Hier, le croquis était de pierre. Aujourd’hui, il est de sable. Pour aller de l’une à l’autre, il suffit d’attendre quelques millions d’années. Au bout de l’attente, on est gâté puisque le sable peut atteindre des sommets, tels les cent quatre mètres fluctuants de celui de la dune de Pilat. Un monstre, cette dune, qui a déjà dévoré quatre forêts, bu un étang et qui affûte ses crocs pour avaler quatre campings, des pistes en béton et une route goudronnée. Un festin qui se poursuit inexorablement depuis 6 000 ans … Cette dune vaut donc bien un croquis. D’autant plus qu’elle offre un spectacle estival permanent.
Les familles, les couples, les poètes ou les aventuriers d’un jour s’alignent sur ce qui, depuis le parking de huit cents places, les mènera au nirvâna de l’espace. Ah ! Ce parking ! Quelle bonne affaire pour la société qui l’exploitait jusqu’alors, puisqu’elle ne reversait à la ville de La Teste que le quart des multiples euros que lâchaient dans son escarcelle des paquets de voitures venues de toute l’Europe et même de l’Estonie ! Vous vous rendez compte : de l’Estonie. Mais voilà qu’à peine débarquée, la colonne touristique découvre une catastrophe en déambulant sur un chemin formant un souk désordonné, offrant des pancartes bariolées et débitant des crêpes bretonnes et des souvenirs de la mer internationaux, en plâtre coloré. On chercherait en vain ici un petit peu d’art couleur locale. Mais, preuve que la formule marche, il faut observer l’avidité avec laquelle les amateurs de babioles choisissent un set de table pour tante Anna, un marin échevelé sur son rocher pour le cousin d’Amiens ou un rond de serviette pour l’amie dévouée qui garde le chat. La formule a donc du bon. Du très bon même, puisque de redoutables vendettas ont allumé parmi les vingt échoppes en bois plusieurs incendies suspects sur lesquels la police enquête depuis des lustres … La vitrine touristique, ici comme en beaucoup d’autres endroits, cache une curieuse réalité humaine …
Il en faudrait plus pour décourager le million et demi de ces visiteurs qui savent bien que l’essentiel de leur excursion se situe bien au-dessus de la cime des pins pelés qu’Eole s’essouffle à engloutir. On nous dit que, bientôt, le nouveau syndicat regroupant la Région et le Département va embellir cet espace commercial et le doter d’une salle d’informations où des écrans et des sons expliqueront la fragilité de cette montagne mouvante, la longue histoire du Pays de Buch, tous les mystères et les richesses du lieu. Car, des mystères, il n’en manque pas. A commencer par ces lignes brunes qui strient la grande dune sur toute sa longueur et qui témoignent d’une intense vie forestière engloutie ponctuée d’anciens fours à goudron. Quant aux richesses, il reste à les gagner en se hissant à leur hauteur.
Pour cela, chacun des alpinistes des sables prend son rang au pied de l’escalier, dominé par une pente à trente degrés et en s’apostrophant :
“- Albert, t’a pris la gourde au moins
– Attention aux sables mouvants !
– Les gars : le dernier arrivé paie l’apéro …”
Mais, tout en haut, le spectacle leur coupera autant le souffle que la soif. Un des plus beaux spectacles du monde : d’un côté une immense vague verte d’où émergent quelques autres dunes, elles toutes boisées et enfermant le lac de Cazaux, tout scintillant. De l’autre côté, la mer. Une de ces portes sur la mer comme il s’en ouvre peu et qui, dans le souffle des larges espaces, apporte des volutes de tous les bleus de la création et des ondes dorées de tous les sables que les courants allongent, arrondissent ou libèrent pour les recouvrir tout aussitôt en reflets moirés où les marées se bousculent. Et si l’on a pris la précaution de grimper à ce toit de l’Atlantique par le chemin complètement désertique qui vient du sud, on saura encore mieux ce qu’est la pureté du Monde. Et l’on découvrira d’en haut combien il est étonnant que des vagues, nées dans des tourbillons de fleuves américains, viennent se briser sur les derniers élans de la Leyre, en des remous argentés mais hypocrites en diable …
Jean Dubroca