est 2 h 48 min 41 s[22].
Les personnes qui ont fait de longs voyages en mer ont aperçu des albatros voler par les vents les plus violents et même par les tempêtes à des distances considérables des côtes. Malgré leur incroyable résistance, il arrive souvent qu’une bourrasque prenne une aile par dessous, alors que l’oiseau s’incline, et la retourne net. Le prince des nuées[23] tombe alors comme une masse sur le pont du bateau avec sa malheureuse aile brisée.
C’est aussitôt une course effrénée du public vers le point de chute. L’élève aviateur Mathis et un gendarme arrivent les premiers. Le docteur Friot, de Cestas, qui était parmi les curieux, accourt au côté de la victime dont l’oreille droite laisse couler un mince filet de sang.
D’après le certificat de décès établi, l’infortuné aviateur a une fracture complète de la jambe gauche au tiers supérieur ; l’abdomen est indemne ; dans la partie supérieure du corps, on a constaté des fractures aux huitième et neuvième côtes gauches, une fracture de la clavicule droite, un emphysème sous-cutané dans la région pectorale, et enfin une hémorragie à l’oreille gauche, signe d’une fracture de la base du crâne, cause de la mort instantanée.
Le corps, sur lequel une couverture a été jetée repose sur un lit de paille, dans le hangar. Les quatre mécaniciens de l’aviateur restent à son chevet. Jean Bouche[24], maire de Bordeaux, qui est sur l’aérodrome au moment de l’accident, vient saluer les restes de l’aviateur. Dès son retour à Bordeaux, M. Bouche réunit la municipalité, qui décide de se faire représenter par M. James Mestrezat aux obsèques et d’y envoyer une couronne au nom de la ville.
Peltier et Le Blon, associé de Delagrange, et le frère de la victime, Robert Delagrange, sont attendus.
Le corps est mis en bière à Croix-d’Hins le 4 janvier ; il en part à six heures trente-cinq et arrive à sept heures vingt-huit en gare du Midi, à Bordeaux et, de là, est dirigé sur Orléans, berceau de sa famille, où les obsèques sont célébrées trois jours plus tard. Léon Logeais[25] est parmi ceux qui conduisent à sa dernière demeure leur regretté patron et ami.
Le dimanche 10 janvier 2010, une stèle en sa mémoire est élevée à Croix-d’Hins, rue de la station, à gauche après le pont qui enjambe la voie ferrée qui mène à la zone industrielle.
C’est le cinquième mort[26] de l’aviation au monde. À la suite de cet accident, le journaliste Gabriel Roques ne manque pas de stigmatiser la Croix-d’Hins, cette mare aux grenouilles parcourue par des vents violents[27].
L’onde de choc médiatique atteint Paris. Le Figaro du 5 janvier rapporte que le même jour, Santos-Dumont, à Saint-Cyr, échappait miraculeusement à la mort, dans une chute dont les circonstances semblent être les mêmes. … à 25 mètres de hauteur, …., tout à coup, le tendeur d’une des ailes se rompait et l’aile cédait ; l’appareil désemparé tombait aussitôt en tourbillonnant et venait se briser sur le sol.
Loi des séries, la baronne Raymonde Delaroche, la première femme aviatrice[28] a été victime hier[29] d’un grave accident sur 1’aérodrome du camp de Chalons. L’aviatrice prenait son vol vers 3 heures, par un vent très faible, elle effectuait son premier tour de piste volant à quatre ou cinq mètres de hauteur dans des conditions parfaites, lorsqu’au deuxième tour, ayant pris un virage trop au large et n’ayant pu monter assez haut, elle est allée s’échouer dans les peupliers qui bordent la route. Elle s’en tire également à bon compte, avec une toute petite blessure à la tête.
Le moment de stupeur passé, le ministre de la guerre, qui envisage d’y créer une école militaire de pilotage et d’aviation, charge le commandant Estienne de visiter les installations afin d’y étudier sur place les conditions climatériques et autres de l’aérodrome de Croix-d’Hins[30].
Le dimanche 13 mars 1910, à 10 h 55, Victor Rigal, ancien champion automobile[31], remporte le prix d’encouragement Gustave Chapon réservé au premier aviateur ayant réussi à s’envoler sur au moins cent mètres à l’aérodrome de Croix-d’Hins et n’ayant jamais gagné de prix antérieur. Il vole sur 265 mètres à une altitude de 5 à 6 mètres sur son biplan Voisin n° 2, et empoche 1 000 francs.
Le 24 mars suivant, Hubert Le Blon[32], fort de son brevet de pilote aviateur n° 38 obtenu 15 jours avant, exécute quelques envolées avec son monoplan Blériot XI modifié[33] par lui-même. Il débute au magnifique aérodrome bordelais, par un vol de 10 minutes, chronométré par notre distingué confrère François Peyrey, directeur technique de Croix-d’Hins. Le lendemain il renouvelait ses expériences avec le même succès, devant un certain nombre de personnalités bordelaises.
Mais pressé par ses engagements antérieurs, il quittait le soir même, non sans promettre d’y revenir, l’immense clairière landaise, devenue aujourd’hui un incomparable champ d’évolution pour les oiseaux artificiels et se rendait à Saint-Sébastien.
On connaît la suite : il s’y tue la semaine suivante dans la Concha.
En 1909, l’aéroclub du Sud-Ouest obtient de l’Aéroclub de France (AéCF), le privilège d’organiser la grande semaine officielle de 1910. Cette manifestation, prévue en septembre, doit avoir lieu sur l’aérodrome de Croix-d’Hins. Mais l’inauguration hivernale de ce terrain a été un fiasco, endeuillé par la suite, comme nous l’avons vu.
De plus, l’importante implantation promise par Blériot n’est pas concrétisée et les autres écoles d’aviation n’en sont qu’au stade embryonnaire ou même n’ont pas dépassé celui de projet. On se dispute sur le régime des vents régnant au dessus de Croix-d’Hins, et, par ailleurs, des rumeurs d’un scandale immobilier s’exhibent dans un journal satirique du cru[34].
La bisbille régnant chez les aviateurs conduit à la formation de deux comités d’organisation, un pour le meeting de Croix-d’Hins et l’autre pour une manifestation sur un nouveau terrain de 200 hectares, sis à Mérignac, dans le quartier de Beaudésert, sur la propriété du banquier Léopold Piganneau[35], que loue un riche mécène, Adrien Verliac.
Dans la perspective des futurs meetings, un communiqué du comité de patronage[36] indique qu’à l’aérodrome de la Croix-d’Hins, les travaux sont poussés très activement. La gare de Croix-d’Hins, située sur la grande ligne Bordeaux-Bayonne, va être complètement transformée par la Compagnie des chemins de fer du Midi ; elle pourra, pendant la Grande Semaine, amener à l’aérodrome 7 000 voyageurs par heure. Un pont-route passant au-dessus de la gare mettra en communication directe l’aérodrome avec la route de Bordeaux à Arcachon.
Les journées d’aviation de Croix-d’Hins[37], du 21 au 28 août 1910, avec deux aviateurs engagés – Eugène Lesire – brevet n° 176 du 9 août précédent sur biplan Voisin – et René Vallon – brevet n° 109 du 21 juin, sur biplan Sommer -, sont maintenues[38] malgré le télégramme de l’Aéroclub de France interdisant aux aviateurs d’y participer.
Le 24 août 1910, Eugène Ruchonnet leur brûle la politesse en décollant de Beau-Désert, à Mérignac[39], pour effectuer le premier survol aérien de Bordeaux à bord de son Antoinette ; il sera suivi par Lesire, venant de Croix-d’Hins, seulement 4 jours après, sur son biplan Voisin. Le même jour, Vallon tente le survol d’Arcachon ; le mauvais temps l’oblige à rebrousser chemin alors qu’il n’est qu’à … Marcheprime.
Les 1er et 2 février 1911, le lieutenant Bellenger est un pionnier du raid Paris-Bordeaux (Polygone de Maison-Blanche à Vincennes – Croix-d’Hins) qu’il réalise en aéroplane Blériot. Il est retardé au départ, l’huile du moteur ayant gelé malgré les précautions prises ; il décolle à 8 h 45 et arrive à 17 h 03 à Croix-d’Hins, avec escales à Pontlevoy (Loir & Cher) et Poitiers-Biard. Le vent l’a gêné quelquefois, et la brume parfois aussi car elle était plus épaisse qu’elle ne paraissait de la terre. En se rapprochant de Bordeaux, il est incommodé par le soleil qu’il a dans les yeux, et il dut chercher l’aérodrome de Croix-d’Hins en regardant derrière lui. Il repart de Croix-d’Hins, le lendemain à 14 h 52, après avoir effectué sur place une courte démonstration de vol, et rejoint Pau aux alentours de 17 heures.
En fait, ce raid relève d’une mission bien précise : il doit rejoindre Conneau, Rose, Malherbe et Princeteau, alors en formation chez Blériot ; repérés pour leurs qualités, ils ont été choisis pour être les premiers à suivre la formation au tout nouveau brevet de pilote militaire. Le 10 février suivant, il communique à Paris les résultats des épreuves passées par Rose, Malherbe et lui-même (on lui avait proposé d’être breveté d’office, ce qu’il refusa) et quelques jours plus tard, ceux concernant Princeteau et Conneau.
L’enseigne de vaisseau Jean Conneau, connu sous le pseudonyme André Beaumont, et le lieutenant Malherbe mettront à exécution leur projet de réintégrer Pau par la voie aérienne. Partis sur leurs monoplans de l’aérodrome de la Croix-d’Hins, ils suivent la côte et, après avoir évolué au-dessus de Biarritz, ils atterrissent, à dix heures, à l’aérodrome de Biarritz-Bayonne. Les deux officiers repartent le lendemain pour Pau.
L’activité perdure ; une école d’aviation, dirigée par M. Moussempès, existe d’octobre 1910 jusqu’en 1912, animée par le pilote Eugène Ruchonnet[40].
La société immobilière de Croix-d’Hins est mise en liquidation judiciaire le 6 mai 1911. Un an plus tard, le 7 mars 1912, MM. Peyneau et Descas achètent l’aérodrome ; Peyneau rachète la part de Descas le 28 janvier 1913 puis revend le terrain à l’État, le 21 mars 1918. Louis Blériot se porte acquéreur des dix hectares de terrains sur lesquels il avait déjà fait édifier plusieurs constructions dont les fameux hangars d’aviation[41].
L’aérodrome de Croix-d’Hins est maintenu partiellement jusqu’à la veille de la guerre.
Lors du premier rallye aérien de Monaco, l’ingénieur René Joseph Louis Moineau[42], sur biplan Breguet, équipé du moteur Salmson[43] 9 cylindres en étoile rotatif de 130 ch., et de flotteurs Tellier, vole d’Eysines à l’aérodrome de Bordeaux-Croix-d’Hins le 3 avril 1914 ; il en repart l’après midi et s’arrête à Montauban[44].
Le Figaro du 5 juin 1911, fait état du raid Pau-Paris : Hier, à 5 h. 20 du matin, les lieutenants aviateurs Gouin et Ducourneau sont partis de l’aérodrome de Croix-d’Hins. Ils sont partis pour Libourne, d’où ils prendront leur vol, en compagnie des lieutenants de Malherbe et Princeteau, vers Poitiers et Paris. Une panne de moteur a obligé le lieutenant Gouin à atterrir à 9 h 30, à Saint-Aviol, près de Civray. Le lieutenant Menard, qui fait le tour de France en aéroplane et qui était en panne à Ambarès depuis mercredi, est reparti hier, à 3 h 57 du matin ; mais, son hélice ayant accroché un tronc d’arbre, il a dû faire procéder à une réparation et il est reparti à 7 h 16. Il a atterri, à 7 h 55 à Croix-d’Hins d’où il est reparti à 5 h 5 de l’après-midi avec son passager le lieutenant Do-Hu[45]. A 7 heures du soir, les deux aviateurs arrivaient à Pau et y faisaient un atterrissage.
Finalement, le terrain de Croix-d’Hins est supplanté par la création de celui de Mérignac Beaudésert.
Le 24 juin 1920, Louis Blériot, qui doit beaucoup d’argent à la Société d’énergie électrique du Sud-Ouest, probablement à cause de l’achat, deux ans auparavant, du château Tartifume, à Bègles, se résout à vendre 4 500 francs son terrain de Croix-d’Hins à cette société[46].
[1] – Sera dissoute le 20 octobre 1920 ; l’affiche est de H. Bonis,1922.
[2] – Né à Tours en 1867.
[3] – Le vicomte de Lirac, dont la Coupe de la Petite Gironde est le prix bien gagné pour son très beau voyage de Bordeaux aux pointes du Trayas, près de Cannes, (607 kîl. 750) les 18-19 mars 1907, en compagnie de Scharf.
[4] – L’Express du Midi, mardi 8 juin 1909.
[5] – L’homme à la conquête de l’air : Des aristocrates éclairés aux sportifs, Luc Robene, 1996.
Saulière doit probablement être celui qui fut juge et président du tribunal de Bordeaux de 1890 à 1907 ; son épouse Louise Marie Lagache Barbe est décédée à Arcachon le 19 février 1957.
[6] – La LMA, commanditaire de l’ouvrage est secondée par la Société immobilière de la Croix-d’Hins, elle-même regroupant les membres d’une Société civile de parts de fondateurs. À quelque étage de cet édifice que ce soit se trouvent Charles Baudry, Gustave Chapon, Édouard Guénon, ingénieur civil, mouillé dans l’affaire du Gaz de Bordeaux en 1903-1904, et Édouard Saulière, propriétaire à Croix-d’Hins. Opération de haut vol quand on sait que Saulière recueille, au passage, 30 000 francs de bénéfice net pour la vente de terres réputées incultes. Source : Le sport dans la ville, Jean-François Loudcher et Christian Vivier, 1998.
[7] – Gustave Chapon (1870-1933), petit-fils de Gustave Gounouilhou, dirigea les ateliers d’imprimerie, puis les journaux du groupe de presse La Gironde / La Petite Gironde. Dès 1860, les ateliers de La Gironde furent installés dans les locaux de l’ancien archevêché, rue de Cheverus.
[8] – Léon Levavasseur et son associé Jules Gastambide (parent d’Hubert Latham) ont donné à leur société « Antoinette » le prénom de la fille de Jules.
[9] – Photo du hangar Blériot en novembre 1909.
[10] – La zone logistique de Cestas-Pot au Pin, accueille aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de mètres carrés d’entrepôts.
[11] – On trouve parfois pour le désigner le prénom René.
[12] – Quotidien protestant publié à Paris du 25 avril 1861 au 29 novembre 1942 ; Hubert Beuve-Méry en est le correspondant à Prague jusqu’en 1938.
Le journal étant accusé de collaboration, ses locaux situés 5 boulevard des Italiens sont réquisitionnés et son matériel est saisi ; Le Monde, dont le fondateur n’est autre qu’Hubert Beuve-Méry commence à paraître en 1944, est le bénéficiaire de cette confiscation : la typographie et le format du journal Le Monde resteront longtemps hérités du Temps.
[13] – http://www.passion-33.fr/page135.html
[14] – La Croix de la Drôme.
[15] – Les brevets ayant été attribués par ordre alphabétique, Blériot s’est vu décerner le brevet n° 1.
[16] – Celui de Morin, accidentel, du 24 décembre 1909 n’ayant pas été homologué.
[17] – La Croix du 6 janvier 1910 ; les vols ont eu lieu les 3 et 4 janvier 1910.
[18] – Prix d’aviation créé en mars 1908 par les frères André et Édouard Michelin. Pour gagner la coupe Michelin (prix de 25 000 Francs or), il fallait parcourir la distance la plus longue de l’année en circuit fermé.
[19] – Le Petit Parisien.
[20] – Dans l’Aérophile de janvier 1910, René Gasnier avance l’hypothèse d’un effet gyroscopique dû au moteur rotatif Gnome placé tout à l’avant de l’appareil.
[21] – Pilote d’essais : Du cerf-volant à l’aéroplane, Georges Bellenger, 1995.
[22] – La Croix, du 6 janvier, raconte que tout à coup, à 2 h 53, au troisième tour, alors qu’il venait de passer au-dessus du hangar du public et arrivait au-dessus du hangar où est remisé l’aéroplane de l’aviateur Mathis, un vent assez violent le prit à gauche ; on vit alors l’aile gauche de l’appareil se replier, puis l’aile droite fléchir, donnant l’impression qu’elle se repliait également : l’aéroplane, qui est à 60 ou 70 pieds, tombe de côté à une vitesse de 40 ou 50 kilomètres à l’heure, d’abord sur la toiture du hangar, puis sur le sol. Delagrange est éjecté la tête la première.
[23] – Comme le nomme Baudelaire dans Les fleurs du mal.
[24] – Entrepreneur de travaux publics, il participe, en 1890, à la construction de la gare du Midi. Maire de 1908 à 1912. Il a son buste, réalisé, en 1910 par Gaston Veuvenot Leroux, au musée des beaux-arts de Bordeaux.
[25] – Léon Logeais était alors au service de Delagrange. On sait que Le Blon et Molon faisaient partie de l’équipe formée par Delagrange.
[26] – Après Selfridge (18-9-1908), Lefebvre (7-9-1909), Ferber (22-9-1909), Fernandez (6-11-1909).
[27] – L’homme à la conquête de l’air : Des aristocrates éclairés aux sportifs, Luc Robène. Ce livre constitue la publication de sa thèse de doctorat soutenue en 1996, à l’Université de Bordeaux 2. Luc Robène a été le guitariste du groupe Noir Désir de 1982 à 1985.
[28] – La première femme ayant quitté le sol à bord d’un plus lourd que l’air, le biplan Voisin-Delagrange n° 2, puis volé seule à son bord est Thérèse Peltier, élève de Léon Delagrange : le 8 juillet 1908, dans le cadre de vols d’exhibition en Italie, le Dandy Volant va évoluer en charmante compagnie : ils réalisent un vol de 200 mètres à 4 mètres d’altitude. Puis, à Turin, au cours de ce voyage, elle réalise, en solo, un vol de 200 mètres à une altitude de 2,5 mètres.
Mais le mérite d’avoir persévéré jusqu’au brevet (n° 36) de l’Aéro-club de France, obtenu à Mourmelon le 8 mars 1910, revient à la baronne Raymonde de Laroche (nom de scène de l’actrice Élise Deroche) ; elle avait effectué son premier vol le 22 octobre 1909, à bord d’un biplan Voisin.
[29] – La Croix du 6 janvier 1910, rapportant un accident survenu le 4 janvier.
[30] – Le Martinet, journal politique républicain radical, satirique, humoristique, du 24 février 1910.
[31] – Depuis son premier record enregistré en 1899 … à 62 km/h, il bat le record de France du tour du circuit, en 1908, avec une moyenne de 154 km/h , assorti du record de crevaisons… de 19 pneus avec une Bayard 130 HP.
En 1922, Adolphe Clément-Bayard vendra son usine de Levallois à André Citroën : les initiales gravées sur les murs de l’usine ne changent pas !
[32] – Ingénieur de formation, Hubert Le Blon a mis à profit ses connaissances pour améliorer avec Léon Serpollet les premières automobiles à vapeur, avant de passer à la voiture à pétrole, suivant en parallèle une carrière de coureur automobile (dont, le 24 mai 1903, la course Paris-Madrid, course interrompue à Bordeaux suite à plusieurs accidents mortels dont celui de Marcel Renault).
[33] – Équipé d’un puissant moteur de 50 chevaux.
[34] – Voir Le Martinet n°10 à 36, du 10 janvier au 7 juillet 1910. Le Martinet, faut-il le rappeler, a dénoncé, en 1904, la mainmise de Charles Baudry sur la concession de la Compagnie du gaz, en s’adjugeant de manière abusive 16 000 parts du fondateur ; opération fructueuse, certes, mais jugée irrecevable par le Gouvernement et éconduite après avis du Conseil d’État.
[35] – À la fin du XIXe siècle, Piganneau est aussi propriétaire des domaines prestigieux de Bourran, Foncastel, Fontainieux, le château Dulamon (par les Prom) à Blanquefort et son magnifique parc connu aujourd’hui sous le nom de parc de Majolan.
Léopold Piganeau est associé avec son frère Gustave (marié à Marguerite Prom) dans la Banque Piganeau & Fils créée par leur père Célestin et leur oncle Jean-Jules (celui-ci, ancien capitaine au long-cours, va succomber aux charmes de la jeune Jeanne Dacosta, fille de son comptable ; elle a vingt ans, il en a presque le double !)
L’établissement bancaire (actuellement Banque Barclay) deviendra la plus grande banque de la région : le Grand Maître de la banque bordelaise dans les années 1870-1890 est Piganeau et sa maison Piganeau & fils ; la famille anime un établissement où sont clientes nombre des firmes de la ville représentatives de toutes les branches économiques. Cela en fait la première banque de la Place par le volume d’affaires et la renommée. Maison la plus importante de la Place, gros crédit [donc réputation parfaite], excellente direction de deux frères, aidés de leurs fils, la Banque de France ne tarit pas d’éloges sur ce fleuron de la banque bordelaise, dotée de toutes les qualités : activité, intelligence, ordre et assiduité.
On constate cependant l’effondrement de la première banque de la place avec le projet de construction du canal de Panama et la crise du phylloxéra, et la faillite de la grande maison de vins Barkhausen qui pousse les épargnants à retirer leur argent. La ruée aux guichets de la banque Piganeau, située 4 rue Esprit-des-Lois, provoque un mini-krach financier et entraîne le déclin du patrimoine familial.
[36] – Repris par l’Aéronaute n° 526 du12 mars 1910.
[37] – En concurrence avec la semaine de l’aviation qui s’est déroulée à Beau-Désert du 11 au 18 septembre 1910 et pour laquelle, le 18 septembre, Armand Fallières, président de la République, préside la journée de clôture ; deux cross-countries sont organisés dont, le quatrième jour, celui Beaudésert-Arcachon de 88 km aller-retour sans arrêt remporté par Morane (devant un public venu en nombre sur les rives du bassin et sur de multiples embarcations, il vire au-dessus de l’île aux Oiseaux), seul à effectuer le trajet complet, les trois autres concurrents n’ayant pas trouvé Arcachon…
[38] – Conservatoire de l’Air et de l’Espace d’Aquitaine – avril 2009.
[39] – Il reviendra plus tard à Croix-d’Hins.
[40] – Il se tue le 12 janvier 1912 sur l’aéroport de la Vidamée, près de Senlis.
[41] – Acte notarié passé chez Maître Willian Loste, notaire à Bordeaux. Cet acte mentionne que Louis Blériot n’a jamais ouvert d’école d’aviation à Croix-d’Hins.
[42] – Cet aviateur au nom prédestiné est pilote d’essai chez Breguet ; il s’associera avec Salmson l’année suivante. On lui doit la célèbre pompe moineau constituée d’un rotor hélicoïdal tournant à l’intérieur d’un stator lui-même hélicoïdal.
[43] – Le type Salmson A9, sous brevet Georges Henri Marius Canton et Pierre Georges Unné, de 120-130 ch, apparu en 1913, est homologué par l’Armée à Chalais-Meudon en début d’année 1914 ; il équipe les bombardiers Voisin LA 3 dès 1914, les bombardiers Bréguet U2 en 1915, ainsi que les premiers appareils britanniques Sopwith type L construits par Blackburn l’année suivante. Source : La société des moteurs Salmson, Gérard Hatmann, 2004.
[44] – Le rallye aérien de Monaco, L’aérophile, avril 1914.
[45] – Do-Huu-Vi est le 5ème fils de Do-Huu-Phuong, maire honoraire de Cholon. Il est né le 17 février 1883 à Cholon en Cochinchine. Entré à Saint-Cyr le 1er octobre1904, après des études secondaires au lycée Janson-de-Sailly, en 1906, il est nommé sous-lieutenant au 1er Régiment étranger. Il rencontre le lieutenant Victor Ménard et va devenir son coéquipier lors du tour de France aérien de 1911.
En 1915, un jour de violente tempête, il part vers les lignes ennemies. Le but est atteint et sur le chemin de retour, une bourrasque le précipite au sol. Transporté au Val-de-Grâce, son état est grave, presque désespéré : le bras gauche, la mâchoire et la base du crâne fracturés ; il reste 9 jours dans le coma.
À cause de son infirmité, l’aviation refuse de le laisser retourner combattre dans les airs ; alors, Do-Huu rejoint les tranchées de la Somme et commande la 7ème compagnie du 1er Étranger. Malheureusement, en tête d’un assaut, il est tué net, le 9 juillet 1916, à 16 heures. Il repose au petit hameau de Dompierre.
Do-Hu est décoré de la Légion d’Honneur, la médaille du Maroc et la Médaille coloniale. En vie, il disait souvent à ses amis qui voulaient modérer son ardeur : Il me faut être doublement courageux, car je suis à la fois Français et Annamite.
En 1921, sa dépouille mortelle est ramenée par son frère aîné, le colonel Do-Huu-Chan, et déposée au Bois du Phu, près de Cholon, dans le jardin des ancêtres. Source : Pages 14 – 18, Bruno Baverel, Forum internet.
[46] – Article de Jean-Pierre Ardoin Saint Amand, revue n° 150 de la SHAAPB.