Chronique n° 139 – Le tourisme d’abord !

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Lucien de Gracia reste maire d’Arcachon pendant près d’un tiers de siècle, de 1945 à 1977, le plus long des mandats connus par la ville. Il couvre une période où tout se modifie en France, dans sa société où se développe la liberté des mœurs, comme dans son économie, marquée par un essor industriel, commercial et urbain. Tous éléments qui entraînent de profonds changements, dans Arcachon comme ailleurs. On va y passer à un tourisme de masse, éloigné du tourisme élitiste d’avant-guerre, assez peu marqué alors par l’afflux des bénéficiaires des congés payés à partir de 1936 car la ville sait, depuis longtemps, gérer la nombreuse clientèle dominicale des trains de plaisir. Il semble bien toutefois que Lucien de Gracia ait voulu conserver à Arcachon son lustre d’antan et que son modèle, comme pour d’ailleurs beaucoup de ses prédécesseurs, son modèle touristique, ce soit Biarritz.

Il va donc agir, d’abord pour embellir la ville. On y développe les parcs et les jardins et on fait de la place Thiers, un véritable balcon sur le Bassin. De nombreuses statues, les plus souvent dues au sculpteur arcachonnais Claude Bouscau, grand Prix de Rome, ornent de nombreux lieux de la ville et l’ample monument aux Péris en mer érigé sur le môle du port témoigne de cette volonté de faire donner à la ville un aspect imposant. En 1951, on peut parcourir en voiture d’un bout à l’autre, tout le front de mer, mis au goût du jour. Cet équipement touristique d’une ville, où le concours d’élégance automobile constitue le sommet de la saison estivale, d’autant plus apprécié, écrit Jean Eimer, « que la boulangère du matin devient un mannequin du soir », compte aussi deux pièces majeures dans le haut de gamme. En 1957, fonctionne un golf, presque aux normes internationales, précédé, en 1956, d’un port de pêche, avec ses installations, dont une criée municipale, ouverte dès 1950. Des installations attendues depuis cent deux ans ! Dans le même site, s’ajoute le vaste port de plaisance, développé à partir de 1962 et inauguré en 1968, en même temps que la Maison des jeunes, habilement installée dans les anciens réservoirs d’eau de la ville. Il faut signaler aussi l’ouverture d’un camping sous les pins et d’une piscine ainsi que celle d’un vaste stade de tennis, d’un bowling et d’une patinoire sur glace.

Ainsi, la ville se trouve-t-elle largement équipée pour la pratique d’un tourisme de qualité, tandis que les derniers traits sont tirés sur le passé d’Arcachon, ville sanitaire. En même temps, Lucien de Gracia souhaite moderniser Arcachon pour en faire la capitale d’un Bassin dont il est l’arbitre, sinon le maître politique. Il y implante les administrations qui n’y sont pas encore, telles un tribunal ou une inspection départementale de l’enseignement élémentaire. Des trains directs joignent Paris à Arcachon et, au début des années cinquante, un hôpital s’installe en plein centre-ville.

Dès 1947, par un habile échange de terrain avec l’État, le maire facilite l’installation d’un lycée remarquablement construit dans un beau site forestier. En 1948, tandis que cinq écoles sont agrandies ou construites, Lucien de Gracia appuie la création d’un établissement d’enseignement supérieur à Arcachon, où l’on ouvre aussi l’un des premiers collèges d’enseignement secondaire, au début des années 60. Lucien de Gracia obtient même, en 1953, que Notre-Dame d’Arcachon soit érigée en basilique, par une décision de Pie XII soi-même. Enfin, il est un précurseur en matière d’intercommunalité, créant le SIBA et le District du Sud-Bassin, ce dernier résolvant enfin le problème du traitement des ordures ménagères, jusqu’alors répandues sur le territoire testerin.

Evidemment, il y a des ombres au tableau. Dans sa volonté de rétablir la paix civile dans la commune après la Libération, Lucien de Gracia couvre certaines obscurités de l’Occupation. Poursuivant une ligne politique qui remonte loin dans l’histoire d’Arcachon, de Gracia récupère la totalité du rivage de la ville. Il en écarte, lentement mais sûrement, toutes les activités industrielles lourdes qui s’y trouvent, déplaçant ainsi beaucoup d’habitants permanents, ce qui se traduit par une diminution de la population de près de 1500 personnes entre 1968 et 1975. Cela, malgré des promesses, en 1965, d’une économie locale accrue. En matière d’urbanisme, l’ouverture de la voirie à une circulation automobile de plus en plus dense finit par asphyxier le centre-ville, dès l’été venu. Cela au moment même où des stations italiennes ou espagnoles, loin cependant d’être des modèles, se construisent autour de voies piétonnes. Un parking aérien, certainement indispensable en centre-ville, en chasse la plus grande partie d’un marché extérieur pourtant fort actif, envoyant vers La Teste une innombrable clientèle, avide de distractions pittoresques. Enfin, en ce qui concerne la politique culturelle, âme d’une ville, on parle surtout de “Beaux-arts” et les spectacles sont entièrement laissés aux secteurs privé ou associatif, chichement subventionné pour cela. Quant au choix de permettre la construction de nombreux immeubles insipides mais à la mode de l’époque, composés le plus souvent de résidences secondaires vendues très cher, s’il se révèle un bon calcul pour les finances de la commune, il conduit au vieillissement de sa population et à la banalisation du site.

Mais, quelles que soient les réserves que la postérité lui réserve, le bilan de Lucien de Gracia reste d’autant plus positif qu’il a hissé Arcachon au rang des grandes stations touristiques européennes. D’ailleurs, sa politique n’a-t-elle pas été avalisée pendant plus de trente ans par la majorité des électeurs d’Arcachon ? Une ville qui a cependant complètement changé de visage à partir de 1960. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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