Chroniques du Canalot – Le 7 juillet 1841

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À travers l’histoire d’une famille anonyme, témoin de son temps, ces chroniques racontent l’évolution du quartier du Canalot à La Teste-de-Buch depuis sa formation en 1840 à nos jours.

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Un œil sanguinolent, des plaies à la tête et aux bras, Diego est touché à la tempe par un rocher énorme, balancé des deux bras par Le Grêlé.

Il perd connaissance, coule au fond du chenal, le courant puissant l’emporte vers le bassin.

Le « pignot » trop enfoncé que Joseph n’avait pu retirer du chenal, se coince dans sa veste et le retient contre la berge. Diego reprend conscience, il éructe et tousse l’eau qu’il a avalée. Il fait noir comme dans un four. Au loin il entend le Grêlé qui s’éloigne en abreuvant Marie d’injures.

Il se hisse difficilement sur la berge. Il est couvert de plaies, il grelotte de froid. Péniblement il regagne sa paillasse dans l’auberge et s’endort d’un sommeil chargé de cauchemars.

Il rêve que Marie tombe dans un puits sans fond, il tente de lui saisir le bras mais elle tombe de plus en plus vite. Le Grêlé leur jette des boulets de fer du haut d’une falaise, au moment où elle disparaît au fond du puits….

Il se réveille brutalement trempé de sueur.

Joseph lui déconseille d’aller voir la maréchaussée. Que dira-t-il lui un « Estrangey » ?

Le Grêlé dira qu’il faisait noir et qu’il n’a rien vu. Certainement que Diégo était saoul, qu’il est tombé tout seul. Quelle idée d’aller la nuit sur cette digue perdue loin du bourg !

Il ne faut pas compter sur le témoignage de Marie pour l’aider.

Diego a choisi son jour de congé pour rencontrer les parents de Marie.
Les parents de Marie habitent dans la « Montagne ». C’est ainsi qu’on appelait autrefois la Forêt usagère. Il a du mal à trouver la clairière des « Arraoucs » où se trouve leur cabane.

« Arraoucs » c’est un endroit dont le nom signifie « les roseaux ». Autrefois c’était une clairière pleine de roseaux avec quatre à cinq fours à goudron. Le nouveau propriétaire, Lalesque, a tenté de re-semer la clairière depuis 1830 mais elle est maintenant menacée par la dune de sable qui la recouvre peu à peu.

Leur petite cabane de résinier est typique, elle mesure environ quatre mètres sur quatre, en une seule pièce de terre battue. Les murs sont en planches simples de pin, des couvre-joints assurent comme ils peuvent l’étanchéité. Il n’y a pas d’autre isolation avec l’extérieur. La cheminée maçonnée, située au centre, débouche au milieu du toit à deux pentes. Au nord, un appentis sert à stocker le bois d’œuvre qui sèche comme le bois de chauffage.

Une seule porte est située au sud, une seule fenêtre sur le côté est éclaire faiblement la pièce. De l’autre côté, à l’ouest, il y a un four à pain.

Les parents de Marie sont assez âgés, le père porte les traces de soixante ans d’une rude vie de résinier, la mère est plus vive et se déplace rapidement pour rentrer du bois, balayer la pièce. Ils se sont rencontrés sur le tard à l’occasion de la Saint-Martin, le père étant veuf d’un mariage précédent. Lorsque Marie est née, sa mère n’avait que vingt ans. Ils vivent sur place mais ne possèdent pas leur cabane. Ils habitent là ou se trouve le travail de gemmage et peuvent déménager ailleurs suivant les besoins du propriétaire qui les emploie.

Diego les aborde gentiment et leur demande des nouvelles de Marie. Ils lui expliquent qu’ils ne l’ont pas vue depuis « bouou.. »  parce que Le Grêlé garde leur fille en paiement, dit-il, d’une dette qu’ils auraient envers lui.

– Une dette ? demande Diego, mais comment se fait-il que vous lui deviez de l’argent ?

– En fait, explique le père on ne lui en doit point, pas même un sol. C’est un « desauneste » et un « boulour » il vient nous voler du bois régulièrement et il va le vendre dans la paroisse du Teich ou plus loin encore.

– Et pourquoi au Teich demande Diego ?

– Et « perdiou », parce que nous autres, des paroisses de La Teste et de Gujan, nous avons le droit d’usage accordé par le seigneur « boudiou ». Nous pouvons prendre du bois dans la forêt , mais que pour nos besoins. Et ceusses du Teich « res», pas de droit d’usage.

Alors ce « bandità » de Grêlé il leur vend, contre argent, le bois qu’il nous vole derrière notre cabane.

– Mais il faut vous défendre ! S’écrie Diego.

– Basta ! La défense, un vieux comme moi contre sa bande de « bandolère » ? Heureux encore qu’ils aillent pas mis le feu à la cabane ! Le bois volé il le livre avec une carriole qu’il « emprunte » dit-il à un de ses amis. Simplement une fois, la roue de la carriole s’est cassée, il a fallu la réparer. Il dit que ça lui a coûté 50 francs et que c’est notre faute parce que c’est notre bois qui était dessus !

Donc il a dit qu’on lui devait 50 francs, c’est plus d’un mois de travail « maccarel » !

– Mais comment, dit Diego, c’est un scandale ce n’est pas de votre faute si la roue s’est cassée !

– Si, si, explique le père, donc il nous a dit qu’on lui devait 50 francs et puis le soir suivant il est venu avec une bande de « robbaires » de ses amis et ils ont saccagé la maison, ils ont menacé de mettre le feu. En attendant, il a emporté notre petite Marie pour l’utiliser comme femme de service.

– Mais comment ? dit Diego c’est une vraie honte ce qu’il vous fait.

– Sûr, dit le père, mais vous savez moi,  je suis vieux je ne peux pas me défendre, ma femme peut pas se battre contre une bande d’hommes et donc il a toujours gardé Marie avec lui. Maintenant il nous explique régulièrement que comme on a des  « intérêts de retard », ben la dette augmente et maintenant il dit que nous lui devons 200 francs !

Diego est outré et les quitte à grands pas.

En redescendant vers le bourg, Diego va discuter avec Joseph son ami de chantier. Il lui raconte ce qu’il a appris sur le Grêlé et la famille de Marie. Joseph lui explique qu’il ne peut pas grand-chose parce que le Grêlé a une bande de va-nu-pieds et que quand on s’oppose à lui, il vient avec ses malfrats. Il met le feu aux maisons, il met la pagaie partout.

Joseph lui dit :

–  La seule façon que tu as de traiter ça c’est de l’attraper un soir en tête à tête et de lui faire « entendre raison ».

– Lui faire « entendre raison » ? demande le Diego. Mais comment lui faire entendre raison ?

– Ah ça, dit Joseph c’est à toi de voir. Si tu vas te plaindre aux gendarmes, ça ne te mènera à rien. Par contre si tu arrives à lui faire « entendre raison » peut-être que tu pourras le convaincre.

– Je vais y  réfléchir, dit Diego.

Après avoir observé les habitudes du Grêlé, Diego l’attend un soir à la sortie d’une taverne . Il est seul et ne marche pas très droit. Diego le coince dans une ruelle perpendiculaire au chemin du port.

– Ecoute-moi le Grêlé, il faut que je te parle.

– Me parler ? De quoi donc l’estrangey ?

-Tu as raconté des balivernes aux parents de Marie. En fait ils ne te doivent rien et tu continues à voler du bois que tu vends, tu te fais de l’argent sur leur dos.

– Quoi, quoi, dit le Grêlé, c’est quoi ces istorian de cujas ? Ca n’a aucun sens ma parole, tu as bu. Allez rentre te coucher, ça ira mieux demain.

– Pas du tout dit Diego qui l’attrape par le cou et le coince dans un coin. Écoute  tu vas laisser tranquille Marie et ses parents, sinon tu vas avoir de gros problèmes.

– Des problèmes ? dit le Grêlé, tu rigoles, quel problème veux-tu que j’aie ? Je suis le cousin de la femme de l’ancien maire. Ici tout le monde me connaît et me craint. Je fais ce que je veux et personne n’ose aller contre moi.

Comme Diego le serre contre un mur, d’un geste vif, le Grêlé sort son couteau caché dans sa botte et tente de le planter dans le ventre de Diego. La lame rebondit sur le cuir de la ceinture et entame le gras du ventre.

Plus jeune et plus vigoureux, Diego lui tord le bras et lui fait lâcher le couteau.

– Dans mon pays, en Aragon, les malfrats comme toi, on leur entame le mollet avec un couteau et ils deviennent boiteux. S’ils continuent, on leur coupe le mollet et ils sont estropiés à vie.

– On n’est pas dans ton pays ! crie Le Grêlé qui tente de se dégager.

– Tu l’auras voulu, mauvaise graine, je vais te marquer comme en Aragon.

D’un geste vif et quasi chirurgical, Diego lui entaille le mollet droit, jette le couteau au loin et s’éloigne à grands pas.

Le lendemain, le Grêlé a disparu, il n’est pas rentré dans le taudis qu’il habite avec Marie.

Des cantonniers l’auraient vu à l’arrière d’une carriole sur la route de Cazaux.

Il est vrai que depuis le changement de maire, les plaintes se sont multipliées auprès des gendarmes. Le Grêlé a jugé plus sage de quitter ce pays où les nuages sombres s’accumulent au-dessus de sa tête.

Interrogée par la maréchaussée, la femme de l’ancien maire a déclaré n’avoir aucun lien avec son prétendu cousin.

– Je ne connais ni d’Ève ni d’Adam ce « galapian » du Grêlé qui se prétend mon cousin. Je ne lui ai jamais parlé et j’ignore même où il habite.

Ainsi les mensonges du Grêlé et ses prétendues protections se retournaient contre lui. Voyant l’orage venir,  la bagarre avec Diego a été la goutte qui fait déborder le vase. il a préféré prendre la poudre d’escampette avant que le ciel ne lui tombe sur la tête.

Joseph a retrouvé Diego à l’auberge du chemin du port :

– Il paraît que le Grêlé est parti vers les Landes de Sanguinet, tu sais pourquoi ?

– Ma foi, si c’est vrai, c’est sûrement une bonne nouvelle. Il a peut-être de la famille là-bas ?

– On dit aussi que Marie est retournée vivre chez ses parents, si ça t’intéresse ?

– Bon, continue Joseph, l’ingénieur Alphand cherche des bras pour le nivellement de la voie entre Gujan et La Teste.

– C’est bien payé ? demande Diego.

– Écoute, il paraît qu’il y a beaucoup de retard sur le projet, c’est payé 2 F 50 par jour, plus le casse-croûte de midi pris sur le pouce… Mais il ne faut pas compter ses heures. Et il y aura une prime si on tient les délais.

– J’en suis, mon gars, déclare Diego !

Le lendemain à 7 h pétantes, Diego est à pied d’œuvre près du port de Gujan, là où s’arrêtent les rails.

Joseph lui explique le travail :

– Regarde Diego, il n’y a qu’une seule voie entre les gares, mais à chaque gare il y a une voie d’évitement pour que les trains puissent se croiser.

Les rails sont commandés aux forges de Decazeville, ils arrivent par wagon spéciaux au-fur et à mesure de l’avancement de la ligne.

Rends-toi compte, il peut y avoir dix voitures de première classe, dix voitures de deuxième classe, quatre voitures de troisième classe, quatre fourgons à bagages et soixante-huit wagons de marchandises. La voie d’évitement, ce n’est pas rien.

Toi, Diego, tu vas faire partie de l’équipe qui aplanit devant la gare sur une grande largeur pour construire deux voies de contournement. Moi je fais partie de l’équipe qui file vers la Teste.

Il paraît qu’il y a un projet pour faire une gare intermédiaire à La Hume, là où arrive le canal de Cazaux mais vu le retard pris par la construction de la ligne on en reparlera dans quelques années.

Le tracé est tout droit de Gujan à la Hume, puis il y a quelques méandres entre la Hume et le terminal à La Teste.

L’inauguration est prévue le 7 juillet, les terrassiers travaillent jusqu’à la nuit tombée pour tenir les délais. L’ingénieur Alphand les encourage de la voix et du geste, n’hésitant pas à positionner lui-même les traverses et à clouer les sabots qui tiennent les rails.

Adalbert Deganne, toujours vêtu comme un « Milord »  parcourt le chantier en déployant de vastes cartes qu’il fait mine d’étudier en détail.

Joseph informe Diego qu’un de ses cousins aurait aperçu le Grêlé dans un bouge mal famé près de l’église Saint-Vincent.

Dimanche dernier, Diego a aperçu Marie chez un commerçant du bourg.  Les résiniers restent dans leur cabane  de la « montagne » la semaine, mais le dimanche ils descendent souvent au village pour quelques approvisionnements ou passer à la taverne du coin. Diégo est toujours très ému lorsqu’il voit Marie, elle lui semble à la fois fragile et rayonnante. Il l’a suivie de loin mais n’a pas osé l’aborder. Elle semble détendue et souriante aux passants, les cheveux pris dans un grand foulard. Le coeur de Diego s’est serré en la voyant s’éloigner, mais il est comme pétrifié. Ses pieds sont collés au sol, ses bras comme frappés de paralysie.

Le 7 juillet 1841 est enfin là.

L’arrivée du train est une grande fête. Il a fallu plus deux heures pour venir de Pessac et parcourir les vingt stations de la ligne. L’orchestre a joué pendant tout le trajet. Un grand banquet se tiendra à la Teste puis tout ce beau monde épuisé et quelque peu éméché ronflera dans les cahots du retour vers Bordeaux.

Une foule de Testerins est venu accueillir l’arrivée du train. La locomotive à vapeur fait feu de tous ses évents. Le mécanicien est suspendu à la tringle qui actionne le sifflet en continu.

Lorsqu’elle s’arrête, comme épuisée par une longue course, la locomotive lâche des jets de vapeur d’un nombre insoupçonné d’orifices.

La foule accourue est enveloppée de vapeur de toute part. L’odeur de charbon brûlé et les escarbilles qui volent sont autant de surprises pour des chapeaux et des dentelles imprudentes.

Comme un mastodonte qui s’apaise après une longue course, la locomotive lâche ses derniers souffles et s’immobilise.

Les cymbales et les cuivres de l’orchestre peuvent alors s’en donner à cœur joie, remplaçant l’écran de vapeur par le retentissement des instruments. La foule est comme prise d’ivresse dans ce tourbillon de fumée et de bruit.

La tranquillité de ce bourg isolé au fond du Bassin est bien perturbée.

Dans un wagon de première classe pavoisé de drapeaux tricolores, se tient Nathaniel Johnston, le Président de la Compagnie du Chemin de Fer. Il est venu avec deux de ses garçons Harry Scott âgé de 7 ans et Nathaniel fils âgé de 5 ans. Tous les deux sont surexcités et trépignent d’impatience. Nathaniel s’est vu offrir pour Noël une maquette de train avec sa locomotive et son tender plein de charbon. Il passe des heures à jouer avec en faisant avec sa bouche des « Tuuut « qui imitent le bruit de la vapeur qui sortirait de la cheminée. Harry Scott a passé tout le trajet à regarder défiler par la fenêtre les paysages nouveaux du sud de bordeaux. Il a l’impression de découvrir des terres inconnues.

À son arrivée, le président de la Compagnie est accueilli par un orchestre monumental et salué par l’ensemble du conseil municipal au grand complet. Le nouveau maire Jean Clément Soulié s’empresse de lui serrer les deux mains. Dans la foule, Adalbert Deganne est venu habillé en « Monsieur » : redingote, haut-de-forme et chaussures vernies. Il vient repérer une éventuelle fille de famille débarquant de Bordeaux, afin de se présenter comme un notable local. Lisser avantageusement sa moustache, manipuler élégamment sa canne à pommeau est sa gestuelle de base. Approcher les parents de la belle si l’opportunité s’en présente est son objectif.

L’ingénieur Alphand qui connaît bien le président Johnston est félicité par celui-ci :

– Enfin nous en voyons le bout de cette ligne ! C’est grâce à votre sérieux et votre engagement que nous sommes dans les délais. La compagnie doit beaucoup au jeune entrepreneur que vous êtes.

– Tenez je vous présente mon jeune fils Nathaniel qui est passionné de chemins de fer.

– Bonjour, jeune Nathaniel, ainsi tu t’intéresses aux trains ?

– Oh oui Monsieur, les ballasts, les rails, les traverses, les machines à vapeur avec leurs tiroirs et leurs pistons qui poussent les roues c’est passionnant.

– Ma parole, je vois que tu es déjà très féru du sujet !

– Oui, oui, plus tard je voudrais comme vous construire des lignes qui franchissent les montagnes, construire des ponts, des viaducs, percer des tunnels…

– Ah Ah ! C ‘est une vraie passion chez toi, tu sais déjà plein de choses.

– Dites-moi M Alphand, comment fait-on pour devenir un grand ingénieur comme vous ?

– Le mot « Grand » est peut-être excessif. Vois-tu,  je suis issu d’un milieu modeste. Mon père était lieutenant d’artillerie. J’ai bien travaillé à l’école puis je suis rentré à l’école Polytechnique et ensuite à l’école des Ponts et Chaussées. Tu as la chance d’être dans une famille aisée, tes parents pourront te payer des études. Il faut juste beaucoup travailler.

– Eh bien c’est ce que je ferai. Je suis d’un naturel un peu dolent mais je vous promets que je vais bien travailler à l’école puis ensuite j’irai à Polytechnique.

– Je te le souhaite mon gaillard.

– Dites donc Président, vous avez un garçon drôlement motivé.

– Certainement, répond Nathaniel père qui s’inquiète d’avoir perdu son autre fils Harry Scott.

Harry Scott s’est juché sur un promontoire au bout de ligne, là où se trouvent les tamponnoirs pour éviter que le train n’aille trop loin en cas de difficulté de freinage.

– Alors fils, que fais-tu à l’écart de nos hôtes ?

– Père, je regarde au nord vers l’Esguillon et les rives d’Arcachon. Certains de nos cousins ont bravé les océans pour aller chercher fortunes vers les lointaines Amériques. Votre grand-père William Johnson a choisi la France en 1734 pour y établir une grand maison de vins qui est maintenant reconnue et respectable.

– Je crois que nous avons ici, devant nous, un territoire comparable aux plaines d’Amérique. Il y a paraît-il une mer de Buch très poissonneuse, on y trouve même, à marée basse, des coquillages savoureux qu’on appelle ici des « gravettes ».

Dans ce grand espace dégagé que l’on voit au nord devant nous, nous pourrions élever des poissons dans des bassins, faire se multiplier les gravettes et bien plus..

– Mon fils je ne savais pas si rêveur. Il n’y a ici que de la vase recouverte par le flot montant, je ne vois guère de quai pour faire aborder près du bourg. N’oublie pas que tes frères et toi vous avez à faire fructifier notre beau commerce de vin et la production de nos châteaux de Grave et du Médoc.

Les gravettes, les bassins à poissons et la pêche, ce sont des rêves pour tes nuits. Le jour, il faudra t’atteler à d’autres taches.

Adalbert a repéré parmi les habitants de la Teste, une jeune fille qui semble vive et leste. Elle est au bras de son vieux papa, certainement, vue sa tenue, un officier de santé. Il manœuvre à plusieurs reprises pour se trouver de façon nonchalante dans le champ de son regard sans sembler lui-même lui porter attention. Il se rapproche ostensiblement de son camarade Alphand très entouré comme ingénieur de la ligne de Chemin de Fer. Adalbert n’a pas de diplôme ni de responsabilité établie mais il se comporte toujours comme si Alphand était son collègue voire son égal.

La belle ne semble pas insensible à ses manœuvres et feint d’éviter de croiser son regard.

Alphand, Justement veut absolument présenter Diego au président Johnston.

– Voyez, Monsieur le Président, je vous présente Diego dit « Le Diègue » c’est un travailleur sérieux qui est venu d’Aragon avec ses espadrilles et sa besace. C’est grâce à des ouvriers sérieux comme lui que l’on a pu à temps creuser le chenal qui mènera désormais vos voyageurs directement à l’Esguillon.  Et que l’on a pu terminer les terrassements de la nouvelle gare.

On parle beaucoup des ingénieurs, mais nos projets ne seraient que rêves de papier sans les bras et les jambes des terrassiers.

– Eh bien, mon brave, si à l’avenir notre famille peut vous aider, n’hésitez pas à faire appel à nous. Ce que me dit Adolphe Alphand de vous est la meilleure recommandation qui soit.

Ainsi en ce 7 juillet 1841, un pacte invisible s‘est noué entre les personnages clés qui dessineront l’avenir du port de la Teste et du Quartier du Canalot.

Nathaniel Johnston père a contribué à amener le train jusqu’ à cette gare qui deviendra le point de départ de l’activité de la ville de La Teste. Adolphe Alphand devenu directeur local des ponts et chaussées et élu de la Gironde, construira la digue est puis la digue nord qui feront de ce quartier un polder issu des eaux. Il dessinera l’écluse du Canalot et les plans du port de 1883.

Nathaniel Johnson fils fera comme son modèle l’école Polytechnique puis l’école des Mines. Il achètera par adjudication en 1877 l’ensemble des Prés Salés Ouest.

Harry Scott, comme il l’avait rêvé sur son promontoire en bout de ligne, achètera en 1872 les Près Salés Est. Il y développera un quartier ostréicole et des bassins à poissons avant de créer la Compagnie des Pêcheries de l’Océan. Les machines à vapeur de ses chalutiers ne seront finalement que des répliques de la locomotive qui l’a amené à l’âge de sept ans sur son promontoire.

Diego a renforcé son amitié avec Adolphe Alphand qui lui confiera plus tard les chantiers des digues Est et Nord et la construction de l’écluse du Canalot. Il est maintenant connu de la puissante famille Johnston, ce qui lui sera utile à l’avenir.

Adalbert a rencontré sa femme Nelly Robert. Ils réaliseront ensemble de belles spéculations immobilières à Arcachon qui mèneront Adalbert au poste de premier magistrat de la Ville.

Ainsi un jour, en un lieu, les lignes du temps et de l’espace se sont croisées liant à leur insu six personnages clés pour l’évolution du port et du quartier du Canalot.

Adolphe Alphand comme concepteur de l’ensemble des ouvrages, Le Diègue comme son fidèle bras armé. Harry Scott Johnston comme celui qui aura développé l’activité du quartier du Canalot et la pêche industrielle dans le Bassin. Nathaniel Fils comme propriétaire des Prés Salés, homme politique et ministre qui a influencé l’évolution du Bassin.

Adalbert Deganne arrivé avec le train, y a rencontré sa future épouse et sera un acteur clé de la poursuite de la ligne jusqu’à Arcachon en 1857.

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CORCIA Yvon

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